Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 mai 2017 et 28 septembre 2017, M. C..., représenté par Me Medjati, avocat, demande à la Cour d'annuler ce jugement en ce qu'il a écarté toute indemnisation au titre de la perte de chance, de condamner l'Agence de la biomédecine à lui verser une somme de 120 000 euros en réparation du préjudice causé par un greffon cadavérique pathogène qui lui a été implanté et de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'Agence de la biomédecine a fourni à l'établissement de santé un greffon malade qui l'a contaminé mais a également manqué à son obligation d'information sur la qualité du greffon qu'elle mettait à disposition ;
- ce faisant, l'Agence de la biomédecine lui a fait perdre une chance de refuser cette transplantation mais aussi de pouvoir atteindre la durée moyenne d'un rein greffé ;
- même s'il avait été correctement informé et n'aurait pas refusé la transplantation, le manquement au devoir d'information demeurerait réparable.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2004-800 du 6 août 2004, notamment son article 2 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Margerit, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., pour l'Agence de la biomédecine.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., né en 1963 et atteint depuis 1985 de la maladie de Berger, maladie auto-immune atteignant les reins et soumis, depuis 2002, à une prise en charge palliative en hémodialyse trois fois par semaine, a bénéficié le 1er août 2004 d'une greffe rénale gauche au sein de l'hôpital Salvator de Marseille, qui relève de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM). Le donneur était toutefois atteint d'un diabète et d'une protéinurie et M. C... a ensuite été contraint de suivre des traitements lourds à ce titre. La durée de vie de ce greffon a en outre été limitée à neuf années et une reprise en charge en hémodialyse a été nécessaire à compter du mois de mars 2013, l'intéressé étant alors à nouveau inscrit sur une liste d'attente pour recevoir une greffe de rein. M. C... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Marseille qui a nommé le 7 novembre 2013 le professeur Denis Vincent en qualité d'expert. Son rapport a été déposé le 26 août 2014. L'expert relève que l'AP-HM n'a commis aucun manquement, ayant rempli son obligation d'information auprès de M. C..., tant au moment de l'inscription sur la liste de transplantation qu'au moment de la pratique de la greffe et que les traitements administrés étaient adaptés à l'état du patient. En revanche, ce même rapport retient la responsabilité de l'Agence de la biomédecine, en raison du défaut d'information sur la qualité du greffon et la perte de chance d'atteindre la durée moyenne des reins greffés. Par courrier du 4 novembre 2016, reçu le 7 novembre 2016, M. C... a demandé que l'Agence de la biomédecine soit condamnée à lui payer la somme de 120 000 euros au titre des préjudices résultant des fautes commises par celle-ci.
Sur la faute résultant de la fourniture à l'AP-HM d'un greffon pathogène :
2. D'une part, aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique dans sa version alors en vigueur : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 1251-1 du même code, dans sa version alors en vigueur : " Peuvent seules bénéficier d'une greffe d'organes, de moelle, de cornée ou d'autres tissus dont la liste est fixée par arrêté, après avis de l'Etablissement français des greffes, les personnes, quel que soit leur lieu de résidence, qui sont inscrites sur une liste nationale. L'Etablissement français des greffes est un établissement public de l'Etat, placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé. Il est chargé de l'enregistrement de l'inscription des patients sur la liste définie à l'alinéa précédent, de la gestion de celle-ci et de l'attribution des greffons, qu'ils aient été prélevés en France ou hors du territoire national. L'Etablissement français des greffes est, en outre, notamment chargé : 1° De promouvoir le don d'organes, de moelle, de cornée ou d'autres tissus en participant à l'information du public ; 2° D'établir et de soumettre à homologation par arrêté du ministre chargé de la santé les règles de répartition et d'attribution des greffons ; celles-ci devront prendre en considération le caractère d'urgence que peuvent revêtir certaines indications de greffe ; 3° De donner un avis à l'autorité compétente en ce qui concerne les organismes autorisés à importer et à exporter les tissus et les cellules issus du corps humain ; 4° De donner un avis au ministre chargé de la santé sur les autorisations prévues au chapitre II du titre II du livre Ier de la partie VI. ". Aux termes de l'article R. 1251-1 du même code, dans sa version alors en vigueur : " Au titre des missions qui lui sont dévolues, l'Etablissement français des greffes est chargé : 1° En vue d'une bonne application des règles relatives à la gestion de la liste nationale des patients, à la répartition et à l'attribution des greffons : a) De coordonner les activités de prélèvement et de greffe d'organes, de moelle osseuse, de tissus dont la cornée et de cellules issues du corps humain, à l'exclusion de celles qui relèvent du chapitre Ier du titre II du livre II de la présente partie, y compris les échanges internationaux dont les greffons font l'objet, et de définir les modalités et l'organisation territoriale de cette coordination ; b) De recueillir les informations nécessaires à l'évaluation des activités de prélèvement et de greffe et à l'analyse des résultats obtenus par type de greffe et par équipe ; c) De gérer un fichier national de donneurs volontaires non apparentés de moelle osseuse et de définir les conditions d'interrogation des fichiers européens et internationaux ; 2° De promouvoir la qualité de l'appariement immunologique ; 3° De donner un avis à l'autorité administrative compétente préalablement à la délivrance à des établissements de santé de l'autorisation de pratiquer des prélèvements ; 4° De donner un avis au ministre des affaires étrangères sur les demandes de visa pour motif sanitaire présentées par des patients non-résidents lorsque ces demandes sont faites en vue d'opérations de prélèvement ou de greffe ; 5° De promouvoir et de favoriser l'innovation scientifique ; de participer à l'enseignement et à la recherche dans le domaine des greffes ; 6° De proposer toutes mesures permettant d'assurer la meilleure sécurité possible dans les activités de greffe. ".
4. En vertu des articles L. 1251-1 et R. 1251-1 du code de la santé publique, alors en vigueur, l'Etablissement français des greffes était notamment chargé de l'enregistrement de l'inscription des patients sur une liste nationale des personnes en attente de greffe, de la gestion de cette liste et de l'établissement des règles de répartition et d'attribution des greffons, qu'il soumettait à homologation par arrêté du ministre chargé de la santé. Aucune disposition législative ou réglementaire ne lui conférait la mission d'effectuer un contrôle de l'état des organes prélevés à des fins de greffe, de donner des directives aux établissements habilités à effectuer des prélèvements d'organes ou de procéder à des examens bactériologiques de ces organes avant leur transplantation. Sa responsabilité ne saurait, dès lors, être engagée en conséquence de la fourniture ou de l'absence de contrôle d'un greffon pathogène.
Sur la faute liée à l'absence d'information donnée par l'Etablissement français des greffes à l'AP-HM sur la qualité du greffon :
5. En vertu de l'article R. 1211-19 du code de la santé publique alors en vigueur : " Pour être utilisé à des fins thérapeutiques, tout élément ou produit du corps humain prélevé ou collecté doit être accompagné d'un document comportant un compte rendu d'analyses signé par le responsable des analyses de biologie médicale pratiquées mentionnant les résultats individuels de ces analyses conformément aux articles R. 1211-14 à R. 1211-16. Ce compte rendu (...) est produit sous la forme d'original, de télécopie ou sous toute autre forme présentant des garanties d'authenticité. (..) Figurent en outre sur ce document : 1° Les informations dont le recueil est prescrit par l'article R. 1211-13 ; 2° Les informations contenues sur l'étiquette apposée sur le conditionnement extérieur et le conditionnement primaire, au sens de l'article R. 5000, de l'élément ou produit du corps humain ; 3° Les informations permettant d'assurer la traçabilité des éléments et produits du corps humain, soit le lien entre le donneur et le receveur en partant du prélèvement jusqu'à la dispensation (...) Le médecin utilisateur est tenu de prendre connaissance de ce document. ". Aux termes de l'annexe de l'arrêté du 27 février 1998 portant homologation des règles de bonnes pratiques relatives au prélèvement d'organes à finalité thérapeutique sur personne décédée : " (...) I.3.3.1 les médecins du donneur (...) sont responsables de la transmission des informations aussi précises que possible concernant le donneur, en particulier celles susceptibles de donner des indications quant à la qualité des greffons, qui sont transmises à la coordination interrégionale de l'Etablissement français des greffes et aux équipes de greffe. (...) ".
6. En l'espèce, il n'est pas contesté que l'information relative à la protéinurie du greffon figurait sur une fiche dite Cristal du 31 juillet 2004 qui, en vertu de l'article R. 1211-19 précité, accompagne le greffon tout comme le bordereau descriptif du rein qui indiquait aussi, lui à tort, l'absence de protéinurie. Si M. C... soutient qu'il n'est pas établi que la fiche Cristal ait été communiquée à l'établissement receveur et que cette faute est susceptible d'engager la responsabilité de l'Agence de la biomédecine, il ressort des textes précités que le greffon ne peut être utilisé s'il n'est pas accompagné de ce document dont le médecin utilisateur doit prendre connaissance et que les médecins du donneur sont responsables de la transmission de ces informations. Par ailleurs, il ne ressort ni des articles L. 1251-1 et R. 1251-1 du code de la santé publique ni de l'article R. 1211-19 du même code que l'Agence de la biomédecine, qui ne dispose pas d'équipes dans les établissements de santé et qui a pour rôle essentiel de s'assurer du respect de la réglementation à travers la mise en place de procédures et de modifications de celles-ci en cas de problèmes constatés a posteriori, intervienne dans la transmission de ces documents. Dès lors, l'Agence de la biomédecine est bien fondée à soutenir que c'est par une erreur de droit que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a retenu qu'elle était tenue à une obligation d'information à l'égard de l'équipe médicale chargée de la transplantation et a retenu par suite à son encontre une carence informative fautive sur la qualité du greffon.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, que celui-ci doit être annulé en tant qu'il a condamné l'Agence de la biomédecine à verser la somme de 5 000 euros à M. C.... Par voie de conséquence, les conclusions de M. C... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de M. C... la somme de 2 000 euros à verser à l'Agence de la Biomédecine sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1601875 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé en tant qu'il a condamné l'Agence de la biomédecine à verser la somme de 5 000 euros à M. C....
Article 2 : La requête et la demande de première instance de M. C... sont rejetées.
Article 3 : M. C... versera la somme de 2 000 euros à l'Agence de la biomédecine.
Article 4 : Le surplus des conclusions de l'appel incident est rejeté.
N° 17VE01529 2