Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 mai 2017, 29 mai 2017 et 1er mars 2018, le centre hospitalier Sud Francilien, représenté par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1303729 du tribunal administratif de Versailles et de rejeter les conclusions des consorts G....
Il soutient que :
- c'est à tort que le Tribunal a jugé qu'en ne pratiquant pas les examens complémentaires qui auraient permis de révéler l'insuffisance rénale et potentiellement la leucémie et en autorisant l'enfant à sortir de l'établissement, le centre hospitalier a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
- c'est à tort que le Tribunal a jugé qu'en prescrivant les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) le 31 juillet sans attendre les résultats de l'analyse médicale, le centre hospitalier a commis une seconde faute ;
- le rapport critique établi par le docteur Bovier-Lapierre rappelle que l'enfant ne présentait pas les signes cliniques habituels d'une leucémie aigue lymphoblastique ;
- la prise d'Advil était justifiée par le diagnostic de migraine et les examens complémentaires n'étaient pas requis car l'enfant ne souffrait pas d'une infection rénale organique ;
- au regard de la gravité de la maladie et de l'impossibilité d'affirmer que la prescription d'un AINS aurait contribué au décès, il ne peut être affirmé que les manquements fautifs imputés auraient fait perdre une chance réelle d'éviter le décès ;
- les indemnités allouées ne peuvent être jugées comme insuffisantes : la demande relative aux frais d'obsèques n'est ni chiffrée ni justifiée, la demande de majoration au titre du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées n'est pas justifiée, les sommes allouées en réparation du préjudice moral sont conformes à ce qu'accorde traditionnellement le juge.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de Mme Margerit, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., substituant Me H..., pour les consorts G....
Considérant ce qui suit :
1. Tom G..., né le 27 février 2002, a été conduit aux urgences pédiatriques du centre hospitalier Sud Francilien, le 30 juillet 2010, pour des douleurs abdominales paroxystiques, une anorexie, des vomissements et des céphalées. Une migraine a été diagnostiquée et un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) lui a été notamment administré. Devant la cessation des troubles, il a été autorisé à retourner au domicile familial avec une ordonnance de 400 mg d'Advil, trois fois par jour. Le 31 juillet, à 15h, il a de nouveau été admis aux urgences pédiatriques du même établissement, pour une récidive des troubles accompagnée d'une perte de poids de 1,7 kg depuis la veille. Un bilan ionique a été effectué à 16h30 et une perfusion de sérum glucosé associé à un traitement antalgique et à un AINS lui a été administrée vers 17h par le personnel soignant de l'établissement. Le retour au domicile a été autorisé à 22h, après 6h de réhydratation veineuse en unité de soins rapprochés. Le lendemain, à 5h, il a été ramené aux urgences en raison d'une dégradation sévère de son état. Les bilans et prélèvements effectués ont permis de révéler une anémie modérée accompagnée d'une insuffisance rénale organique. L'enfant a ensuite été admis au centre hospitalier universitaire Bicêtre où une leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) a été diagnostiquée le 1er août. Il a encore été transféré le 2 août à l'hôpital Robert Debré, où il est décédé le 19 septembre 2010 des suites d'une micro-angiopathie thrombotique (MAT).
2. Les consorts G... ont saisi, le 20 avril 2011, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) d'Ile-de-France qui a diligenté une expertise médicale. Aux termes de son rapport en date du 18 septembre 2012, l'expert a considéré que le centre hospitalier Sud Francilien avait commis des fautes dans la prise en charge du jeune B... G... de nature à engager sa responsabilité. Dans son avis du 29 novembre 2012, la CRCI a considéré que le rôle causal des AINS n'était pas suffisamment établi dès lors qu'il n'était qu'hypothétique. Par un courrier du 26 février 2013, les consorts G... ont saisi le centre hospitalier Sud Francilien d'une demande d'indemnisation. Par une décision expresse du 24 mai 2013, le centre hospitalier Sud Francilien a rejeté cette demande. Le centre hospitalier Sud Francilien fait appel du jugement n° 1303729 du 14 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Versailles l'a condamné à verser une somme totale de 57 000 euros en réparation des préjudices liés au décès de l'enfant. Les consorts G... ont formé un appel incident par lequel ils sollicitent une indemnisation à hauteur de 76 000 euros pour le déficit fonctionnel temporaire, 50 000 pour chacun des parents au titre du préjudice d'accompagnement et d'affection, 25 000 euros pour le frère et 25 000 euros pour la soeur au titre du préjudice moral, l'indemnisation des frais d'obsèques et la réformation du jugement en ce sens.
Sur la responsabilité :
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.(...) ".
4. Le centre hospitalier soutient, d'une part, qu'il n'a pas commis de faute le 30 juillet 2010 dès lors que la prise d'Advil était justifiée par le diagnostic de migraine et que des examens complémentaires n'étaient pas requis car l'enfant ne souffrait pas d'une infection rénale organique, d'autre part, qu'il n'a pas commis de faute en prescrivant les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) le 31 juillet, sans attendre les résultats de l'analyse médicale.
