Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement le 26 mars 2019 et le 29 mars 2021, la société UCB Pharma SA, représentée par Me C..., demande à la Cour :
A titre principal :
1°) d'annuler le jugement n° 1700398/6-3 du 31 janvier 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner l'hôpital Saint-Louis à lui verser la somme de 3 161 213,03 euros, majorée des intérêts de droit à la date du recours préalable du 9 septembre 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'hôpital Saint-Louis le versement de la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
A titre subsidiaire, d'annuler le jugement n° 1700398/6-3 du 31 janvier 2019 du tribunal administratif de Paris et de diligenter, avant-dire-droit, une expertise médicale et de désigner tels experts en urologie et en infectiologie avec pour mission de :
Convoquer les parties par lettre recommandée avec accusé de réception ;
Reconstituer l'histoire médicale de Mme E... à la suite de l'intervention chirurgicale qu'elle a subie le 20 juin 2006, en détaillant la pathologie présentée, l'indication de cette intervention et les modalités de leur prise en charge médicale à l'hôpital Saint-Louis ;
S'agissant de la réalisation de l'intervention du 20 juin 2006, de :
Décrire les éléments du dossier médical de Mme E... établi par l'hôpital Saint-Louis caractérisant l'existence d'une information précise des risques liés à l'intervention réalisée le 20 juin 2006 ;
Dire s'il existe dans le dossier médical de Mme E... établi par l'hôpital Saint-Louis un consentement éclairé de la patiente pour la réalisation de l'intervention réalisée à l'hôpital Saint-Louis le 20 juin 2006 ;
Dire si l'intervention réalisée à l'hôpital Saint-Louis le 20 juin 2006 était conforme aux règles de l'art, si elle était appropriée eu égard à l'état de santé de Mme E... en 2006 et si des erreurs, des manquements, des fautes et/ ou des négligences ont été commises dans le cadre de la préconisation et/ou de la réalisation de cette intervention eu égard notamment au tableau clinique présenté ;
S'agissant du suivi de Mme E... entre 2006 et 2011, de dire si, entre 2006 et 2011, le suivi de Mme E... par l'hôpital Saint-Louis était conforme aux règles de l'art, s'il était approprié eu égard à son état de santé et si des erreurs, des manquements, des fautes et/ou des négligences ont été commis ;
S'agissant du suivi de Mme E... après la survenue du choc septique de février 2011, de :
Dire si, après la survenue du choc septique de février 2011, le suivi de Mme E... par l'hôpital Saint-Louis a été conforme aux règles de l'art, s'il était approprié eu égard à son état de santé et si des erreurs, des manquements, des fautes et/ou des négligences ont été commis ;
Préciser la nature des préjudices de toute nature subis par Mme E... et ses proches ainsi que par la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne en lien avec les erreurs, les manquements, les fautes et/ou les négligences commis par l'hôpital Saint-Louis ;
Fournir à la Cour tous éléments utiles à la solution du litige ;
* Préciser qu'un pré-rapport sera adressé aux parties auquel elles pourront répondre par des dires dans un délai de huit semaines et traiter spécifiquement les réponses à ces dires dans le rapport final devant être déposé.
