Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les
12 novembre 2019 et 11 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du
26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- Le rapport de M. Bertrand Mathieu, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- Les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. A..., ressortissant bangladais, est entré en France le 10 février 2018 en vue d'y obtenir l'asile et qu'il a déposé une demande en ce sens auprès de la Préfecture du Val-d'Oise le 16 avril. Ayant constaté, à l'occasion du traitement de sa demande. que ses empreintes digitales avaient été relevées en Autriche, les autorités françaises ont adressé aux autorités autrichiennes, en application de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement et du Conseil en date du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, une demande de reprise en charge qui a été acceptée le 28 mai. Le 24 septembre 2018, le préfet du Val-d'Oise a notifié à M. A... un premier arrêté portant transfert aux autorités autrichiennes ainsi qu'un second arrêté l'assignant à résidence pour une durée de 45 jours. M. A... a formé un recours à l'encontre de ces deux arrêtés, qui ont été annulés par un seul jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rendu le 5 octobre 2018. Sur appel du préfet du Val-d'Oise, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé le jugement rendu en première instance et rejeté la demande du requérant par un arrêt du 12 février 2019 contre lequel se pourvoit le requérant.
Sur les conclusions à fin de non-lieu :
2. Aux termes du premier alinéa du 1 de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 précité : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. " Aux termes du I de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742 3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction ou les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine. / Aucun autre recours ne peut être introduit contre la décision de transfert. / L'étranger peut demander au président du tribunal ou au magistrat désigné par lui le concours d'un interprète. L'étranger est assisté de son conseil, s'il en a un. Il peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin qu'il lui en soit désigné un d'office. / L'audience est publique. Elle se déroule sans conclusions du rapporteur public, en présence de l'intéressé, sauf si celui-ci, dûment convoqué, ne se présente pas. / Toutefois, si, en cours d'instance, l'étranger est placé en rétention en application de l'article L. 551-1 du présent code ou assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, il est statué selon la procédure et dans les délais prévus au II du présent article. ".
3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
4. La requête M. A... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a interrompu le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Autriche. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification au préfet du Val-d'Oise du jugement de ce tribunal en date du 5 octobre 2018 et n'a pas été interrompu par l'appel du préfet devant la cour administrative d'appel de Versailles. A la date à laquelle M. A... a saisi le Conseil d'Etat d'un pourvoi contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles, la France était devenue responsable de l'examen de sa demande de protection. Le litige étant dès lors privé d'objet, s'agissant de la décision de transfert, ce pourvoi est irrecevable et doit être rejeté dans cette mesure.
5. Il n'en va toutefois pas de même en ce qui concerne la décision par laquelle le requérant a été assigné à résidence pour une durée de 45 jours qui a reçu exécution.
Sur les conclusions du pourvoi en tant qu'elles sont relatives à la décision d'assignation à résidence :
6. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ". Aux termes de l'article R. 711-2 du même code : " Toute partie est avertie, par une notification faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par la voie administrative mentionnée à l'article R. 611-4, du jour où l'affaire sera appelée à l'audience ".
7. Il ressort des pièces du dossier qu'aucun avis d'audience n'a été adressé à M. A... ou à son avocat pour les avertir de l'existence du recours formé par le préfet du Val-d'Oise à l'encontre du jugement rendu en première instance et de la date laquelle celui-ci devait être examiné. Dès lors qu'il ne ressort pas de ces mêmes pièces qu'il ait été présent ou représenté à l'audience, M. A... est fondé à soutenir, en dépit de la mention du jugement selon laquelle les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience, que la cour a statué au terme d'une procédure irrégulière.
8. Il résulte de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a statué sur la décision d'assignation à résidence.
9. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi de M. A... en tant que l'arrêt du 9 février 2019 se prononce sur la demande d'annulation de l'arrêté du 24 septembre 2018 par lequel le préfet du Val d'Oise a décidé de son transfert aux autorités autrichiennes.
Article 2 : L'arrêt du 9 février 2019 de la cour administrative de Versailles est annulé en tant qu'il a statué sur l'arrêté du préfet du Val-d'Oise du 24 septembre 2018 ordonnant l'assignation à résidence de M. A....
Article 3 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... et au ministre de l'intérieur.