Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 janvier 2015, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 10 décembre 2014 et de rejeter les conclusions présentées par Mme A...devant le tribunal.
Le préfet de l'Isère soutient que le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Grenoble n'est pas fondé, les décisions attaquées ne portant pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de MmeA....
Par des mémoires en défense, enregistrés le 12 juin 2015 et le 28 janvier 2016, Mme D...A..., représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) d'annuler les décisions du 14 mars 2014 par lesquelles le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
2°) d'enjoindre au Préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut de réexaminer sa situation et, dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans un délai d'un mois, à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son conseil, d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à charge pour Me C...de renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Mme A...soutient que :
- le refus de titre de séjour est entaché d'erreur manifeste d'appréciation, méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant la Serbie comme pays de destination méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant car le père de son enfant est de nationalité albanaise.
Mme A...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 juillet 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, premier conseiller.
1. Considérant que Mme D...A..., ressortissante serbe d'origine albanaise, née le 7 octobre 1993, est entrée en France en mars 2010, alors qu'elle était âgée de 16 ans, avec ses parents, sa soeur cadette et son demi frère aîné ; qu'elle a sollicité, à sa majorité, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'elle a bénéficié de récépissés de demande de titre de séjour lui ayant permis de demeurer régulièrement sur le territoire français jusqu'à ce que le préfet rejette, par décision du 14 mars 2014, sa demande de titre de séjour ; que le préfet de l'Isère relève appel du jugement en date du 10 décembre 2014, par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 14 mars 2014 par lesquelles il a refusé de délivrer à Mme A...un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
Sur le motif retenu par le tribunal administratif de Grenoble pour annuler les décisions du 14 mars 2014 :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
3. Considérant que pour annuler les décisions prises par le préfet de l'Isère à l'encontre de MmeA..., le tribunal administratif de Grenoble a considéré que la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
4. Considérant que si Mme A...est arrivée en France à l'âge de seize ans avec ses parents, son demi frère et sa petite soeur lourdement handicapée, seuls ses parents et sa petite soeur disposaient à la date de la décision litigieuse d'un droit au séjour en France, en raison de l'état de santé de la mère de Mme A...et de sa soeur ; que Mme A...ne démontre pas que sa présence serait indispensable aux côtés de sa soeur, qui est prise en charge la majeure partie de la semaine dans un institut médico-éducatif ; que si Mme A...a fait preuve, jusqu'à l'année scolaire 2011-2012, d'efforts d'intégration lui ayant permis d'apprendre la langue française et d'être scolarisée en classe de première, elle n'a pas poursuivi ses efforts d'intégration au-delà ; que si elle fait valoir qu'elle a rencontré son compagnon, qui est albanais, en France et qu'ils ont eu un enfant, né en mars 2015, elle était, à la date de la décision litigieuse encore célibataire et sans enfant ; qu'au surplus son compagnon ne dispose pas non plus d'un droit au séjour en France ; que MmeA..., qui a vécu la majeure partie de sa vie en Serbie, n'apporte pas la preuve qu'elle serait dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, où son frère aîné a également vocation à vivre, ainsi que l'a jugé la cour de céans par un arrêt n° 14LY00029 du 4 septembre 2014 ; que, dès lors, le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé sa décision du 14 mars 2014 au motif que la décision refusant de délivrer un titre de séjour à Mme A...méconnaissait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5. Considérant toutefois qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme B... tant devant le tribunal administratif de Grenoble que devant la cour ;
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne la légalité de la décision de refus de délivrance de titre de séjour :
6. Considérant que la décision litigieuse a été signée par Mme Gisèle Rossat Mignot, secrétaire générale de la préfecture, qui disposait à cet effet d'une délégation de signature par arrêté du 24 janvier 2014, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Isère ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de cet arrêté manque en fait ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 11 juillet 1979 : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / - restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police. " ; qu'aux termes de son article 3 : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. " ; que la décision litigieuse, qui vise les dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et expose les raisons pour lesquelles le préfet a estimé que la situation de Mme A...n'entrait pas dans le champ de ces dispositions comporte, exposées de façon suffisamment détaillée, les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le refus de titre de séjour serait insuffisamment motivé au regard des exigences des articles 1er et 3 de la loi du 11 juillet 1979, doit être écarté ;
8. Considérant que pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans le cadre de l'examen du motif tiré de ce que la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la décision litigieuse n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la vie privée et familiale de Mme A...;
En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire :
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) / 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ; (...) / La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans les cas prévus aux 3° et 5° du présent I, sans préjudice, le cas échéant, de l'indication des motifs pour lesquels il est fait application des II et III. " ; que Mme A...s'étant vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, elle entrait dans le cas prévu par les dispositions précitées du 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où le préfet peut faire obligation à un étranger de quitter le territoire français ;
10. Considérant que les dispositions précitées du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prévoient pas de motivation distincte pour la décision portant obligation de quitter le territoire français, et n'impliquent pas, par conséquent, dès lors que le refus de séjour est lui-même motivé et que les dispositions législatives qui permettent d'assortir ce refus d'une obligation de quitter le territoire français ont été rappelées, de mention spécifique pour respecter les exigences de motivation ; qu'en l'espèce, la décision portant obligation de quitter le territoire français vise les dispositions applicables et le refus de séjour énonce par ailleurs les considérations de droit et de fait qui le fondent ; que, par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision obligeant Mme A...à quitter le territoire français doit être écarté ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que, pour contester l'obligation de quitter le territoire français qui lui a été opposée, la requérante n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
12. Considérant que pour les mêmes motifs que ceux exposés en ce qui concerne la légalité de la décision portant refus de titre de séjour, les moyens tirés de ce que le signataire de la décision portant obligation de quitter le territoire n'aurait pas eu compétence pour ce faire, de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commis le préfet doivent être écartés ;
En ce qui concerne la légalité de la décision fixant le pays de destination :
13. Considérant que, pour les raisons exposées ci-dessus, la requérante n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français, à l'encontre de la décision fixant le pays de destination ;
14. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. (...) L'obligation de quitter le territoire français fixe le pays à destination duquel l'étranger est renvoyé en cas d'exécution d'office (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 513-2 du même code : " L'étranger qui doit être reconduit à la frontière est éloigné : 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Commission des recours des réfugiés lui a reconnu le statut de réfugié ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; 2° Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; 3° Ou à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ; qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants " ;
15. Considérant que la décision contestée fixant le pays de destination est suffisamment motivée en droit par le visa des dispositions de l'article L. 511-1-I de code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui prévoient que la décision portant obligation de quitter le territoire français " fixe le pays à destination duquel l'étranger sera renvoyé s'il ne respecte pas le délai de départ volontaire " et de l'article L. 513-2 du même code ; que cette décision est suffisamment motivée en fait par l'indication que l'intéressée est de nationalité serbe, qu'elle pourra être reconduite d'office à la frontière du pays dont elle a la nationalité ou de tout autre pays où elle établirait être légalement admissible et qu'elle " n'apporte aucun élément suffisamment probant, tendant à démontrer qu'elle serait soumise à des risques personnels et réels de tortures ou de traitements inhumains en cas de retour dans son pays d'origine " ;
16. Considérant que pour les mêmes motifs que ceux énoncés en ce qui concerne la légalité de la décision portant refus de titre de séjour, le moyen tiré de ce que le signataire de la décision fixant son pays de destination serait incompétent doit être écarté ;
17. Considérant que si MmeA..., qui n'a pas personnellement demandé l'asile, ses parents et son frère aîné s'étant vu rejeter leur demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, puis par la Cour nationale du droit d'asile, alors qu'elle était encore mineure, fait valoir qu'un retour dans son pays d'origine lui ferait courir des risques de traitements inhumains ou dégradants, elle n'apporte, outre le récit des ses parents, aucune précision ni justification à l'appui de ses dires ; que, dès lors, elle n'établit pas la réalité des risques auxquels elle serait ainsi directement et personnellement exposée en cas de retour en Serbie ; que, par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de sa destination méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
18. Considérant qu'à la date de la décision litigieuse Mme A...était célibataire et sans enfant ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la décision fixant la Serbie comme pays de destination méconnaitrait l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant car le père de son enfant est de nationalité albanaise ne peut qu'être écarté ;
19. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 14 mars 2014 refusant la délivrance d'un titre de séjour à MmeA..., lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant son pays de renvoi et lui a enjoint de délivrer à Mme A...une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement ;
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
20. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par MmeA..., n'appelle pas de mesures d'exécution ; que ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte doivent, dès lors, être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative :
21. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A...demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1405445 du 10 décembre 2014 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A...devant le tribunal administratif de Grenoble, ainsi que ses conclusions d'appel, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme D...A.... Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 2 février 2016, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Duguit-Larcher, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er mars 2016.
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N° 15LY00126