Elle soutient que :
- l'indication de pose chirurgicale des prothèses Détour(r) lors de l'intervention à l'hôpital Saint-Louis du 20 juin 2006 était erronée, notamment au regard des autres options qui avaient été proposées par les chirurgiens urologues qui avaient été consultés ;
- l'information donnée à la patiente concernant les risques liés à la pose des prothèses Détour(r) avant l'intervention à l'hôpital Saint-Louis du 20 juin 2006 était insuffisante, le chirurgien ayant ainsi manqué à son devoir de conseil ;
- l'origine urinaire du choc septique a été unanimement reconnue par les médecins ayant suivi Mme E... au vu des éléments de son dossier médical ; l'hypothèse d'une fistule rectale qui serait à l'origine du choc septique, retenue par les experts médicaux, est démentie par la réalité du dossier médical ;
- postérieurement à l'intervention du 20 juin 2006, des fautes ont été commises et des risques ont été pris en 2009 et en 2011 par le chirurgien qui a opéré Mme E... à l'hôpital Saint-Louis ;
- les conclusions tendant à ce qu'une nouvelle expertise médicale soit diligentée sont justifiées au vu des carences du rapport d'expertise et de son manque d'impartialité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2021, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement la somme de 3 000 euros soit mis à la charge de la société UCB Pharma SA sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société UCB Pharma SA ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., substituant Me C..., avocat de la société UCB Pharma SA, et de Me F..., avocat de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que Mme D... E..., née le 13 août 1966, a fait l'objet d'une exposition in utero à l'hormone de synthèse DES (Distilbène(r)) distribuée par une société aux droits desquels vient la société UCB Pharma. Du fait de cette exposition au Distilbène(r),
Mme E... a développé un adénocarcinome à cellules claires cervico-vaginal diagnostiqué en février 1990. Elle a subi le 13 mars 1990 une colpo-hystérectomie totale élargie complétée par une radiothérapie externe intéressant le petit bassin et le vagin et par une curiethérapie vaginale complémentaire. Mme E..., qui a été hospitalisée à Agen pour une insuffisance rénale aigue provoquées par une dilatation pyélo-calicielle bilatérale et une fibrose engainante des uretères, a fait l'objet, le 23 janvier 2002, de la mise en place de prothèses endo urétérales (sondes urinaires " JJ ") bilatérales sous anesthésie générale suivie d'une corticothérapie à fortes doses. Ces prothèses s'obstruant régulièrement, entraînant ainsi des phénomènes douloureux et obligeant à des changements de sondes répétés, et provoquant inévitablement des infections chroniques du haut appareil urinaire nécessitant des antibiothérapies itératives, Mme E... a recherché des solutions alternatives. Sur les conseils des praticiens qui la suivaient, elle a ainsi notamment consulté, en septembre 2005, un spécialiste de l'urétéro-entéroplastie (acte chirurgical permettant de remplacer l'uretère comprimé par un morceau d'intestin grêle abouchant la vessie) à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, qui lui a conseillé de consulter un professeur exerçant à l'hôpital Saint-Louis, à Paris, qui lui a proposé une technique nouvelle qui consistait en la mise en place de prothèses réno-vésicales (prothèses Détour(r) en silicone et polyester) reliant les reins à la vessie en passant sous la peau des régions lombaire et abdominale, sans pénétrer dans l'abdomen et sans utiliser des portions d'intestin. Mme E... a ainsi été hospitalisée à l'hôpital Saint-Louis le
20 juin 2006 pour la réalisation d'un pontage réno-vésical et la mise en place de ces prothèses urétérales Détour(r). A la suite de cette intervention, l'état urinaire de Mme E... s'est amélioré, malgré des infections urinaires basses répétitives.
2. Le 19 février 2011, Mme E... a été victime d'un choc septique gravissime. Alors qu'elle récupérait de ce choc septique, la survenue d'une coagulation intra-vasculaire disséminée avec purpura nécrotique et l'utilisation prolongée de la noradrénaline ont conduit à une nécrose sèche des extrémités et, en l'absence d'amélioration des lésions nécrotiques des pieds, elle a subi le 18 avril 2011 une amputation trans-tibiale bilatérale. A la suite d'une nouvelle dégradation de son état dans la nuit du 20 au 21 avril 2011, Mme E... a, à nouveau, été transférée en réanimation à l'hôpital Rangueil de Toulouse, où les prothèses urétérales Détour(r) ont été enlevées et où ont été pratiquées l'amputation des quatre derniers doigts de la main droite et l'ablation de zones nécrotiques de la main gauche. Le 9 mai 2011, deux néphrostomies ont été remises en place. Le
24 mai 2011 a été pratiquée une colostomie terminale gauche. Mme E... est désormais amputée des deux jambes à mi-tibia, des quatre derniers doigts de la main droite (chez une droitière), a fait l'objet d'une néphrostomie bilatérale et d'une colostomie terminale et est affligée d'une surdité sévère bilatérale survenue du fait des multiples traitements antibiotiques avec une perte d'audition de 50% à gauche et 80% à droite.
3. Le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre, saisi par Mme E..., a, par une ordonnance du 2 juillet 2013, complétée par deux ordonnances du 5 septembre et
16 octobre 2013, ordonné une expertise confiée à trois experts (cancérologue-radiothérapeute, urologue qualifié en cancérologie, chirurgien généraliste). Le rapport a été rédigé le 9 décembre 2014, après la communication d'un pré-rapport qui a donné lieu à la production d'un dire de la société UCB Pharma du 10 novembre 2014. Sur la base des conclusions de ce rapport,
Mme E... a assigné la société UCB Pharma devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins d'indemnisation de l'aggravation de son préjudice des suites du choc septique. Les parties sont parvenues à un accord transactionnel et, par acte du 18 février 2015, la société UCB Pharma a versé les sommes de 2 000 325,05 euros à Mme E..., 50 000 euros à son époux, 30 000 euros à son fils, 25 000 euros à sa mère et 10 500 euros à son père, en réparation de leurs préjudices, et la somme de 1 045 387,98 euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne au titre des débours qu'elle avait exposés au nom de son assurée sociale.
4. Par le jugement du 31 janvier 2019 dont l'annulation est demandée, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société UCB PHARMA SA tendant à la condamnation de l'hôpital Saint-Louis à lui verser la somme de 3 161 213,03 euros, majorée des intérêts de droit à compter du 9 septembre 2016, en remboursement des sommes qu'elle a versées à Mme E..., aux membres de sa famille et à la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne au terme d'un accord transactionnel et, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale.
Sur la responsabilité de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris :
- Quant à la cause du choc septique survenu le 19 février 2011 :
5. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ".
6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale rédigé le
9 décembre 2014, que Mme E..., le 31 octobre 2001, alors qu'elle n'était porteuse d'aucune sonde ni d'aucun autre corps étranger urinaire, a brutalement présenté un tableau de péritonite aigue nécessitant une laparotomie en urgence, qui a mis en évidence un abcès du Douglas sans cause locale identifiée. Il a été constaté, lors de l'hospitalisation de Mme E... du 27 novembre au
1er décembre 2001, l'existence d'une induration du rectum avec sténose à bout de doigt retrouvée au lavement aux hydrosolubles, cette sténose, n'admettant pas le calibre de l'endoscope, étant confirmée par une rectosigmoïdoscopie avec biopsie, qui a décelé une zone ulcérée au fond. L'un des médecins de Mme E... a alors émis l'hypothèse d'une fibrose pelvienne majeure post-radique pouvant expliquer l'origine de la péritonite par fissuration du rectum ; toutefois, les examens réalisés n'ont alors pas permis de trouver un trajet fistuleux. La ou les fistules recto-vaginales, qui ont été cliniquement établies le 7 mars 2011, soit après le choc septique survenu le 19 février 2011, par l'écoulement par le vagin d'un liquide fécaloïde, puis le lendemain de selles moulées, bien qu'un lavement aux hydrosolubles réalisé le 9 mars n'ait pas permis de la ou les retrouver (les rectosigmoïdoscopie réalisées ultérieurement, si elles ont révélée l'existence de lésions ulcéreuses multiples dont certaines étaient creusantes sur le rectum, n'ont pas objectivé de fistule rectale), ont été causées par la rectite radique secondaire au traitement, en 1990, de l'adénocarcinome à cellules claires du vagin, lui-même induit par le Distilbène(r), dont Mme E... a été atteinte. En effet, une sténose rectale avec ulcération antérieure en regard d'une curiethérapie vaginale est caractéristique d'une complication post-radique dont l'expression peut être tardive. Cette ou ces fistules rectales sont à l'origine des septicémies persistantes et des chocs septiques depuis 2001, et sont la cause du choc septique survenu le 19 février 2011, à l'exclusion d'une origine urinaire, quand bien même les premiers troubles rectaux ne sont apparus que le 7 mars 2011, soit postérieurement au choc septique. Au soutien de ce lien causal peuvent être retenus le caractère ancien des troubles constatés, alors qu'à cette époque Mme E... n'était porteuse d'aucune sonde ni d'aucun autre corps étranger urinaire et que de plus ses urines étaient stériles, la circonstance que le choc septique n'est survenu que le lendemain de la libération des voies urinaires hautes droites par la pose le
