Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 février et 18 octobre 2017, la société LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON, représenté par le cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre, pris en la personne de Me C... et Me B..., avocats, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1° de constater qu'il n'y a plus lieu de statuer sur ses conclusions tendant à la décharge de la fraction de cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés au titre des années 2009 et 2010, en conséquence de la réintégration des abandons de créances et des subventions consenties par sa filiale, la société Berluti, à la société Manifattura Ferrarese ;
2° d'annuler l'article 2 du jugement du Tribunal administratif de Montreuil, en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2008 et 2010, se rapportant au crédit d'impôt-recherche ;
3° de prononcer la décharge de ces impositions ;
4° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'activité de fabrication sur mesure de la société Berluti et celle de fabrication en prêt-à-chausser de sa filiale italienne ont un caractère industriel ;
- la relation entre la société Berluti et sa filiale est, pour l'activité de prêt-à-chausser, caractéristique de la sous-traitance ;
- l'exclusion de la société Berluti du bénéfice du dispositif de crédit d'impôt-recherche collection, du fait de l'exercice de son activité par l'intermédiaire de sa filiale établie dans un Etat membre de l'Union européenne, méconnaît les principes communautaires de liberté d'établissement d'une filiale et d'une succursale.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Errera, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., pour la société LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON.
Considérant ce qui suit :
1. La société Berluti, membre d'un groupe fiscalement intégré au sens des dispositions de l'article 223 A du code général des impôts, exerce une activité de création de collections d'articles de maroquinerie et de chaussures dites en prêt-à-chausser, dont elle confie la production à sa filiale italienne, la société Manifattura Ferrarese, avant de la revendre. Elle a également pour activité la création de collections de chaussures sur mesure, dont elle assure la fabrication dans son atelier parisien. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2008, 2009 et 2010. A l'issue de ces opérations, l'administration fiscale a réintégré aux résultats imposables des années 2009 et 2010 les aides financières accordées à sa filiale italienne. Elle a également remis en cause l'assiette du crédit d'impôt-recherche déclaré au titre des années 2008 à 2010, et en particulier le crédit d'impôt des années 2008 et 2010 se rapportant aux dépenses de collection. Les suppléments d'impôt sur les sociétés correspondant à ces rectifications ont été assignés à la société mère du groupe, la société LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON. Après admission partielle de sa réclamation, cette dernière a saisi le Tribunal administratif de Montreuil à fin de décharge des sommes laissées à sa charge. Par un jugement n° 1508193 du 15 décembre 2016, cette juridiction a prononcé la décharge partielle de la fraction de cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés au titre des années 2008, 2009 et 2010, en conséquence de l'intégration dans le crédit impôt-recherche de la participation de cette société au coût des titres-restaurant, et rejeté le surplus de sa requête. La société LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON relève appel de ce jugement.
Sur l'étendue du litige :
2. Par décisions des 2 août et 17 novembre 2017 postérieures à l'introduction de la requête, l'administratrice générale des finances publiques chargée de la division nationale des vérifications nationales et internationales a prononcé le dégrèvement, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés auxquelles la société LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON a été assujettie, à concurrence, respectivement, des sommes de 1 217 149 euros et 40 165 euros au titre de l'année 2009, et de 248 266 euros et 8 193 euros au titre de l'année 2010. Les conclusions de la requête relatives à ces impositions sont, dans cette mesure, devenues sans objet.
Sur le surplus des conclusions de la requête :
3. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année (...) / II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : / (...) h) Les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections exposées par les entreprises industrielles du secteur textile-habillement-cuir (...) ".
En ce qui concerne les dépenses liées aux nouvelles collections de chaussures sur mesure :
4. Revêtent un caractère industriel, au sens des dispositions citées au point précédent, les entreprises du secteur textile-habillement-cuir exerçant une activité de fabrication ou de transformation de biens corporels mobiliers qui nécessite d'importants moyens techniques.
5. Il résulte de l'instruction que l'activité de fabrication de chaussures sur mesure, réalisée par la société Berluti au sein de son atelier parisien, nécessite notamment le recours à une presse, une machine électrique à cambrer, des machines électriques à parer et refendre le cuir, un banc de ponçage, un grand touret, plusieurs machines à coudre professionnelles, dont une machine à pilier, et une denteleuse. La valeur de ces machines et outils représente, au bilan de l'exercice clos en 2009 et 2010, les sommes respectives de 155 741 euros et 168 344 euros. Ainsi, et alors que sont sans incidence, pour l'appréciation du caractère industriel d'une entreprise, au sens des dispositions litigieuses, la part relative de ces matériels au sein des immobilisations dont la société dispose, l'importance de la masse salariale des employés affectés à l'atelier de fabrication, ou encore le chiffre d'affaires dégagé par cette activité, l'importance des moyens techniques nécessitée par l'activité en cause permet de regarder la société Berluti comme industrielle.
En ce qui concerne les dépenses liées aux nouvelles collections de chaussures dites en prêt-à-chausser :
6. En adoptant les dispositions du II de l'article 244 quater B du code général des impôts précitées, le législateur a entendu, par l'octroi d'un avantage fiscal, soutenir l'industrie manufacturière en favorisant les systèmes économiques intégrés qui allient la conception et la fabrication de nouvelles collections. Il en résulte que le bénéfice du crédit d'impôt-recherche est ouvert, sur le fondement de ces dispositions, aux entreprises qui exercent une activité industrielle dans le secteur du textile, de l'habillement et du cuir lorsque les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections sont exposées en vue d'une production dans le cadre de cette activité.
7. Ainsi que l'appelante le soutient, la société Berluti conçoit les modèles de souliers en prêt-à-chausser dont elle confie l'intégralité de la production à sa filiale italienne. N'ayant exposé aucune dépense de fabrication ou de transformation dans le cadre de cette activité, elle ne peut être regardée, pour l'activité en cause, comme étant une entreprise industrielle du secteur textile-habillement-cuir, sans que la société LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON ne puisse utilement se prévaloir d'une violation du principe communautaire de liberté d'établissement.
8. Il résulte de ce qui précède que la société LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil ne lui a pas accordée la décharge, en tant qu'elle se rapporte au crédit d'impôt-recherche lié aux nouvelles collections de chaussures sur mesure, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2008 à 2010.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code justice administrative :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante pour l'essentiel, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de la société LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON à concurrence de la somme de 1 257 314 euros au titre de l'année 2009 et de la somme de 256 459 euros au titre de l'année 2010.
Article 2 : La société LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON est déchargée de la fraction de cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés au titre des années 2008, 2009 et 2010, relatives à la reprise du crédit impôt-recherche se rapportant aux nouvelles collections de chaussures sur mesure de la société Berluti.
Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Montreuil n° 1508193 du 15 décembre 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la société LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON est rejeté.
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N° 17VE00478