Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille du 9 octobre 2015 en tant qu'il prononce cette annulation ;
2°) de rejeter les conclusions correspondantes de la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille.
Elle soutient que :
- le premier juge a retenu à tort qu'elle n'avait pu, sans méconnaître l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, fixer, par la décision annulée, le Soudan comme le pays à destination duquel M. A... pourrait être reconduit, à l'exception de la région du Darfour ;
- les autres moyens soulevés par M. A...devant le tribunal administratif de Lille ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant qu'à la suite de son interpellation le 6 octobre 2015 à Coquelles, aux abords immédiats du site d'Eurotunnel, M.A..., se disant de nationalité soudanaise, a fait l'objet, le jour même, d'un arrêté par lequel la préfète du Pas-de-Calais lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel l'intéressé pourra être reconduit d'office et a décidé le placement de celui-ci en rétention administrative ; que la préfète du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 9 octobre 2015 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, en tant qu'il a annulé la décision fixant le Soudan, à l'exclusion de la région du Darfour, comme pays de renvoi ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; / 3° Ou à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ;
3. Considérant que ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'autorité préfectorale, après avoir apprécié la réalité et la nature des risques dont a fait état un ressortissant étranger en situation irrégulière faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, puisse décider que l'intéressé pourra être reconduit d'office à destination du pays dont il a la nationalité, en excluant toutefois, lorsque ces risques s'avèrent circonscrits sur un territoire particulier de ce pays, le territoire concerné ; qu'il suit de là que, pour décider, en l'espèce, que M. A...pourra notamment être reconduit d'office à destination du Soudan, à l'exception de la région du Darfour, la préfète du Pas-de-Calais n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, dès lors, la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a retenu à tort ce motif pour annuler cette décision ;
4. Considérant qu'il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. A...devant le tribunal administratif de Lille au soutien des conclusions qu'il dirigeait contre la décision fixant le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office ;
5. Considérant que, par un arrêté du 22 décembre 2015, publié le même jour au recueil spécial n° 85 des actes administratifs de la préfecture, la préfète du Pas-de-Calais a donné délégation à M. D...B..., chef de la section éloignement du bureau de l'immigration et de l'intégration de la préfecture, à l'effet de signer notamment les " arrêtés fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement " ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige doit être écarté ;
6. Considérant qu'il ressort des motifs de l'arrêté contesté que ceux-ci, qui ne se bornent pas à reproduire des formules préétablies, citent, sous le visa des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'intégralité des quatre premiers alinéas de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et indiquent que M. A...n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'ainsi et alors même qu'ils ne précisent pas la nature des risques invoqués par l'intéressé, ces motifs comportent les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision fixant le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office ; que cette décision est, par suite, suffisamment motivée au regard de l'exigence posée par l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 ;
7. Considérant que, si M. A...se prévaut, à l'encontre de la décision fixant le pays à destination duquel il pourra être éloigné, de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la mesure d'éloignement ;
8. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la Cour européenne des droits de l'homme a rappelé qu'il appartenait, en principe, au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129-131 et 15 janvier 2015, AA. c. France, n° 18039/11) ;
9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A...a seulement déclaré, lors de l'audition qui a suivi son interpellation, sans autre précision, être entré en France deux jours auparavant afin de se rendre en Grande-Bretagne, après avoir quitté son pays " à cause de la guerre " ; que, s'il a précisé ensuite, devant le tribunal administratif, être originaire de Nyala, localité située dans la province Darfour méridional, appartenir à la tribu Daju et craindre, en cas de retour dans son pays d'origine, d'y être exposé aux violences perpétrées à l'encontre des populations civiles du Darfour par les miliciens janjawids, la décision contestée exclut que l'intéressé puisse être reconduit d'office au Darfour ; que, l'ethnie Daju ou Dadjo, à laquelle M. A... a indiqué appartenir, n'étant pas seulement implantée au Darfour mais aussi au Kordofan, dans les provinces du Barh Ghazal et d'Equatoria au Soudan du Sud, ainsi d'ailleurs que dans certains pays limitrophes des frontières du Soudan, dont la région du Dar Sila au Tchad, l'intéressé n'établit pas qu'il ne pourrait se réinstaller dans ces provinces sans risque pour sa vie ou sa liberté ; qu'il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 9 octobre 2015, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 6 octobre 2015 en tant qu'il fixe le pays à destination duquel M. A...pourra être reconduit d'office ; que, dès lors, les conclusions correspondantes de la demande que l'intéressé a présentée au tribunal administratif de Lille doivent être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 9 octobre 2015 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif Lille, en tant qu'il prononce l'annulation de la décision du 6 octobre 2015 fixant le pays à destination duquel M. A...pourra être reconduit d'office est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Lille et dirigées contre cette décision sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C... A....
Copie en sera adressée, pour information, à la préfète du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 7 juillet 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,
- M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 22 juillet 2016.
Le rapporteur,
Signé : J.-F. PAPINLe président de chambre,
Signé : P.-L. ALBERTINI
Le greffier,
Signé : I. GENOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
Isabelle Genot
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N°16DA00106