Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée sous le n°16DA01329 le 21 juillet 2016, MmeB..., représentée par la SCP Richard, demande à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du juge des référés du tribunal administratif d'Amiens ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une provision d'un montant de 70 380,07 euros sauf à parfaire, au regard d'une éventuelle modification à intervenir du taux de rachat des cotisations sociales, assorties de l'intérêt au taux légal à compter du de la date de réception de la demande son poux par l'administration ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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II. Par un recours enregistré sous le n°16DA01381 le 27 juillet 2016, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt demande à la cour d'annuler l'ordonnance de référé du tribunal administratif d'Amiens du 6 juillet 2016.
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Vu :
- le code rural et de la pêche maritime.
- le code de la sécurité sociale.
- loi n° 89-412 du 22 juin 1989.
- le code de justice administrative.
1. Considérant que M. A...B..., décédé le 23 août 2014, vétérinaire exerçant à titre libéral, a été titulaire d'un mandat sanitaire à compter de 1971, pour lequel il a réalisé des actes de prophylaxie collective rémunérés par l'Etat dans le département de l'Aisne ; que M. B... a demandé à l'administration, par lettre du 29 décembre 2010, la régularisation de sa situation en raison de l'absence d'affiliation à la Caisse de retraite et de la santé au travail (CARSAT) et à l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (IRCANTEC) lors de son activité exercée au titre de son mandat sanitaire ; que, par une lettre du 23 mai 2013, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, qui a reconnu le principe de la responsabilité de l'Etat, lui a communiqué une proposition d'assiette pour calculer les arriérés de cotisations et les indemnités pour minoration de pensions ; que MmeB..., veuve de M.B..., a saisi le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une provision à valoir sur la réparation du préjudice subi d'un montant de 70 380,07 euros ; que Mme B...relève appel de l'ordonnance du 6 juillet 2016 en tant que le juge des référés a limité le montant de la provision à 20 000 euros ; que le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt interjette également appel de cette ordonnance ;
2. Considérant que la requête de Mme B...et le recours du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt sont dirigés contre la même ordonnance et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance ;
3. Considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a indiqué précisément les motifs sur lesquels il s'est fondé pour estimer que l'existence de l'obligation invoquée par Mme B...pouvait être regardée comme non sérieusement contestable en condamnant l'Etat à verser une provision de 20 000 euros ; que, dès lors, l'ordonnance attaquée est suffisamment motivée ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du même code : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. " ; qu'il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude ; que dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état ; que dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant ;
En ce qui concerne le principe de la responsabilité :
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M.B..., vétérinaire libéral, a été titulaire d'un mandat sanitaire à compter de 1971 ; qu'alors même que la rémunération perçue par les vétérinaires au titre de leur participation aux opérations de prophylaxie constituait un salaire, dès lors qu'ils se trouvaient placés dans une situation caractérisant un lien de subordination à l'égard de l'administration et qu'ainsi, ceux ayant exercé un mandat sanitaire devaient être regardés comme des agents non titulaires de l'Etat, relevant du régime général de la sécurité sociale en application de l'article L. 311-2 du code de la sécurité sociale, ainsi que du régime de retraite complémentaire des agents publics non titulaires de l'Etat, ce n'est toutefois qu'à compter du 1er janvier 1990, date d'entrée en vigueur de la loi n°89-412 du 22 juin 1989, aujourd'hui codifiée à l'article L. 221-11 du code rural et de la pêche maritime, que les rémunérations perçues au titre des actes accomplis dans le cadre du mandat sanitaire, pour l'application du code général des impôts et du code de la sécurité sociale, ont été assimilées à des revenus tirés de l'exercice d'une profession libérale ; qu'il est constant que durant toute la période d'activité de M. B...jusqu'au 31 décembre 1989, l'administration n'a jamais fait procéder à son immatriculation au régime général de la sécurité sociale et au régime de l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités territoriales (IRCANTEC), ni versé les cotisations correspondantes ; que cette méconnaissance d'une obligation légale, qui n'est d'ailleurs pas contesté par le ministre dans ses écritures qui reconnait sa responsabilité, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'État ; que ce défaut d'affiliation a nécessairement exercé une incidence sur le montant de la pension de réversion perçue par MmeB... ; qu'ainsi, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a fait droit à la demande de provision présentée par MmeB... ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que par un courrier du 23 mai 2013, le ministre a adressé à M.B..., qui l'a d'ailleurs acceptée, une proposition d'assiette au titre des années 1973 à 1989, tenant compte des salaires déclarés par celui-ci et auxquels ont été soustraits les salaires issus de sa ou ses autres activités salariées, tels que repris de son relevé de carrière ; que, dès lors, le ministre n'est pas fondé à soutenir que le montant des rémunérations de M. B...au titre du mandat sanitaire serait indéterminé ;
7. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que pour l'évaluation de son préjudice, Mme B...aurait fait application du mécanisme de l'assiette forfaitaire prévu à l'article R. 351- 11 du code de la sécurité sociale ; que, par suite, le ministre ne peut utilement soutenir que ce mécanisme ne trouverait pas à s'appliquer au conjoint survivant ;
En ce qui concerne le montant du préjudice :
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 6, que la proposition d'assiette établie par le ministre au titre des années 1973 à 1989 tient compte des salaires déclarés par M.B..., corroborés par ses avis d'imposition, et auxquels ont été soustraits pour chaque année les salaires issus d'une ou d'autres activités salariées exercées par M. B...au titre du régime général ; que pour évaluer le préjudice au titre des arriérés de cotisations de retraite générale et complémentaire, il ressort des tableaux produits par Mme B... qu'elle a, à tort, intégré à l'assiette du calcul de ce montant, les salaires qui auraient été versés à son mari au cours des années 1990 et 1991 dès que toutes les rémunérations perçues à compter du 1er janvier 1990 par les vétérinaires à raison du mandat sanitaire détenu par eux sont, quelle que soit la date de réalisation des prestations auxquelles elles se rapportent, assimilées à des revenus tirés de l'exercice d'une profession libérale en vertu des dispositions de l'article 10 de la loi n° 89-412 du 22 juin 1989 modifiant et complétant certaines dispositions du livre II du code rural ainsi que certains articles du code de la sante publique ; qu'en conséquence, au titre des arriérés de cotisations CARSAT, le montant non sérieusement contestable peut être évalué à 60 876,51 euros ; que s'agissant des arriérés de cotisations pour l'IRCANTEC, le montant non sérieusement contestable peut, quant à lui, être évalué à 2 665,85 euros ;
9. Considérant, en revanche, que si Mme B...fait valoir qu'elle peut prétendre également à une pension de réversion correspondant à 54 % du montant de la retraite qu'aurait pu percevoir son époux, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point précédent, que les calculs avancés par Mme B...intègrent à tort à l'assiette du calcul du montant de son préjudice relatif à la pension de réversion, les salaires versés au cours des années 1990 et 1991 à son époux ; que par ailleurs, l'article L. 353-1 du code de sécurité sociale dispose qu' " En cas de décès de l'assuré, son conjoint survivant a droit à une pension de réversion à partir d'un âge et dans des conditions déterminés par décret si ses ressources personnelles ou celles de son ménage n'excèdent pas des plafonds fixés par décret. " ; qu'en l'état de l'instruction, en se bornant à faire état de revenus modestes, sans établir que ses ressources personnelles n'excèderaient pas le plafond fixé, la créance de Mme B...ne peut être estimée avec un degré suffisant de certitude comme s'élevant à la somme qu'elle réclame d'un montant total de 4 557,21 euros ;
10. Considérant qu'il résulte des deux points précédents que Mme B...est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a évalué la provision au montant de 20 000 euros ; qu'il y a lieu de porter le montant de la provision, que l'Etat est condamné à verser à MmeB..., à la somme de 63 542,36 euros, et de réformer en ce sens l'ordonnance attaquée du juge des référés du tribunal administratif d'Amiens ;
Sur les intérêts :
11. Considérant que l'indemnité de 63 542,36 euros portera intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2012, date de réception de la réclamation préalable par l'Etat ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mme B...au titre des deux instances ;
ORDONNE :
Article 1er : Le montant de l'indemnité provisionnelle due par l'Etat à Mme B...est fixée à la somme de 63 542,36 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2012.
Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif d'Amiens est réformée en ce qu'elle a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le recours du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ainsi que le surplus des conclusions de la requête présentée par Mme B...sont rejetés.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme C...B...et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
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Nos16DA01329,16DA01381