3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, la fermeture généralisée de leurs magasins, à l'exception des activités de livraison et de retrait des commandes, les privent de la possibilité d'exercer leur activité après de longues périodes de fermeture durant les deux premiers confinements, dont les centaines de salariés ont eu à subir les conséquences immédiates, et portent ainsi une atteinte grave et immédiate à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie ainsi qu'au droit de propriété, en deuxième lieu, cette mesure porte une atteinte particulièrement grave et immédiate à leur situation en ce qu'elles subissent des pertes de chiffre d'affaires journalières importantes, sans que ni les différentes mesures d'aide prévues par l'Etat pour les compenser ni la possibilité d'accueillir du public pour les activités de livraison et de retrait de commandes ne suffisent à couvrir les charges fixes afférentes à l'exploitation des établissements, ce qui menace à brève échéance leur équilibre financier et, en dernier lieu, la suspension demandée n'est non seulement pas de nature à nuire à la poursuite de l'intérêt général de lutte contre l'épidémie de covid-19 mais, au contraire, la fermeture généralisée des magasins de vente concernés risque d'entraîner un coût social important, en particulier pour l'emploi ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie ainsi qu'au droit de propriété ;
- la mesure contestée est inadaptée voire contreproductive au regard des objectifs sanitaires et sociaux poursuivis dès lors que, en premier lieu, il est possible de mettre en oeuvre les gestes barrières au sein des magasins de vente de produits de toilette et d'hygiène, en deuxième lieu, leur fermeture accentue les facteurs de risque de contamination au virus de la Covid-19 alors que leur ouverture au public permettrait d'assurer une meilleure répartition de la clientèle et un respect plus efficace des mesures de distanciation sociale et, en dernier lieu, ces établissements contribuent aux besoins psychologiques, pratiques et même professionnels des populations reconfinées, au même titre que les salons de coiffure et des barbiers, et leur fermeture, qui a pour effet de réserver la vente de produits d'hygiène et de toilette aux magasins non spécialisés, est contraire au principe d'équité ;
- elle est incohérente au regard des mêmes objectifs et méconnaît l'exigence de simplicité et de lisibilité qui s'imposent à l'administration dès lors que, en premier lieu, rien ne saurait justifier que les services de coiffure bénéficient d'une possibilité dérogatoire d'accueil du public alors que les instituts de beauté sont fermés, en deuxième lieu, il a été affirmé par le Conseil d'Etat que les produits de toilette et d'hygiène étaient bien des produits " essentiels " ou de " première nécessité " et, en dernier lieu, ces produits sont vendus dans les rayons de supermarché, de supérette ou encore de pharmacie et rien n'indique que la fréquentation de magasins spécialisés présenterait un risque sanitaire plus important ;
- elle est disproportionnée dès lors qu'elle a pour effet de créer des distorsions de concurrence sans commune mesure avec le bénéfice escompté en ce que, d'une part, elle constitue un couperet immédiat pour quelques 20 000 établissements et vient ainsi aggraver une économie déjà fragilisée par un an de crise sanitaire et économique et, d'autre part, les milliers de supermarchés, supérettes, hypermarchés, centres commerciaux, magasins multi-commerces et autres magasins de vente de plus de 400 mètres carrés ainsi que les salons de coiffure et pharmacies, qui proposent des produits concurrents, restent ouverts et sont ainsi susceptibles de capter leur clientèle dans la durée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.
La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 10 avril 2021, présenté par les sociétés requérantes, qui maintiennent leurs conclusions et leurs moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 12 avril 2021, présenté par le ministre des solidarités et de la santé, qui maintient ses conclusions et ses moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution et notamment son Préambule ;
- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;
- le décret n° 2021-296 du 19 mars 2021 ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Yves et Rocher et les autres requérants, et d'autre part le Premier ministre ainsi que le ministre des solidarités et de la santé ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 9 avril 2021, à 11 heures :
- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des requérants ;
- les représentants des requérants ;
- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 14 avril à 12 heures.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. "
Sur le cadre du litige :
2. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". L'article L. 3131-13 du même code dispose que : " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (...) / La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 131-19. " Aux termes du I de l'article L. 3131-15 du même code : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : (...) 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité. " Ce même article précise à son III que les mesures prises en application de ses dispositions " sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. ".
3. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit les autorités compétentes à prendre diverses mesures destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l'aggravation de l'épidémie, la loi du 23 mars 2020 a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ces dispositions, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020. L'évolution de la situation sanitaire a conduit à un assouplissement des mesures prises et la loi du 9 juillet 2020 a organisé un régime de sortie de cet état d'urgence.
4. Une nouvelle progression de l'épidémie de covid-19 sur le territoire national a conduit le Président de la République à prendre, le 14 octobre 2020, sur le fondement des articles L. 313112 et L. 313113 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 sur l'ensemble du territoire de la République. L'article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire modifié par la loi du 15 février 2021 a prorogé l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1er juin 2021 inclus. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 313115 du code de la santé publique, le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'urgence sanitaire.