18 février 2011 d'une néphrostomie percutanée (celle-ci ayant été réalisée car Mme E... avait souffert de coliques néphrétiques droites provoquées par l'obstruction de sa prothèse Détour(r) droite), la patiente étant ainsi protégée d'un choc septique d'origine urinaire puisque les voies urinaires hautes gauches n'étaient alors pas obstruées, le fait que les infections des urines dans le haut appareil urinaire ne se manifestent jamais par un tableau de péritonite car l'enveloppe fibreuse du rein est étanche et extrêmement résistante, et enfin la circonstance qu'aucune nouvelle infection n'est survenue depuis la réalisation d'une colostomie terminale gauche définitive le 24 mai 2011 dérivant les selles en amont du rectum, la dernière infection avec choc apparue le 25 août 2011 ayant été provoquée par la stase rectale de matières résiduelles, un fécalome étant ultérieurement évacué. Les circonstances, dont se prévaut la société UCB Pharma, que, d'une part, le professeur de l'hôpital Saint-Louis qui a posé le 20 juin 2006 les prothèses Détour(r), dans un courrier du 29 juin 2009 adressé à Mme E..., avait indiqué qu'il fallait mettre sur le compte de la présence des prothèses les infections répétées qu'elle subissait et, dans un autre courrier du 3 mai 2013, avait écrit que " ces matériaux prothétiques exposent parfois à un risque infectieux qui chez vous a été dramatique avec un choc septique grave en février 2011 " et que, d'autre part, les comptes - rendus de prises en charge et d'examens, à compter du 18 février 2011, font état d'une origine urinaire du choc septique, ne sauraient constituer des éléments déterminants quant à l'origine du choc septique dès lors que ces documents ne relèvent la possibilité d'un lien de causalité causale qu'en l'absence de mise en évidence d'autre cause initiale, comme cela résulte de l'utilisation de formulations prudentes qu'ils adoptent quant à l'étiologie. Enfin, si Mme E... a subi une laparotomie réalisée en urgence le 19 février 2011 au cours de laquelle une plaie caecale a été ouverte mais immédiatement suturée et enfouie, cette dernière est sans lien avec les troubles rectaux constatés. Par suite, le choc septique survenu le 19 février 2011 trouvant sa cause dans la ou les fistules recto-vaginales, elles-mêmes causées par la rectite consécutive au traitement, en 1990, de l'adénocarcinome du vagin, lui-même causé par le Distilbène(r), et non par les prothèses urétérales Détour(r) qui avaient été posées le 20 juin 2006 à l'hôpital Saint-Louis, la société UCB Pharma n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris dans la réparation des dommages résultant pour Mme E... du choc septique survenu le 19 février 2011.
Au surplus :
- Quant à l'indication de la pose de prothèses urétérales Détour(r) lors de l'intervention chirurgicale du 20 juin 2006 à l'hôpital Saint-Louis :
7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale rédigé le
9 décembre 2014, que Mme E..., depuis la mise en place de prothèses endo-urétérales (sondes urinaires " JJ ") bilatérales sous anesthésie générale le 23 janvier 2002, a dû subir de nombreux changements de ces sondes, avec, à plusieurs reprises, la mise en place de sondes de néphrostomies percutanées. Eu égard à cet état précaire et menaçant (les sondes de néphrostomies s'obstruant elles-aussi régulièrement), elle a consulté trois professeurs d'urologie, l'un à Bordeaux et les deux autres à Paris, afin d'envisager des solutions alternatives. Les quatre possibilités qui ont été proposées à Mme E... (i. la poursuite d'un drainage par des sondes endo-urétérale " JJ " ; ii. la dérivation externe par une intervention type Bricker (urétérostomie cutanée transintestinale) ; iii. l'urétéroiléoplastie de remplacement ; iv. le pontage prothétique sous cutané) présentaient chacune, dans son cas particulier, des avantages et des inconvénients : l'implantation d'endo-prothèses urétérales " JJ " exposaient à des infections, certes maitrisables, et devaient être fréquemment changées, l'extension en hauteur des lésions urétérales, chez la patiente, rendait impossible la réalisation d'urétérostomies cutanées directes, une entéro-urétéroplastie dans des tissus irradiés présentait un risque vital important, les lésions digestives post-radiques ayant en effet déjà occasionné plusieurs hospitalisations, et une dérivation reno-vésicale sous-cutanée qui, si elle apportait un gain en qualité de vie comparée au drainage percutané par néphrostomie ou au drainage par des sondes endo-urétérale " JJ ", comportait, dans une vessie irradiée, des risques d'infection chronique de l'appareil urinaire, comme au demeurant toute dérivation urinaire, et nécessitait un remplacement fréquent du fait du vieillissement du matériel prothétique. L'urétéroiléoplastie avait été proposée avec réticence, pour la raison précédemment indiquée, à Mme E..., qui l'avait refusée pour cette raison. Ainsi, dans ce contexte dans lequel toutes les solutions considérées présentaient un haut risque de complications, l'indication d'une dérivation néphro-vésicale par l'implantation de prothèses Detour(r) ne peut être regardée comme présentant un caractère fautif. Les circonstances qu'une urétéroiléoplastie, à nouveau, a été envisagée en février 2012 et que la laparotomie réalisée le 19 février 2011 a mis en évidence que le grêle, qui n'avait pas d'adhérences, était mobilisable, ne sauraient rendre rétrospectivement cette indication fautive dès lors qu'une indication opératoire doit être appréciée au regard des données acquises de la science médicale à la date de sa réalisation, mais également au regard de l'état connu de la patiente à cette même date. Enfin, si le professeur d'urologie qui a réalisé la pose des prothèses Detour(r) le 20 juin 2006 à l'hôpital Saint-Louis à Paris a indiqué, dans plusieurs articles publiés dans des revues médicales, que ce geste et ce matériel étaient une alternative efficace à la néphrostomie palliative chez les patients ayant une obstruction urétérale maligne et une espérance de vie limitée, cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que cette indication opératoire soit proposée à Mme E..., pourvu qu'il lui soit indiqué que la durée de vie du matériel était limitée et nécessitait de la sorte une réintervention à moyen terme, l'un des articles indiquant ainsi, sous cette réserve, qu'elle " peut être également proposée aux patients ayant une obstruction urétérale bénigne ".
- Quant à l'information de Mme E... préalablement à l'intervention chirurgicale du
20 juin 2006 à l'hôpital Saint-Louis au cours de laquelle des prothèses urétérales Détour(r) lui ont été posées :
8. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale rédigé le
9 décembre 2014, que Mme E..., comme il a été dit précédemment, a consulté, outre l'urologue qui la suivait, trois professeurs d'urologie, l'un à Bordeaux et les deux autres à Paris, afin d'envisager des solutions alternatives aux sondes urinaires " JJ " qu'elle portait depuis le 23 janvier 2002, et que les avantages et les inconvénients présentés dans son cas particulier par chacune des quatre possibilités envisagées lui ont alors été exposées. Mme E... ayant reconnu avoir été longuement informée, en détail, de chacune de ces possibilités par son urologue et par chacun des trois professeurs référents consultés, le moyen tiré d'un défaut d'information préalablement à l'intervention chirurgicale réalisée le 20 juin 2006 à l'hôpital Saint-Louis à Paris ne peut qu'être écarté.
- Quant au moyen tiré de ce que des fautes auraient été commises et des risques pris par le chirurgien qui a opéré Mme E... à l'hôpital Saint-Louis le 20 juin 2006, postérieurement à cette intervention, en 2009 et en 2011 :
9. Aux termes de l'article R. 4127-32 du code de la santé publique : " Dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande, le médecin s'engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers compétents. ". Aux termes de l'article R. 4127-64 du même code : " Lorsque plusieurs médecins collaborent à l'examen ou au traitement d'un malade, ils doivent se tenir mutuellement informés ; chacun des praticiens assume ses responsabilités personnelles et veille à l'information du malade. / Chacun des médecins peut librement refuser de prêter son concours, ou le retirer, à condition de ne pas nuire au malade et d'en avertir ses confrères. ".
10. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale rédigé le
9 décembre 2014, que l'un des médecins qui suivait Mme E... a écrit le 14 mai 2009 au professeur d'urologie qui avait réalisé la pose des prothèses Detour(r) le 20 juin 2006 à l'hôpital Saint-Louis à Paris pour lui demander son avis sur la conduite à tenir dès lors que Mme E... présentait une infection chronique du bas appareil urinaire. La circonstance que ce professeur n'ait pas répondu à ce courrier, pour regrettable qu'elle soit, constitue un manquement unique qui ne peut être regardé comme une faute dans le suivi de Mme E..., d'autant plus que ce même professeur a répondu directement le 29 juin 2009 à Mme E..., qui l'avait personnement consulté par écrit le 18 mai 2009, en lui donnant des conseils médicaux quant au traitement des infections urinaires répétées qu'elle connaissait. Par ailleurs, si le même professeur n'a pas répondu par écrit au courrier qui lui avait été adressé le 8 mars 2011 par l'un des médecins qui suivait
Mme E... et qui lui demandait, à la suite du choc septique gravissime que venait de connaître la patiente, quelle était l'attitude à adopter vis-à-vis de ses prothèses urétérales, il est établi qu'un échange téléphonique entre ce professeur et le centre hospitalier d'Agen a eu lieu le 15 mars 2011, résumé dans le dossier médical par la mention : " Laisser le dispositif médical et à distance réévaluer ". Enfin, la circonstance que ce professeur n'ait pas immédiatement répondu au courrier du 28 mars 2011 par lequel le centre d'hospitalier d'Agen l'informait de l'état de Mme E... et lui demandait à nouveau son avis en ce qui concerne la présence des prothèses pyélovésicales et se soit borné à adresser au centre d'hospitalier d'Agen sa lettre en date du 29 juin 2009 et les comptes rendus opératoire et d'hospitalisation de juin 2006 ne peut être regardé comme un manquement fautif au regard d'une patiente qui était alors prise en charge par d'autres praticiens, et une méconnaissance des dispositions précitées des articles R. 4127-32 et R. 4127-64 du code de la santé publique.
Sur les conclusions, présentées à titre subsidiaire par la société UCB Pharma, tendant à ce qu'une nouvelle expertise médicale soit diligentée :
11. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les trois experts médicaux (cancérologue-radiothérapeute, urologue qualifié en cancérologie, chirurgien généraliste), nommés par des ordonnances du juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre, qui ont rédigé le 9 décembre 2014 le rapport d'expertise, auraient manqué à leur devoir d'impartialité du seul fait qu'ils ont exercé auparavant au sein de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et qu'une phrase du rapport, certes regrettable, évoque la confraternité entre anciens praticiens hospitaliers, la question de l'impartialité des experts ayant au demeurant été mise en cause dès les opérations d'expertise, dans le dire récapitulatif de la société UCB Pharma du 10 novembre 2014, qui incluait une lettre de son médecin conseil du 29 octobre 2014, et ayant été réfutée dans le rapport d'expertise lui-même, pages 37 et 38.
12. En deuxième lieu, les circonstances que les experts médicaux ont mis en oeuvre une méthodologie que la société UCB Pharma critique et qu'ils ont adopté des conclusions qui seraient contraire au consensus des médecins ayant suivi Mme E... ne justifient pas qu'une nouvelle expertise soit diligentée.
13. Enfin, si la société UCB Pharma soutient dans l'énoncé de ses conclusions qu'une expertise complémentaire serait justifiée " au vu des carences du rapport d'expertise ", elle ne précise pas, hormis ce qui vient d'être dit, quelles seraient ces carences.
14. Il résulte de ce qui précède que les conclusions susvisées tendant à ce qu'une nouvelle expertise médicale soit diligentée doivent être rejetées.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la société UCB Pharma n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 31 janvier 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'hôpital Saint-Louis, relevant de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, à lui verser la somme de 3 161 213,03 euros, majorée des intérêts de droit à compter du 9 septembre 2016, en remboursement des sommes qu'elle a versées à
Mme E..., aux membres de sa famille et à la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne au terme d'un accord transactionnel et, à titre subsidiaire, à ce que soit ordonnée une expertise médicale.
Sur les frais liés à l'instance :
16. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais liés à l'instance. Dès lors, les conclusions présentées à ce titre par la société UCB Pharma doivent être rejetées.
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société UCB Pharma le paiement à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris de la somme de 2 500 euros au titre des frais liés à l'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société UCB Pharma est rejetée.
Article 2 : La société UCB Pharma versera à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société UCB Pharma SA, à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et à la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne.
Délibéré après l'audience du 15 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, président de chambre
- M. A..., président assesseur,
- Mme Collet, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 avril 2021.
La présidente de la 8ème Chambre,
H. VINOT
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01150