Par un jugement, n° 1503281 du 28 janvier 2016, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 15 octobre 2015 de la préfète du Pas-de-Calais en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination et ordonne le placement de M. B...en rétention administrative, en rejetant le surplus des conclusions de cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 février 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour d'annuler le jugement n°1503281 rendu le 28 janvier 2016 par le tribunal administratif de Rouen en tant qu'il annule la décision fixant l'Afghanistan comme pays de destination et la décision ordonnant le placement en rétention administrative de M.B....
Elle soutient que :
- M. B...n'établit pas être de nationalité afghane ;
- la seule circonstance selon laquelle il serait originaire d'Afghanistan ne peut suffire à elle seule à démontrer qu'il serait exposé à des peines et des traitements inhumains contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'il ne justifie pas subir de menaces graves et individuelles contre sa vie en cas de retour en Afghanistan ;
- en considérant que la décision ordonnant le placement en rétention administrative méconnaissait les dispositions de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile le tribunal administratif de Rouen n'a pas statué dans la limite des moyens soulevés par le requérant et a entaché son jugement d'irrégularité ;
- les diligences nécessaires ont été accomplies pour assurer l'exécution de la mesure d'éloignement auprès des autorités afghanes, le placement en rétention de l'intéressé, qui ne présentait pas des garanties de représentation suffisantes, n'étant pas dépourvu de toute nécessité.
La requête a été communiquée à M.B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Albertini, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant qu'à la suite de son interpellation le 15 octobre 2015 alors qu'il avait pénétré sur le site Eurotunnel afin de se rendre clandestinement en Grande-Bretagne, M. B..., se disant de nationalité afghane, a fait l'objet d'un arrêté de la préfète du Pas-de-Calais pris le même jour lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de destination et ordonnant son placement en rétention administrative ; que la préfète du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 28 janvier 2016 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté en tant qu'il n'exclut pas l'Afghanistan comme pays de destination et ordonne le placement en rétention administrative de M. B... ;
Sur le pays de destination :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ; que selon les termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la Cour européenne des droits de l'Homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129-131 et 15 janvier 2015, AA. c. France, n° 18039/11) ;
3. Considérant que si M.B..., qui n'a pas demandé l'asile lors de son arrivée en Europe, fait valoir qu'il appartient à l'ethnie pachtoune et serait menacé en Afghanistan en raison de sa fonction de policier, il n'a pas fait état de cette qualité devant l'agent de police judiciaire qui a recueilli ses déclarations le 15 octobre 2015, préalablement au prononcé de la mesure d'éloignement ; qu'il avance aussi qu'il résidait dans la province de Nangarhar, qui connaît une situation qualifiée de violence généralisée de forte intensité ainsi qu'il ressort notamment d'une note d'actualité sur la situation sécuritaire dans ce pays diffusée en mai 2015 par les services de la Cour nationale du droit d'asile, dans le village de Khogyani où seraient encore présentes sa mère et sa soeur ; que, toutefois, il n'assortit pas l'ensemble de ses allégations d'éléments suffisamment précis et probants ou vérifiables ; que, dès lors, il n'est pas fondé à se prévaloir du niveau de violence généralisée pour contester le pays de destination retenu ; qu'il n'établit pas davantage faire l'objet en cas de renvoi en Afghanistan, de manière suffisamment personnelle, certaine et actuelle, de menaces quant à sa vie ou sa liberté ou de risque d'être exposé à des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que le le magistrat tribunal administratif de Rouen a cru pouvoir se fonder sur la seule situation de violence existant en Afghanistan pour en déduire qu'en fixant ce pays comme pays de destination, il avait méconnu les dispositions des articles L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales puis annuler cette décision ;
4. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...devant le tribunal administratif de Rouen ;
5. Considérant que par un arrêté n° 2015-10-54 du 16 février 2015, publié le même jour au recueil spécial n° 16 des actes administratifs de la préfecture du Pas-de-Calais, la préfète du Pas-de-Calais a donné délégation à M. C...A..., chef de la section éloignement, à l'effet de signer, notamment, les décisions relatives aux obligations de quitter le territoire français avec ou sans délai de départ volontaire, les arrêtés fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et les décisions de placement en rétention administrative ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision doit être écarté ;
6. Considérant que la décision fixant le pays à destination duquel M. B...est éloigné, qui vise les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et mentionne l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, comporte ainsi les considérations de droit qui en constituent le fondement ; qu'elle indique que l'intéressé, qui ne justifie pas de sa nationalité, n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine et qu'elle fait état des circonstances dans lesquelles il a entrepris de gagner la Grande-Bretagne, sans son frère mineur de onze ans qui l'aurait suivi en France selon ses déclarations ; qu'elle comporte ainsi, également, les considérations de fait qui en constituent le fondement ; que cette décision est, par suite, suffisamment motivée ;
7. Considérant que, si l'intéressé se prévaut de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet à l'encontre de la décision fixant le pays à destination duquel il sera éloigné, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que le tribunal administratif de Rouen, dont il y a lieu d'adopter les motifs, a rejeté à bon droit ses conclusions tendant à l'annulation de la mesure d'éloignement ;
Sur la rétention administrative :
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet " ;
9. Considérant qu'il ressort des pièces versées en cause d'appel par la préfète du Pas-de-Calais que l'autorité administrative a accompli le 15 octobre 2015 plusieurs diligences auprès des autorités consulaires afghanes afin de procéder à l'éloignement de l'intéressé ; que, par suite, c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 9, alors même que la décision fixant l'Afghanistan comme pays de destination n'était pas entachée d'illégalité, pour annuler la mesure de rétention administrative dont l'étranger faisait l'objet ;
10. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...devant le tribunal administratif de Rouen ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 5 que le moyen tiré de l'incompétence du signataire du placement en rétention administrative manque en fait et doit être écarté ; qu'il en est de même de celui tiré de l'insuffisante motivation de cette décision qui comporte les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 7 que M. B...n'est pas fondé à soutenir que la décision de placement en rétention administrative dont il est l'objet serait dépourvue de base légale ;
13. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : / (...) / 6° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 561-2 du même code : " Dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque, mentionné au II de l'article L. 511-1, qu'il se soustraie à cette obligation (...) " ;
14. Considérant qu'il est constant que M. B...a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le 15 octobre 2015 ; que, l'intéressé n'ayant par ailleurs présenté aucun document d'identité ou de voyage valide, ni d'adresse stable ou toute pièce justifiant l'existence d'un domicile, il doit être regardé comme ne présentant pas les garanties de représentation propres à prévenir un risque de fuite ; que, par suite, c'est sans erreur d'appréciation que la préfète du Pas-de-Calais a prononcé à son encontre une décision le plaçant en rétention administrative ;
15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé sa décision fixant le pays de destination et celle prononçant le placement de M. B...en rétention administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Rouen du 28 janvier 2016 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D...B...devant le tribunal administratif de Lille et transmise au tribunal administratif de Rouen tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination et de celle prononçant son placement en rétention administrative est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D...B....
Copie en sera transmise pour information à la préfète du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 7 juillet 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,
- M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller.
Lu en audience publique le 22 juillet 2016.
L'assesseur le plus ancien,
Signé : O. NIZET
Le président de chambre,
président-rapporteur
Signé : P.-L. ALBERTINI
Le greffier,
Signé : I. GENOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Isabelle Genot
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N°16DA00428