Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 22 janvier 2020, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1921171 du 20 novembre 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- M. B... avait été informé de l'intention de l'administration de prendre à son encontre une mesure d'éloignement à destination de l'Algérie ;
- M. B... ne pouvait ignorer qu'une mesure d'éloignement serait prise à son encontre dès lors qu'il se trouvait en situation irrégulière sur le territoire français et qu'il avait fait l'objet d'une précédente décision l'obligeant à quitter le territoire français, du 5 septembre 2018 ;
- M. B... a été entendu et mis en mesure de présenter des observations relatives à sa situation personnelle et familiale dans le cadre de la garde à vue dont il a fait l'objet ;
- M. B... présente une menace réelle et grave pour l'ordre public, de sorte que les éléments relatifs à sa vie privée et familiale n'étaient pas susceptibles d'influer sur le contenu de la décision prise à son encontre.
La requête a été communiquée à M. B..., lequel n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Boizot a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 17 février 1987, de nationalité algérienne, est entré en France en 1999 selon ses déclarations. Par un arrêté du 24 octobre 2019, le préfet de police lui a fait l'obligation de quitter le territoire français en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire et en fixant son pays de destination. Le préfet de police relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.
2. Aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Les dispositions de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne sont pas en elles-mêmes invocables par un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement telle qu'une obligation de quitter le territoire français, dès lors qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article s'adresse, non pas aux Etats membres, mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. L'étranger peut néanmoins utilement faire valoir que le principe général du droit de l'Union, relatif au respect des droits de la défense, imposait qu'il soit préalablement entendu et mis à même de présenter toute observation utile sur la mesure d'éloignement envisagée. En outre, lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet se situe dans le champ d'application de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Dès lors, il lui appartient de faire application des principes fondamentaux du droit de l'Union européenne, dont celui du droit à une bonne administration. Parmi les principes que sous-tend ce dernier, figure celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de 1'Union européenne, ce droit se définit comme le droit de toute personne à faire connaître, de manière utile et effective, ses observations écrites ou orales au cours d'une procédure administrative, avant l'adoption de toute décision susceptible de lui faire grief. Cependant ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation, pour l'administration, d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations notamment relatives à la mesure dont il fait l'objet, mais suppose seulement qu'informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou orales. Enfin, une atteinte à ce droit n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle la décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, ce qu'il lui revient, le cas échéant, d'établir devant la juridiction saisie.
3. Le préfet de police soutient que M. B... a été informé de l'intention de l'administration de prendre à son encontre une mesure d'éloignement à destination de l'Algérie, antérieurement à l'arrêté contesté. Toutefois, il ne produit aucune pièce de nature à établir la réalité de ces allégations. Par ailleurs, si le préfet de police fait valoir que M. B... a été mis à même de présenter les éléments relatifs à sa situation personnelle et familiale dans le cadre de la garde à vue dont il a fait l'objet, il ne produit pas de procès-verbal d'audition établissant que l'intéressé aurait été informé de l'intention de l'administration de prendre à son encontre une mesure d'éloignement et qu'il aurait pu, à cette occasion, présenter des observations. Dès lors, nonobstant la circonstance que M. B... ait été conscient de se trouver irrégulièrement sur le territoire français et ait fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, le préfet de police a porté atteinte au droit de l'intéressé d'être entendu. En outre, si le préfet de police fait valoir que l'arrêté contesté est fondé sur la menace réelle et grave pour l'ordre public que constitue la présence de M. B... sur le territoire français, il est constant que l'administration était tenue d'apprécier les conséquences de cette mesure d'éloignement sur la situation personnelle de l'intéressé. Or, M. B... s'est prévalu devant le premier juge, sans être contredit, d'une part, de ce que son père et ses deux sœurs résident régulièrement sur le territoire français, d'autre part, de sa présence en France depuis l'âge de 12 ans. A cet égard, M. B... a notamment produit des pièces justifiant de sa présence en France en 2000 et de sa scolarisation, à Paris, au cours des années scolaires 2001/2002, 2002/2003 et 2003/2004. Ces éléments, relatifs, d'une part, à la situation familiale de l'intéressé, d'autre part, à son appartenance à une catégorie de personnes ne pouvant faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, étaient susceptibles d'influer sur le sens de la décision contestée. Dans ses conditions, le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté contesté pour vice de procédure.
4. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé l'arrêté du 24 octobre 2019 obligeant M. B... à quitter le territoire français, en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire et en fixant son pays de destination, d'autre part, enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président de chambre,
- M. Soyez, président-assesseur,
- Mme Boizot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 24 septembre 2021.
La rapporteure,
S. BOIZOTLe président,
S. CARRERE
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA00218