Elle soutient que :
- la requête est recevable dès lors que l'objet de ses statuts lui donne un intérêt à agir contre le décret attaqué du 30 juillet 2018 ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors que, d'une part, le décret contesté méconnaît de manière grave et manifeste le principe de primauté du droit de l'Union européenne et, d'autre part, il porte atteinte tant aux intérêts des utilisateurs des produits autorisés par le règlement n° 1107/2009 qu'aux intérêts des titulaires d'une autorisation de mise sur le marché de ces produits ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret attaqué ;
- le décret attaqué est manifestement contraire au droit de l'Union européenne en ce qu'il a été pris en méconnaissance des dispositions du règlement n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 octobre 2018, le ministre d'Etat, ministre de la transaction écologique et solidaire conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté.
La requête a été communiquée à la ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, qui n'ont pas produit de mémoire.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'Union des industries de la protection des plantes et, d'autre part, le ministre d'Etat, ministre de la transaction écologique et solidaire, la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'agriculture et de l'alimentation ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du mercredi 17 octobre 2018, à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Chevallier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Union des industries de la protection des plantes ;
- les représentants de l'Union des industries de la protection des plantes ;
- les représentants du ministre d'Etat, ministre de la transaction écologique et solidaire ;
- le représentant du ministre de l'agriculture ;
Et à l'issue de laquelle le juge des référés du Conseil d'Etat a différé la clôture de l'instruction au 22 octobre à 12 heures puis, après en avoir informé les parties, au 23 octobre 2018 à 12 heures puis à 18 heures ;
Vu les nouveaux mémoires, enregistrés les 19, 22 et 23 octobre 2018, par lesquels l'Union des industries de la protection des plantes reprend les conclusions de sa requête par les mêmes moyens ;
Vu les nouveaux mémoires, enregistrés les 19 et 23 octobre 2018, par lesquelles le ministre de la transition écologique et solidaire reprend ses conclusions tendant au rejet de la requête par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;
- le règlement (UE) n° 485/2013 du Parlement européen et du Conseil du 24 mai 2013 :
- le règlement (UE) n° 2018/783 du 29 mai 2018 ;
- le règlement (UE) n° 2018/784 du 29 mai 2018 ;
- le règlement (UE) n° 2018/785 du 29 mai 2018 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 ;
- le code de justice administrative.
1. Considérant aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ; qu'il résulte de ces dispositions que le prononcé de la suspension d'un acte administratif est subordonné notamment à une condition d'urgence ; que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;
2. Considérant qu'aux termes du II de l'article 253-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de l'article 125 de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages : " L'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes et de semences traitées avec ces produits est interdite à compter du 1er septembre 2018./ Des dérogations à l'interdiction mentionnée au premier alinéa du présent II peuvent être accordées jusqu'au 1er juillet 2020 par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, de l'environnement et de la santé./ L'arrêté mentionné au deuxième alinéa du présent II est pris sur la base d'un bilan établi par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail qui compare les bénéfices et les risques liés aux usages des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes autorisés en France avec ceux liés aux usages de produits de substitution ou aux méthodes alternatives disponibles./ Ce bilan porte sur les impacts sur l'environnement, notamment sur les pollinisateurs, sur la santé publique et sur l'activité agricole. Il est rendu public dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 1313-3 du code de la santé publique " ; que le décret n° 2018-675 du 30 juillet 2018 relatif à la définition des substances actives de la famille des néonicotinoïdes présentes dans les produits pharmaceutiques a inséré dans le code rural un nouvel article D. 253-46-1, aux termes duquel : " Les substances de la famille des néonicotinoïdes mentionnées à l'article L. 253-8 sont les suivantes : Acétamipride ;/ Clothianidine ;/ Imidaclopride ;/ Thiaclopride ;/ Thiamétoxame " ; que l'Union des industries de la protection des plantes demande au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre l'exécution de ce décret ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les néonicotinoïdes constituent une famille d'insecticides de type neurotoxique à large spectre d'action, qui peuvent être utilisés soit par enrobage des semences, soit pour traiter des surfaces agricoles par épandage sur le sol ou par pulvérisation ; qu'ainsi qu'il a été dit au point 1, la loi du 8 août 2016 a prévu l'interdiction totale de leur utilisation à compter du 1er septembre 2018, sous réserve de dérogations à caractère provisoire accordées par arrêté interministériel ; que le décret contesté fixe la liste des néonicotinoïdes concernés par cette interdiction ; qu'onze demandes de dérogation, portant chacune d'entre elles sur le recours à un néonicotinoïde pour un usage donné, ont été présentées ; qu'à ce stade, sept d'entre elles ont été rejetées, les quatre autres étant en cours d'instruction ;
