Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement le 26 mai 2015 et le 11 janvier 2016, M.C..., représenté par Me Etilage, avocat, demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1400407 du 24 février 2015 du Tribunal administratif de la Polynésie Française en tant que, par ce jugement, celui-ci n'a indemnisé les préjudices qu'il a subis qu'à hauteur de 1 700 000 F CFP ;
2°) de condamner la commune de Faa'a à lui verser une somme de 28 069 881 F CFP en réparation des préjudices occasionnés par son licenciement ;
3°) d'annuler la décision du 6 novembre 2012 par laquelle le maire de la commune de Faa'a a prononcé son licenciement ;
4°) de mettre une somme de 250 000 F CFP à la charge de la commune de Faa'a au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la lettre de convocation à un entretien préalable du 31 août 2012 ne l'a pas informé de son droit à la communication de l'intégralité de son dossier, conformément à l'article 42 du décret du 15 novembre 2011 ;
- cette lettre ne l'a pas informé de la possibilité de se faire assister de " défendeurs " de son choix, conformément à l'article 42 du décret du 15 novembre 2011 ;
- la décision de licenciement du 6 novembre 2012 ne précise pas la date à laquelle celui-ci prend effet, conformément à l'article 47 du décret du 15 novembre 2011 ;
- la décision de licenciement n'a pas été précédée d'une mise en demeure de rejoindre son poste ;
- la décision de licenciement est insuffisamment motivée ;
- la décision de licenciement repose sur des faits matériellement inexacts dès lors qu'il n'a pas été incarcéré pour complicité des crimes de viols aggravés par des tortures ou actes de barbarie sur une personne ;
- la commune de Faa'a était informée de son incarcération et ne pouvait donc légalement justifier son licenciement par son absence ;
- elle ne peut sérieusement soutenir que son absence a perturbé la bonne marche du service dès lors qu'elle a accepté de prolonger la suspension de son contrat jusqu'au 15 avril 2012 et n'a jamais fait état de ce motif pour la période postérieure au 29 mars 2012, date de sa condamnation ;
- la commune a commis une erreur manifeste d'appréciation en choisissant le licenciement comme mesure disciplinaire ;
- la promesse non tenue de la commune de le réintégrer à compter du 1er août 2011, lui a fait perdre une chance de bénéficier d'une libération conditionnelle ; le préjudice qu'il a subi à ce titre peut être évalué à trois mois de salaire, soit 858 231 FCP ;
- son licenciement illégal lui a occasionné différents préjudices (perte de salaires, perte de congés payés, perte de retraite, préjudice moral).
Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 septembre 2015 et le 17 février 2016, la commune de Faa'a, représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et demande en outre la condamnation de M. C...à lui payer une somme de 400 000 F CFP à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, la condamnation de M. C...à payer une amende de 400 000 F CFP en application de l'article R. 741-12 du code de justice administrative et enfin qu'une somme de 330 000 F CFP soit mise à la charge de l'intéressé en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la convention collective des agents non fonctionnaires de l'administration, applicable en l'espèce, n'impose pas d'aviser l'agent de son droit à la communication de l'intégralité de son dossier et des documents annexes ;
- ayant abandonné son poste, M. C...ne peut se prévaloir des garanties qui caractérisent la procédure disciplinaire et notamment de son droit d'être informé de son droit à la communication de son dossier ;
- M. C...a été informé de la possibilité d'être assisté par un salarié de son choix appartenant au personnel des services municipaux ou une personne extérieure à l'entreprise avec accord de l'employeur ;
- M. C...ne l'a pas informée des raisons de son absence du 18 mars 2010 au 16 avril 2010 ;
- l'absence injustifiée de M. C...à partir du 15 avril 2012 justifie le constat de la rupture de son contrat en application de l'article 23 de la convention collective des agents non fonctionnaires de l'administration ;
- l'absence de M. C...a entraîné une réelle perturbation de la bonne marche du service et a nécessité le recrutement d'un mécanicien ;
- ses demandes indemnitaires sont infondées ; les préjudices qu'il invoque ne sont pas justifiés.
Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions, nouvelles en appel, tendant à l'annulation de la décision de licenciement du 6 novembre 2012.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- l'ordonnance n° 2005-10 du 4 janvier 2005 portant statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs ;
- le décret n° 2011-1552 du 15 novembre 2011 portant dispositions applicables aux agents non titulaires des communes et des groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs ;
- la convention collective de travail des agents non fonctionnaires de l'administration de la Polynésie française ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dalle,
- et les conclusions de M. Blanc, rapporteur public.
1. Considérant que M.C... a été recruté par la commune de Faa'a à compter du 1er juin 1990 par contrats à durée déterminée, puis à compter du 1er février 1993 par un contrat à durée indéterminée ; que, par un courrier du 6 novembre 2012, le maire de la commune de Faa'a a informé M. C...de son licenciement sans préavis, ni indemnité ; que, par un arrêté en date du 18 mars 2013, le maire a acté ce licenciement à compter du 24 novembre 2012 ; que, par un courrier du 28 février 2014, M. C...a demandé à la commune de l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision de licenciement ; que cette demande, à laquelle la commune n'a pas répondu, a ainsi été implicitement rejetée ; que M. C... relève appel du jugement du 24 février 2015 du Tribunal administratif de la Polynésie française, en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande indemnitaire ; que, devant la Cour, M. C...demande également l'annulation de la décision du maire de la commune de Faa'a du 6 novembre 2012, prononçant son licenciement ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de licenciement du 6 novembre 2012 :
2. Considérant que les conclusions tendant à l'annulation de la décision de licenciement du 6 novembre 2012 sont nouvelles en appel ; qu'elles sont, par suite, irrecevables ;
Sur les conclusions indemnitaires de M.C... :
3. Considérant que M. C...demande la condamnation de la commune de Faa'a à l'indemniser des préjudices causés, d'une part, par son licenciement, dont il soutient qu'il est illégal, d'autre part, par la promesse non tenue de la commune de le réintégrer à compter du 1er août 2011, qui lui aurait fait perdre une chance de bénéficier d'une libération conditionnelle ;
En ce qui concerne la promesse non tenue de réintégration :
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le contrat de travail de M.C..., placé en détention provisoire le 18 mars 2010, a été suspendu pour une durée d'un an à compter du 15 avril 2010 ; que cette suspension a été prolongée d'un an par un arrêté du maire de Faa'a du 6 avril 2011 ; que, par une lettre du 17 juin 2011, il a sollicité sa réintégration avant le terme de la suspension de son contrat de travail afin d'être libéré et pouvoir bénéficier d'une mesure de placement sous contrôle judiciaire ; que, par un courrier du 28 juillet 2011, le maire a émis un avis favorable à sa demande et l'a informé que sa réintégration serait effective à compter du 1er août 2011 ; qu'en dépit de ce courrier, la commune n'a pas pris de décision réintégrant M. C... ; que, cependant, l'intéressé ne saurait soutenir que la commune l'a ainsi privé d'une chance d'être libéré et de retrouver son emploi dès lors que la décision de libération conditionnelle appartient au juge de l'application des peines et qu'en l'espèce, il n'est nullement établi que cette autorité, à la supposer même saisie par M.C..., aurait pris une telle décision, si la commune avait effectivement pris la décision de réintégration annoncée ;
En ce qui concerne le licenciement :
5. Considérant qu'aux termes de l'article 73 de l'ordonnance n° 2005-10 du 4 janvier 2005, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-664 du 15 juin 2011 : " Les agents qui occupent un emploi permanent des collectivités et des établissements mentionnés à l'article 1er sont réputés titulaires d'un contrat à durée indéterminée de droit public s'ils remplissent les conditions énoncées ci-après à la date de promulgation de la loi n° 2011-664 du 15 juin 2011 actualisant l'ordonnance n° 2005-10 du 4 janvier 2005 portant statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs : a) Etre en fonction ou bénéficier d'un congé ; b) Avoir accompli des services continus d'une durée minimale d'un an dans un emploi permanent des collectivités ou des établissements mentionnés à l'article 1er au cours des trois années civiles précédentes ou être bénéficiaire d'un contrat d'une durée de plus de douze mois ou renouvelé par tacite reconduction pendant une durée totale supérieure à douze mois " ; qu'il résulte de l'instruction qu'à la date de promulgation de la loi du 15 juin 2011, M. C...bénéficiait d'un congé de longue durée ; qu'ainsi qu'il a été dit, il a été recruté à compter du 1er juin 1990 par la commune de Faa'a, par un contrat renouvelé ; qu'il est réputé par suite être titulaire d'un contrat à durée indéterminée de droit public ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret n° 2011-1552 du 15 novembre 2011 : " Les dispositions du présent décret s'appliquent aux agents non titulaires de droit public des collectivités et établissements mentionnés à l'article 1er de l'ordonnance n° 2005-10 du 4 janvier 2005 susvisée qui sont recrutés ou employés dans les conditions définies à l'article 8 de