5. Une erreur ou un retard de diagnostic ne sont pas constitutifs d'une faute lorsque le médecin qui n'est tenu qu'à une obligation de moyens a agi conformément aux règles de l'art et aux données acquises de la science. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert devant la CRCI, que l'examen clinique complet de l'enfant ne pouvait pas orienter d'emblée vers une hémopathie maligne en l'absence d'organomégalie, de pâleur franche, de purpura et de syndrome infectieux. Les céphalées et les troubles digestifs étaient en outre compatibles avec le diagnostic de migraine. Dès lors, le centre hospitalier Sud Francilien est bien fondé à soutenir que la prescription d'Ibuprofène, le 30 juillet 2010, n'était pas fautive. Toutefois, la nouvelle prescription d'AINS le 31 juillet 2010, l'Advil étant administré ce jour-là sans attendre le résultat du bilan sanguin et alors que l'enfant avait encore perdu du poids et qu'il était déshydraté, est bien constitutive d'une imprudence fautive.
Sur les préjudices et l'appel incident :
6. En premier lieu, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
7. En l'espèce, l'expert devant la CRCI relève que la microangiopathie thrombotique dite MAT dont est décédé l'enfant le 19 septembre 2010 peut trouver sa cause dans la leucémie lymphoblastique, dans une infection, dans un médicament ou dans un élément génétique prédisposant. Si l'élément génétique a pu être écarté à la suite de prélèvements, ce même expert considère que l'AINS prescrit serait à l'origine de la néphropathie qui aurait évolué vers une nécrose tubulaire aigue (NTA) toxique. Il estime par ailleurs que, en l'absence de prise d'AINS, l'enfant n'aurait pas développé d'insuffisance rénale aigue organique, que le rôle de l'atteinte rénale post-AINS qui a par ailleurs majoré la toxicité de la chimiothérapie est hypothétique mais plausible dans la survenue de la MAT et qu'il existait 50 % de chances pour que les AINS soient responsables de la MAT. L'expert mandaté par le centre hospitalier considère quant à lui que la seule prescription d'AINS ne pouvait entrainer la survenance de l'insuffisance rénale aigue dès lors que les cas référencés par l'expert ne correspondent pas au tableau clinique présenté par Tom, caractérisé par une atteinte cérébrale et pulmonaire et par son extrême gravité, qu'il est difficile de retenir que la faible dose administrée le 31 juillet soit responsable d'une aggravation aussi rapide de l'état de santé et que les complications sont en relation avec la leucémie et / ou les conséquences de la chimiothérapie, le syndrome de lyse tumorale étant la principale cause de l'insuffisance rénale aigue révélatrice de la maladie majorée par l'infiltration blastique rénale bilatérale. Toutefois, l'expert du centre hospitalier admet qu'il est connu que les AINS peuvent aggraver la fonction rénale chez l'enfant hypovolémique. Dès lors, alors même que ces cas de complications rénales seraient des cas isolés et associés à d'autres pathologies, le centre hospitalier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Versailles a jugé que l'administration fautive des AINS avait fait perdre à l'enfant une chance de survie qui pouvait être évaluée à 50 %.
8. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que l'enfant B... G... a subi un déficit fonctionnel temporaire total du 30 juillet au 19 septembre 2010 et a enduré des souffrances évaluées à 6 sur une échelle de 7. C'est par une juste appréciation que le tribunal a évalué ces préjudices en fixant leur réparation à la somme totale de 34 000 euros, soit 17 000 euros compte tenu du taux de perte de chance retenu.
9. En troisième lieu, ainsi que le relève le centre hospitalier, M. et Mme G... ne présentent pas plus en appel qu'en première instance de facture relative aux frais d'obsèques. Par suite, leur demande sur ce chef de préjudice ne peut qu'être rejetée.
10. En quatrième lieu, c'est par une juste appréciation que le tribunal a évalué les préjudices d'affection et d'accompagnement subis par les parents du jeune B... G... consécutivement au décès de leur fils en fixant leur indemnisation à la somme de 30 000 euros chacun soit, compte tenu du taux de perte de chance, à 15 000 euros pour chacun des parents ;
11. En cinquième lieu, le tribunal a évalué les préjudices d'affection et d'accompagnement subis par Léa G..., représentée par ses parents, et par M. C... G... consécutivement au décès de leur petit frère en fixant leur réparation à la somme de 10 000 euros chacun soit, compte tenu du taux de la perte de chance, à 5 000 euros. Toutefois, eu égard au fait que Léa et Alan résidaient avec leur jeune frère et aux circonstances du décès, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en fixant sa réparation à la somme de 20 000 euros chacun, soit, compte tenu du taux de perte de chance, à 10 000 euros pour chacun.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts G... sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a indemnisé le préjudice personnel d'Alan et de Léa G... par une somme de 5 000 euros chacun. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Centre hospitalier Sud Francilien le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par les consorts G... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête du centre hospitalier Sud Francilien est rejetée.
Article 2 : Les sommes que le Centre hospitalier Sud Francilien est condamné à verser respectivement à M. C... G... et à Mme A... G... au nom de leurs préjudices personnels sont portées à 10 000 euros pour chacun.
Article 3 : Le jugement n° 1303729 du tribunal administratif de Versailles est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le centre hospitalier Sud Francilien versera la somme de 1 000 euros aux consorts G... en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des consorts G... est rejeté.
N° 17VE01478 2