4. Considérant, par ailleurs, que la Commission européenne, en application du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, après avoir restreint l'usage de la clothinidine, de l'imidaclopride et du thiaméthoxame par un règlement d'exécution du 24 mai 2013, a interdit, par trois règlements d'exécution en date du 29 mai 2018, l'utilisation de ces substances, à compter du 19 décembre 2018, à l'exception des traitements pour les cultures sous serre permanente des plantes effectuant l'intégralité de leur cycle de vie dans une telle serre ; que pour assurer la mise en oeuvre de ces dispositions, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, autorité nationale compétente pour délivrer les autorisations de mise sur le marché, a procédé au retrait de dix-neuf autorisations et en a restreint dix-sept autres ; que le thiaclopride a fait l'objet, par la Commission européenne, d'une approbation dont la validité expire au 30 avril 2019 et doit donc être réévalué à brève échéance ; que l'acétamipride a fait l'objet d'une nouvelle approbation par la Commission européenne le 24 janvier 2018 pour une durée de quinze ans, toutefois susceptible d'être réduite, au vu de nouvelles connaissances scientifiques et techniques, dans les conditions fixées par l'article 21 du règlement du 21 octobre 2009 ; qu'ainsi, trois des cinq néonicotinoïdes dont l'utilisation est interdite par la réglementation nationale - la clothinidine, l'imidaclopride et le thiaméthoxame - sont également prohibés, sauf usage sous serre permanente, par la réglementation européenne et qu'un quatrième - le thiaclopride - pourrait voir son approbation ne pas être renouvelée en 2019 ;
5. Considérant que, pour soutenir qu'est en l'espèce remplie la condition d'urgence à laquelle est subordonnée la suspension de l'exécution d'un acte administratif, l'Union des industries de la protection des plantes fait valoir les atteintes graves et immédiates portées aux intérêts, d'une part, des utilisateurs des produits phytopharmaceutiques contenant l'un des néonicotinoïdes désormais interdits ou de semences traitées avec ces produits, et, d'autre part, des titulaires d'autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques concernés ; qu'elle relève également l'intérêt public qui s'attache à ce que soient prises les mesures provisoires nécessaires pour faire cesser immédiatement une atteinte à des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne ;
6. Considérant, en premier lieu, que, s'il y a lieu, le cas échéant, dans la balance des intérêts à laquelle procède le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, pour apprécier si la condition d'urgence doit être regardée comme remplie, de tenir compte de ce que l'intérêt public commande que soient prises les mesures provisoires nécessaires pour faire cesser immédiatement l'atteinte aux droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne, cette circonstance, à la supposer établie, n'est pas constitutive d'une situation d'urgence justifiant, par elle-même et indépendamment de toute autre considération, la suspension de la décision contestée ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que l'interdiction totale de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes mentionnés dans le décret attaqué et des semences traitées avec ces produits est de nature à priver largement de portée utile les autorisations de mise sur le marché dont bénéficient les entreprises fabriquant et commercialisant ces produits, puisqu'elles ne peuvent désormais les destiner qu'à l'exportation ; que, toutefois, l'Union des industries de la protection des plantes n'apporte pas d'éléments précis, et notamment de données économiques et financières, attestant que cette interdiction, au demeurant prévue depuis près de deux ans à la date de publication du décret contesté, porterait à la situation des entreprises qu'elle représente ou de certaines d'entre elles une atteinte suffisamment grave et immédiate pour en justifier la suspension ; que, par ailleurs, la circonstance que les titulaires d'autorisations de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques dont l'utilisation est désormais interdite auraient été privés de la possibilité de faire valoir leurs arguments avant l'intervention du décret ne saurait, par elle-même, caractériser une situation d'urgence ;
8. Considérant, en troisième lieu, que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail a émis un avis, le 7 mai 2018, relatif aux risques et aux bénéfices liés à l'utilisation, en remplacement des produits phytopharmaceutiques comportant des néonicotinoïdes, d'autres produits phytopharmaceutiques ou de méthodes non chimiques de prévention ; qu'elle a ainsi procédé à l'examen de 154 cas d'usage alors autorisés de néonicotinoïdes ; que si, dans nombre de cas, les solutions alternatives disponibles, chimiques ou non chimiques, sont susceptibles de présenter des inconvénients pour les filières agricoles concernées, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles puissent être regardées comme portant une atteinte grave et immédiate à l'intérêt de celles-ci ; qu'en revanche, dans six cas - lutte contre les mouches sur maïs, contre les insectes xylophages sur cerisier, contre les mouches sur framboisier, contre les pucerons sur navet, contre les coléoptères sur arbres et arbustes, contre les hannetons en forêt - aucune alternative suffisamment efficace et opérationnelle n'a été identifiée ; que, cependant, ce constat ne saurait conduire à la suspension de l'ensemble des effets du décret ; qu'il n'est pas établi qu'à la date de la présente ordonnance, et pour les six cultures en cause, les futures récoltes soient compromises en l'absence d'un recours immédiat à de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes ; qu'au demeurant, des demandes de dérogation sont actuellement en cours d'instruction ; qu'il est loisible aux représentants des filières pour lesquelles une dérogation a déjà été ou serait refusée de contester ce refus et d'assortir leur demande de conclusions aux fins de suspension ;
9. Considérant que, dans ces conditions, et alors que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, sera normalement en mesure de se prononcer sur la requête en annulation dans les prochains mois, la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie ; qu'il en résulte que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, la requête de l'Union des industries de protection des plantes doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l'Union des industries de protection des plantes est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Union des industries de la protection des plantes, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé.