1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la protestation formée par M. C... ;
3°) de mettre à la charge de celui-ci une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code électoral ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 dans la commune de Crespin (Nord), vingt-et-un sièges de conseillers municipaux ont été pourvus en faveur de la liste " Crespin passionnément ", conduite par M. A..., maire sortant, tandis que six sièges étaient attribués à la liste " Crespin se construit avec vous ! " menée par M. C..., ces listes ayant réuni respectivement 685 et 680 voix. M. A... relève appel du jugement du 28 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé ces opérations électorales. Par la voie de l'appel incident, M. C... sollicite l'annulation de ce même jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à ce que M. A... soit déclaré inéligible.
Sur la requête de M. A... :
En ce qui concerne la recevabilité de la protestation :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête (...) contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 119 du code électoral : " Les réclamations contre les opérations électorales doivent être consignées au procès-verbal, sinon être déposées, à peine d'irrecevabilité, au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l'élection, à la sous-préfecture ou à la préfecture. (...) / Les protestations peuvent également être déposées directement au greffe du tribunal administratif dans le même délai (...) ".
4. L'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a en outre habilité le Gouvernement, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnances " toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi (...) 2° (...) b) Adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d'un droit, fin d'un agrément ou d'une autorisation ou cessation d'une mesure, à l'exception des mesures privatives de liberté et des sanctions. Ces mesures sont rendues applicables à compter du 12 mars 2020 (...) ". Sur le fondement de ces dispositions, le 3° du II de l'article 15 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif a prévu que : " Les réclamations et les recours mentionnées à l'article R. 119 du code électoral peuvent être formées contre les opérations électorales du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020 au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la date de prise de fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès ce tour, fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020 dans les conditions définies au premier alinéa du III de l'article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 susvisée ou, par dérogation, aux dates prévues au deuxième ou troisième alinéa du même III du même article ". L'article 1er du décret du 14 mai 2020 définissant la date d'entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dont le conseil municipal a été entièrement renouvelé dès le premier tour des élections municipales et communautaires organisé le 15 mars 2020 prévoit que : " (...) les conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dans lesquelles le conseil municipal a été élu au complet lors du scrutin organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction le 18 mai 2020 ".
5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, combinées avec celles du second alinéa de l'article 642 du code de procédure civile selon lesquelles " Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant ", que les réclamations contre les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pouvaient être formées et régularisées au plus tard le lundi 25 mai 2020 à dix-huit heures.
6. Il résulte de l'instruction que la protestation de M. C... a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Lille le 18 mars 2020 et a été complétée par un mémoire reçu le 23 mai 2020 dont il est constant qu'il comportait des griefs en droit assortis de précisions suffisantes. Par suite M. A... n'est pas fondé à soutenir que le tribunal a écarté à tort la fin de non-recevoir qu'il tirait de la méconnaissance, par la protestation initiale de M. C..., des dispositions précitées de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, au motif que cette protestation aurait été dépourvue de tout grief.
En ce qui concerne les opérations électorales :
7. En premier lieu, si M. A... soutient que le taux d'abstention dans la commune de Crespin a atteint le taux inhabituel de 52,39 % et qu'il aurait été le bénéficiaire de la plupart des voix des électeurs qui ont renoncé à se déplacer à cause de l'épidémie de covid-19, cette allégation non justifiée n'est pas de nature à remettre en cause la réalité du faible écart, de cinq voix, qui a séparé les deux listes à l'issue des opérations électorales organisées le 15 mars 2020.
8. En second lieu, aux termes de l'article L. 48-2 du code électoral : " Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale. "
9. D'une part, il résulte de l'instruction que le 12 mars 2020 Mme D..., colistière de M. A..., a diffusé sur son profil Facebook un message insinuant qu'elle avait fait l'objet, de la part des membres de la liste conduite par M. C..., d'intimidations à deux reprises et que, en son absence, sa mère avait été victime de faits similaires. Dans ce message, Mme D... affirmait avoir à sa disposition une vidéo qu'elle se réservait la possibilité d'utiliser. Si le profil employé pour diffuser cette accusation était accessible aux seuls " amis " de Mme D..., il n'est pas contesté que ce message a suscité l'approbation de 101 personnes et a fait l'objet de 53 commentaires de soutien. Enfin, si M. C..., informé de l'accusation qui tendait à discréditer les candidats de sa liste et qui constituait un élément nouveau de polémique au sens de l'article L. 48-2 du code électoral, a pu y répondre le lendemain par l'intermédiaire du même réseau social, l'effet utile de cette réponse ne peut pas être apprécié.
10. D'autre part, il n'est pas contesté que le vendredi 13 mars 2020 à partir de 21h30, un tract de la liste " Crespin passionnément ", conduite par M. A..., a été distribué massivement aux habitants de la commune. Or il résulte de l'instruction que ce document mettait en cause pour la première fois, d'une part, les motivations et la légitimité de M. C... à se porter candidat dans une commune dans laquelle il ne résidait pas et, d'autre part et surtout, son absence de prise de position sur le thème de la pérennisation et du développement du commerce de proximité, à un moment où l'intéressé, pourtant commerçant de profession, n'avait plus la possibilité de répondre utilement à ces nouveaux éléments de polémique électorale.
11. La conjonction de deux manoeuvres mentionnées aux points précédents a, compte tenu du très faible écart des voix, altéré la sincérité du scrutin.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 en vue de l'élection des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Crespin.
Sur l'appel incident de M. C... :
13. Aux termes de l'article L. 118-4 du code électoral : " Saisi d'une contestation formée contre l'élection, le juge de l'élection peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manoeuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. " Il résulte de ces dispositions que, régulièrement saisi d'un grief tiré de l'existence de manoeuvres, le juge de l'élection peut, le cas échéant d'office, et après avoir, dans cette hypothèse, recueilli les observations des candidats concernés, déclarer inéligibles, pour une durée maximale de trois ans, des candidats, si les manoeuvres constatées présentent un caractère frauduleux, et s'il est établi qu'elles ont été accomplies par les candidats concernés et ont eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. Le caractère frauduleux des manoeuvres s'apprécie eu égard, notamment, à leur nature et à leur ampleur.
14. Dès lors que la voie de l'appel incident n'est pas ouverte en matière électorale, les conclusions présentées par M. C..., après expiration du délai d'appel, qui tendent à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a refusé de prononcer l'inéligibilité de M. A... sur le fondement des dispositions précitées, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de M. C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. C... au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. C... par la voie de l'appel incident et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et à M. E... C....
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur.