Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 17 février 2015, le préfet de l'Yonne, représenté par la Selarl Claisse et associés, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 9 décembre 2014 ;
2°) de rejeter la demande de M.C....
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les ressources de M. C...étaient suffisantes pour accueillir son épouse en France, dès lors que seul un demandeur titulaire de l'allocation aux adultes handicapés et dont le taux d'incapacité est d'au moins 80 % est dispensé de la condition de ressources, alors que le taux d'incapacité de M. C...est inférieur à 80 % ;
- l'intéressé ne bénéficie pas de ressources suffisantes, au sens de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de M. C...au respect de sa vie privée et familiale, au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2016, M. B...C..., représenté par MeA..., conclut au non-lieu à statuer, ou, à titre subsidiaire, au rejet de la requête et demande, en toute hypothèse, qu'une somme de 1 500 euros soit mis à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir :
- à titre principal, qu'il n'y a plus lieu de statuer sur la requête du préfet de l'Yonne, une nouvelle décision, prise le 10 février 2015, s'étant substituée à la décision du 3 décembre 2013 et ayant été annulée par un jugement du tribunal administratif de Dijon du 14 septembre 2015, devenu définitif ;
- à titre subsidiaire, qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Peuvrel, premier conseiller ;
- et les observations de MeD..., pour le préfet de l'Yonne.
1. Considérant que M.C..., ressortissant marocain né le 29 mai 1979, titulaire d'une carte de résident valable jusqu'en juin 2017, a sollicité le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse le 8 juillet 2013 ; que, par jugement du 9 décembre 2014, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 3 décembre 2013 par laquelle le préfet de l'Yonne a rejeté sa demande ; que le préfet de l'Yonne relève appel de ce jugement en tant qu'il a prononcé cette annulation, qu'il lui a enjoint de réexaminer la demande de M. C...et qu'il a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Sur les conclusions de M. C...à fin de non-lieu à statuer :
2. Considérant que la circonstance qu'une nouvelle décision rejetant la demande de M. C... a été prise le 10 février 2015, puis annulée par le tribunal administratif de Dijon par un jugement du 14 septembre 2015 devenu définitif, n'est pas de nature, contrairement à ce que soutient M.C..., à priver d'objet la requête du préfet de l'Yonne ;
Sur la légalité de la décision du 3 décembre 2013 :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 351-9, L. 351-10 et L. 351-10-1 du code du travail. Les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur. Le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 441-1 fixe ce montant qui doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième. Ces dispositions ne sont pas applicables lorsque la personne qui demande le regroupement familial est titulaire de l'allocation aux adultes handicapés mentionnée à l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale ou de l'allocation supplémentaire mentionnée à l'article L. 815-24 du même code. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige : " Toute personne résidant sur le territoire métropolitain (...) ayant dépassé l'âge d'ouverture du droit à l'allocation prévue à l'article L. 541-1 et dont l'incapacité permanente est au moins égale à un pourcentage fixé par décret perçoit, dans les conditions prévues au présent titre, une allocation aux adultes handicapés. (...) " ; que selon l'article L. 821-2 du même code : " L'allocation aux adultes handicapés est également versée à toute personne qui remplit l'ensemble des conditions suivantes : / 1° Son incapacité permanente, sans atteindre le pourcentage fixé par le décret prévu au premier alinéa de l'article L. 821-1, est supérieure ou égale à un pourcentage fixé par décret ; / 2° La commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles lui reconnaît, compte tenu de son handicap, une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi, précisée par décret. / Le versement de l'allocation aux adultes handicapés au titre du présent article prend fin à l'âge auquel le bénéficiaire est réputé inapte au travail dans les conditions prévues au cinquième alinéa de l'article L. 821-1. " ; qu'enfin, selon l'article D. 821-1 du même code : " Pour l'application de l'article L. 821-1, le taux d'incapacité permanente exigé pour l'attribution de l'allocation aux adultes handicapés est d'au moins 80 %. / Pour l'application de l'article L. 821-2 ce taux est de 50 %. (...) " ;
4. Considérant que, pour annuler la décision du 3 décembre 2013 du préfet de l'Yonne, les premiers juges se sont fondés sur le fait que M. C...était titulaire de l'allocation aux adultes handicapés depuis octobre 2010 et entrait ainsi dans les cas où le préfet ne pouvait lui opposer l'insuffisance de ses ressources pour lui refuser le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse ; que, toutefois, il résulte des dispositions précitées que cette dispense, de droit, ne concerne que les personnes justifiant de l'attribution de l'allocation aux adultes handicapés au titre de l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale, laquelle attribution, en application des dispositions précitées de l'article D. 821-1 du même code, est conditionnée à la justification d'un taux d'incapacité permanente d'au moins 80 % ; qu'en l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le taux d'incapacité qui a été reconnu à M. C...par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées est inférieur à 80% ; que l'allocation perçue par M. C...relève ainsi des dispositions de l'article L. 821-2 du code de la sécurité sociale alors que la dispense de condition de ressources n'est applicable qu'aux titulaires de l'allocation perçue en application de l'article L. 821-1 du même code ; que, par suite, le préfet de l'Yonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé sa décision du 3 décembre 2013 au motif qu'il ne pouvait opposer à l'intéressé la condition de ressources ;
5. Considérant qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C...devant le tribunal administratif de Dijon et devant la Cour ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
7. Considérant que M.C..., titulaire d'une carte de résident depuis juin 2007, dont il n'est pas contesté qu'il a vécu toute sa vie en France où il est arrivé alors qu'il n'avait que quelques mois, s'est marié le 2 juillet 2010 au Maroc, soit plus de trois ans avant la décision contestée ; que, dans ces conditions particulières, au regard de l'insertion de M. C...en France, de la durée de son mariage et de sa situation de handicap, le préfet de l'Yonne a, en rejetant sa demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse, porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, au sens des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède le préfet de l'Yonne n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé sa décision du 3 décembre 2013, ni à demander l'annulation de ce jugement en tant qu'il a fait partiellement droit à la demande de M.C... ;
Sur les frais non compris dans les dépens :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C...et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de l'Yonne est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. C...une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B...C....
Copie en sera adressée au préfet de l'Yonne.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Boucher, président de chambre ;
- M. Drouet, président-assesseur ;
- Mme Peuvrel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 juin 2016.
''
''
''
''
5
N° 15LY00694