5. Il résulte de l'instruction que la situation épidémiologique est marquée depuis plusieurs semaines par une forte augmentation de la circulation du virus à partir d'un plateau élevé. Ainsi, au 9 avril 2021, plus de 4 980 501 cas ont été confirmés positifs à la covid-19, en augmentation de 41 243 dans les dernières vingt-quatre heures. 72 243 décès de la covid-19 sont à déplorer au 9 avril 2021, en hausse de 299 cas à l'hôpital en vingt-quatre heures. Enfin, le taux d'occupation des lits en réanimation par des patients atteints de la covid-19 reste élevé, à 113,8 % en France.
Sur la demande en référé :
6. Il résulte de l'instruction que le décret du 29 octobre 2020 mentionné précédemment a été modifié par le décret du 19 mars 2021 litigieux pour faire face à l'aggravation de la propagation de l'épidémie. L'article 4 du décret modifié interdit ainsi tout déplacement des personnes hors de leur lieu de résidence entre 6 heures et 19 heures du matin et fixe une liste limitative des exceptions à cette interdiction, parmi lesquelles figurent les déplacements afin d'effectuer les achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle, des achats de première nécessité, de retrait de commandes et de livraisons. Le IV de l'article 37 du décret modifié fixe la liste limitative des activités de commerce pour lesquelles l'accueil du public par les magasins de vente et les centres commerciaux dont la surface utile est inférieure à vingt mille mètres carrés demeure autorisé. Le IV bis du même article, d'une part, autorise les magasins d'alimentation générale et les supérettes à accueillir du public pour l'ensemble de leurs activités et, d'autre part, limite aux seules activités mentionnées au IV l'autorisation d'accueil du public pour les centres commerciaux, supermarchés, magasins multi-commerces, hypermarchés et autres magasins de vente d'une surface de plus de 400 m2 et autorise ces établissements de grande surface à accueillir du public pour la vente de produits de toilette, d'hygiène, d'entretien et de produits de puériculture.
7. Les sociétés requérantes demandent la suspension de l'exécution, à titre principal, des dispositions de l'article 37 du décret du 29 octobre 2020 modifié en tant qu'elles n'incluent pas, au nombre des commerces autorisés figurant à son IV, les magasins de vente pour le commerce de détail des produits de toilette et d'hygiène et les services de soins esthétiques et, à titre subsidiaire, des dispositions de son IV bis en tant qu'elles prévoient que les magasins d'alimentation générale, les supérettes, les magasins multi-commerces, les supermarchés, les hypermarchés et les autres magasins de vente d'une surface de plus de 400 mètres carrés peuvent accueillir du public pour la vente de produits de toilette et d'hygiène.
8. Les mesures contestées participent de la politique mise en oeuvre par le gouvernement pour lutter contre la propagation de l'épidémie visant notamment à limiter strictement des déplacements de personnes hors de leur domicile, afin de limiter les interactions sociales à l'occasion desquelles la propagation du virus est facilitée, notamment dans les milieux clos. Il résulte de l'instruction et des indications données au cours de l'audience que l'autorisation accordée aux seuls établissements non spécialisés pour le vente des produits de toilette et d'hygiène répond à l'objectif de restriction des déplacements de personnes hors de leur domicile. Si le IV et le IV bis de l'article 37 du décret du 29 octobre 2020 modifié établissent un régime distinct pour l'autorisation de vente de ces produit entre les magasins de vente pour le commerce de détail et les magasins d'alimentation général, supérettes et autres établissements de grande surface mentionnés au IV bis, l'atteinte ainsi portée à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété invoqués par les sociétés requérantes doit s'apprécier au regard de la limitation des déplacements des personnes qui en résulte ainsi que de la gravité non contestée de la situation sanitaire. A cet égard, la restriction apportée à l'accueil du public dans les magasins spécialisés de vente de produits d'hygiène et de toilette, qui commercialisent par ailleurs des produits et services autres que ceux qui peuvent être regardés comme étant de première nécessité, notamment de soin, contribue à l'objectif de réduire les déplacements des personnes, l'accès à ces produits demeurant concentrés dans les établissements généralistes mentionnés au IV bis. La portée de cette restriction est en outre partiellement limitée par les dispositions du IV de l'article 37 du décret contesté, qui autorisent l'ensemble des magasins de vente à accueillir du public pour leur activité de livraison et de retrait de commandes. Eu égard à l'ensemble de ces circonstances, il ne résulte pas de l'instruction que la mesure contestée, en l'état de la situation sanitaire, ne présente manifestement pas un caractère adapté, nécessaire et proportionné. Elle ne porte pas, dès lors, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées.
9. Par ailleurs, si les sociétés requérantes soutiennent, à titre subsidiaire, que les dispositions contestées sont susceptibles de créer une distorsion de concurrence en ce qu'elles aboutissent à une captation durable de leur clientèle par les magasins d'alimentation générale, les supérettes et les établissements de grande surface que mentionne le IV bis de l'article 37 du décret, ainsi que par les pharmacies et les coiffeurs, ces dispositions ont pour objet de ménager l'accès de la population aux produits de toilette et d'hygiène et répondent ainsi à l'objectif de permettre les achats de première nécessité. Par suite, les dispositions contestées du IV bis de l'article 37 du décret ne portent pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la condition d'urgence, que la requête présentée par la société Yves Rocher France et par les autres sociétés requérantes doit être rejetée, y compris les conclusions présentées à titre subsidiaire et les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la société Yves Rocher France et autres est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Yves Rocher France, première dénommée, pour l'ensemble des requérants et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.