Procédure devant la Cour :
Par une requête, et un mémoire enregistrés le 27 avril et le 29 novembre 2017, l'APAM 11, agissant au nom de Mme G... sous tutelle, demande à la Cour :
1°) d'annuler la décision du 29 mars 2017 de la commission départementale d'aide sociale de l'Aude ;
2°) d'annuler la décision du 21 octobre 2016 du président du conseil départemental de l'Aude.
Elle soutient que :
- l'allocation de reconnaissance en faveur des anciens harkis, qui est une mesure de réparation financière depuis la loi du 16 juillet 1987, doit être considérée comme une pension attribuée à titre honorifique ou, à tout le moins, doit s'apparenter à la retraite d'ancien combattant ; en outre, elle a pour objet d'indemniser les anciens harkis et leurs familles des préjudices qu'ils ont subis du fait de leur départ d'Algérie et de leurs conditions d'intégration en France ; il s'ensuit que cette allocation ne peut être considérée comme un revenu professionnel ou autre et n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 132-1 du code de l'action sociale et des familles ; elle doit être déduite des ressources de Mme G... reversées au département dans le cadre de la prise en charge de ses frais d'hébergement en EHPAD au titre de l'aide sociale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2017, le département de l'Aude conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- l'allocation de reconnaissance en faveur des harkis n'est pas assimilée à une retraite du combattant ou à une pension attachée à un titre honorifique ;
- ni l'article L. 132-2 du code de l'action sociale et des familles, ni aucune disposition législative ou réglementaire n'exclut cette allocation des ressources à prendre en compte pour accorder l'aide sociale ; par suite, elle doit être reversée à hauteur de 90 % au département.
En application de l'article 12 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 et du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, le dossier de la requête susvisée a été transféré à la Cour administrative d'appel de Paris, où elle a été enregistrée le 2 janvier 2019 sous le
n° 19PA00113.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 ;
- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;
- le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme H...,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme G..., née le 1er janvier 1925, placée sous la tutelle de l'association de protection juridique et d'accompagnement social des majeurs (APAM) 11 depuis le 3 juin 2013, est hébergée au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Les rives d'Ode de Carcassonne. Par une décision du 25 juin 2015, le président du conseil départemental de l'Aude a admis Mme G... à l'aide sociale pour la prise en charge de ses frais d'hébergement au sein de l'EHPAD dans lequel elle est accueillie pour la période comprise entre le 17 juin 2015 et le 31 décembre 2019. Par un courrier du 22 août 2016, le président du conseil départemental de l'Aude a demandé à l'APAM 11 de régulariser le montant des ressources de Mme G... reversé au département à hauteur de 90 % dans le cadre de la prise en charge de ses frais d'hébergement en EHPAD au titre de l'aide sociale pour le premier trimestre 2016 dès lors que ce reversement n'incluait plus l'allocation de reconnaissance en faveur des anciens harkis perçue par Mme G.... Le 3 octobre 2016, l'APAM 11 a demandé au président du conseil départemental de l'Aude de ne pas tenir compte de cette allocation dans le calcul des ressources de Mme G.... Sa demande a été rejetée par une décision du 21 octobre 2016. L'APAM 11 a saisi la commission départementale d'aide sociale de l'Aude qui, par une décision du 29 mars 2017, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 octobre 2016 du président du conseil départemental de l'Aude. L'APAM 11 relève appel de cette décision.
2. L'article L. 132-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Il est tenu compte, pour l'appréciation des ressources des postulants à l'aide sociale, des revenus professionnels et autres et de la valeur en capital des biens non productifs de revenu, qui est évaluée dans les conditions fixées par voie réglementaire. ".
3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés : " La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d'indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu'à leurs familles, solennellement hommage. ". Aux termes de l'article 6 de cette même loi : " I.- Une allocation de reconnaissance, sous condition d'âge, est versée en faveur : 1° Des anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives de statut civil de droit local ayant servi en Algérie, qui ont fixé leur domicile en France ; 2° Aux conjoints ou ex-conjoints survivants, non remariés ou n'ayant pas conclu de pacte civil de solidarité, des personnes mentionnées au 1°. (...) ".
4. Il résulte des dispositions de l'article 1er de la loi du 23 février 2005 que, par le versement de l'allocation de reconnaissance en faveur des anciens harkis, la Nation a entendu rendre hommage aux personnes qui ont choisi de participer à l'oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français notamment en Algérie et à leurs familles et de compenser les préjudices matériels et moraux subis par les harkis et leurs familles au moment du départ de l'Algérie et à leur arrivé en France. Eu égard à son objet, cette allocation ne saurait être regardée comme un revenu au sens de l'article L. 132-1 du code de l'action sociale et des familles ni, par suite, entrer dans le calcul des ressources des postulants et des bénéficiaires de l'aide sociale. Ainsi, le montant de l'allocation de reconnaissance en faveur des anciens harkis versée mensuellement à Mme G... ne pouvait pas être prise en compte dans le calcul des ressources de l'intéressée bénéficiaire de l'aide sociale et, par voie de conséquence, cette allocation n'avait pas à être intégrée par l'APAM 11 dans les ressources de sa protégée reversées au département à hauteur de 90 % dans le cadre de la prise en charge de ses frais d'hébergement en EHPAD au titre de l'aide sociale. Il s'ensuit que la décision du 21 octobre 2016 du président du conseil départemental de l'Aude refusant d'exclure l'allocation de reconnaissance en faveur des anciens harkis du calcul des ressources de Mme G... dans le cadre de la prise en charge de ses frais d'hébergement en EHPAD à compter du premier trimestre 2016 est entachée d'illégalité.
5. Il résulte de tout ce qui précède que l'APAM 11 est fondée à soutenir que c'est à tort que, par la décision attaquée, la commission départementale d'aide sociale de l'Aude a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 octobre 2016 du président du conseil départemental de l'Aude.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision de la commission départementale d'aide sociale de l'Aude du 29 mars 2017 et la décision du 21 octobre 2016 du président du conseil départemental de l'Aude sont annulées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'association de protection juridique et d'accompagnement social des majeurs 11, agissant au nom de Mme J... G..., au président du conseil départemental de l'Aude, à M. I... G..., à M. F... G..., à l'association tutélaire de l'Aude, à M. B... G..., à l'union départementale des associations familiales du Tarn, Mme C... G..., à M. K... G..., M. A... G..., Mme D... G... et M. E... G....
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, président de chambre,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme H..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020.
La présidente de la 8ème chambre,
H. VINOT
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA00113
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