ladite ordonnance, dont les collaborateurs du cabinet d'une autorité communale ou d'un établissement. /Les dispositions du présent décret, à l'exception de celles du chapitre II, sont également applicables aux agents non titulaires ne remplissant pas les conditions des articles 73 et 74 de l'ordonnance du 4 janvier 2005 susvisée ou n'ayant pas exercé le droit d'option mentionné à l'article 75 de ladite ordonnance " ; que l'article 40 de ce décret dispose : " Tout manquement au respect des obligations mentionnées aux articles 21 à 24 de l'ordonnance du 4 janvier 2005 susvisée, commis par un agent non titulaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions est constitutif d'une faute l'exposant à une sanction disciplinaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par le code pénal " ; que l'article 41 de ce décret dispose : " Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être appliquées aux agents non titulaires sont : (...) 4° Le licenciement sans préavis ni indemnité de licenciement (...) " ; qu'aux termes de l'article 24 de l'ordonnance du 4 janvier 2005 : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale (...) " ;
7. Considérant qu'il résulte des décisions de licenciement en date du 6 novembre 2012 et du 18 mars 2013 que le maire de Faa'a a licencié M. C...au motif qu'il avait abandonné son poste de travail et que son absence perturbait la bonne marche du service, où il était affecté ; que, cependant, il résulte des pièces du dossier qu'à la date à laquelle il a pris les décisions litigieuses le maire de Faa'a avait été informé de l'impossibilité pour M. C...de reprendre son service en raison de son incarcération ; que, dans ces conditions, le maire n'a pu légalement justifier le licenciement de l'intéressé par son absence, laquelle ne saurait être assimilée à un abandon de poste ; que, par le jugement du 24 février 2015, le Tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la commune de Faa'a à verser une indemnité de 1 700 000 F CFP à M.C..., en réparation de cette illégalité fautive ; que M. C...soutient que le Tribunal a fait une évaluation insuffisante des préjudices causés par son licenciement et demande à la Cour de lui allouer à ce titre une indemnité d'un montant global de 27 211 650 F CFP ;
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. C...a été l'auteur de faits, constatés par l'arrêt de la Cour d'assises des mineurs de la Polynésie française du 29 mars 2012 le condamnant à la peine de cinq ans d'emprisonnement, dont la nature et la gravité étaient suffisantes, compte tenu notamment de l'atteinte portée à la réputation de la commune et même s'ils ont eu lieu en dehors du service, pour justifier la sanction disciplinaire du licenciement sans préavis ni indemnité de licenciement prévue par les dispositions précitées de l'article 41 du décret du 15 novembre 2011 ; qu'ainsi, à défaut de lien direct de causalité entre l'illégalité de son licenciement et les préjudices dont il demande réparation, les conclusions de M. C...tendant à ce que la somme que le Tribunal administratif de la Polynésie française lui a allouée soit augmentée ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions à fin de dommages et intérêts pour recours abusif :
9. Considérant qu'il n'y a pas lieu en l'espèce de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par la commune de Faa'a ;
Sur l'amende pour recours abusif :
10. Considérant qu'aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 3000 euros " ; que la faculté prévue par ces dispositions constituant un pouvoir propre du juge, les conclusions de la commune de Faa'a tendant à ce que M. C...soit condamné à une telle amende sont irrecevables ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que la commune de Faa'a n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de M. C...tendant à ce qu'une somme lui soit allouée en remboursement des frais qu'il a exposés ne peuvent qu'être rejetées ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner M. C...à verser une somme de 120 000 F CFP à la commune de Faa'a au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Faa'a tendant à la condamnation de M. C... à lui verser des dommages-intérêts pour procédure abusive et tendant à l'application de l'article R. 741-12 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : M. C...versera une somme de 120 000 F CFP à la commune de Faa'a au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C...et à la commune de Faa'a.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- M. Dalle, président assesseur,
- Mme Notarianni, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 15 décembre 2016.
Le rapporteur,
D. DALLELe président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA02097