Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 13 juillet 2017, Mme C..., représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 2 mai 2017 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du préfet de police du 1er août 2016 ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ainsi qu'une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la décision de refus de titre de séjour :
- l'arrêté est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'erreur de fait et d'erreur de droit en ce qu'il a retenu que la procédure relative à la traite d'êtres humains n'était plus en cours à la date à laquelle il a été pris, alors que cette procédure s'est poursuivie par la suite, et alors qu'il n'appartient qu'au Procureur de la République de déterminer si l'infraction relative à la traite d'êtres humains est constituée ;
- une carte de séjour devait lui être délivrée de plein droit dès le dépôt de sa plainte jusqu'au terme de la procédure pénale ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision de refus de séjour étant illégale, l'obligation de quitter le territoire prise le même jour est également illégale ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2018, le préfet de police conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation des décisions obligeant Mme C... à quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi et au rejet des conclusions à fin d'annulation de la décision de refus de séjour.
Il soutient que :
- postérieurement à la décision attaquée et à l'introduction de la requête de Mme C..., il a décidé de lui délivrer un récépissé de demande de carte de séjour valable du 1er février 2018 au 30 avril 2018 qui a nécessairement abrogé la décision portant obligation de quitter le territoire français et, par conséquent, celle fixant le pays de destination ;
- les moyens soulevés par la requérante à l'encontre de la décision de refus de séjour ne sont pas fondés.
Le Défenseur des droits, en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, a présenté des observations, enregistrées le 18 avril 2018.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 19 avril 2018, Mme C...conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 juin 2017 du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011, notamment son article 33 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code pénal ;
- la loi n° 71-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Niollet,
- et les observations de Me B...pour Mme C....
1. Considérant que Mme C..., de nationalité biélorusse, née le 29 avril 1972 à Minsk, fait appel du jugement du 2 mai 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de police du 1er août 2016 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant son pays de destination ;
Sur les conclusions de non-lieu à statuer présentées par le préfet de police :
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, postérieurement à l'enregistrement de la requête, le préfet de police a délivré à Mme C... un récépissé de demande de carte de séjour valable jusqu'au 30 avril 2018 ; qu'en admettant ainsi provisoirement au séjour Mme C..., le préfet de police a implicitement mais nécessairement abrogé ses décisions du 1er août 2016 par lesquelles il l'obligeait à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixait le pays à destination duquel elle pouvait être renvoyée d'office si elle n'exécutait pas cette obligation ; que, par suite, les conclusions de la requête tendant à l'annulation de ces décisions sont devenues sans objet ; qu'il n'y a pas lieu d'y statuer ;
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de refus de séjour :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-444 du 13 avril 2016, applicable à la date de la décision contestée : " Sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions. La condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. / En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident est délivrée de plein droit à l'étranger ayant déposé plainte ou témoigné " ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 225-4-1 du code pénal : " La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir à des fins d'exploitation dans l'une des circonstances suivantes : 1° Soit avec l'emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manoeuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ; 2° Soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ; 3° Soit par abus d'une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ; 4° Soit en échange ou par l'octroi d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage. / L'exploitation mentionnée au premier alinéa du présent I est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, de réduction en esclavage, de soumission à du travail ou à des services forcés, de réduction en servitude, de prélèvement de l'un de ses organes, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit (...) ";
5. Considérant, qu'avant de former une demande tendant à obtenir la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point 3, Mme C... avait déposé plainte auprès de la gendarmerie nationale de Saint James le 21 mars 2016 à l'encontre de ses employeurs, pour des faits de traite des êtres humains correspondant à l'infraction prévue à l'article 225-4-1 précité du code pénal ; que la demande de titre de séjour de Mme C... a été présentée le 20 mai 2016, accompagnée du récépissé de dépôt de plainte ; qu'il est constant qu'elle remplissait alors les conditions définies à l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour se voir délivrer une carte de séjour temporaire ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la décision contestée, le procureur de la République s'était prononcé sur les faits dont il était saisi ; que, pour rejeter la demande de titre de séjour de MmeC..., le préfet de police, qui ne soutient pas avoir interrogé l'autorité judiciaire sur le sort réservé à sa plainte, ne pouvait se fonder sur les seules appréciations figurant dans un courrier du groupement de gendarmerie départementale de la Manche, estimant la plainte pour traite des êtres humains infondée ; que cette plainte a d'ailleurs donné lieu à de nouveaux actes d'instruction par la suite, notamment à une nouvelle audition le 7 mars 2017 au commissariat de police du 11ème arrondissement de Paris ; qu'en refusant de délivrer à MmeC..., qui satisfaisait aux conditions de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le titre de séjour qu'elle sollicitait sur ce fondement, le préfet de police a entaché sa décision d'erreur de droit ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Considérant que le présent arrêt implique seulement, eu égard au motif sur lequel il se fonde, que l'autorité compétente réexamine la demande de Mme C...; qu'il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de police de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation des décisions faisant obligation à Mme C... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de son renvoi.
Article 2 : Le jugement n° 1622297/6-2 du Tribunal administratif de Paris du 18 mai 2017 et l'arrêté du préfet de police du 1er août 2016 en ce qu'il porte refus de titre de séjour, sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par Mme C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C..., au préfet de police et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au Défenseur des droits.
Délibéré après l'audience du 24 avril 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 mai 2018.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA02410