Par une requête et des mémoires, enregistrés les 20 juin 2014 et 16 juin 2016, M. B..., représenté par Me Ruffel, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 janvier 2014 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) d'annuler les décisions du préfet de l'Isère du 12 janvier 2014 ;
3°) de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur la compatibilité du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avec l'article 7 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le magistrat délégué n'a pas répondu aux moyens tirés du défaut d'examen de sa demande et de l'insuffisance de motivation de la décision de placement en rétention ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été signée par une personne incompétente ;
- elle n'est pas suffisamment motivée ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen réel et complet de sa situation ;
- cette décision est privée de base légale, dès lors qu'ayant formulé une demande d'asile et devant donc être autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, il n'entre pas dans le cas prévu par l'article L. 511-1-I 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet aurait dû statuer préalablement sur sa demande d'asile ;
- le préfet a commis une erreur de droit et une erreur de fait en se fondant sur le 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors qu'il est entré régulièrement en France ;
- la décision refusant un délai de départ volontaire a été signée par une personne incompétente ;
- cette décision et l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile méconnaissent l'article 7 de la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
- il ne relève pas des a) et f) du 3° de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il a un passeport en cours de validité et a demandé son admission au séjour au titre de l'asile ;
- la décision fixant la Tunisie comme pays de destination a été signée par une personne incompétente ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision de placement en rétention a été signée par une personne incompétente ;
- elle est insuffisamment motivée en droit et en fait ;
- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Un mémoire présenté par M. B... a été enregistré le 22 juin 2016.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 21 mai 2014.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les observations de Me C... du cabinet Ruffel, représentant M.B....
1. Considérant que M. B..., de nationalité tunisienne, relève appel du jugement du 16 janvier 2014 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du préfet de l'Isère du 12 janvier 2014 l'obligeant à quitter le territoire français sans délai à destination de la Tunisie et le plaçant en rétention et tendant à ce que la Cour de justice de l'Union européenne soit saisie d'une question préjudicielle sur la compatibilité du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avec l'article 7 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'à l'appui de sa demande, M. B... soutenait notamment que le préfet n'avait pas procédé à un examen complet et réel de sa situation ; que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif, qui a visé ce moyen, lequel n'était pas inopérant, n'y a pas répondu ; que par suite, son jugement doit être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen d'irrégularité du jugement ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nîmes ;
Sur les conclusions à fin d'annulation des décisions portant obligation de quitter sans délai le territoire français et placement en rétention :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsqu'un étranger, se trouvant à l'intérieur du territoire français, demande à bénéficier de l'asile, l'examen de sa demande d'admission au séjour relève de l'autorité administrative compétente " ; qu'aux termes de l'article L. 742-1 du même code, dans sa version applicable à la date des décisions administratives attaquées : " Lorsqu'il est admis à séjourner en France en application des dispositions du chapitre Ier du présent titre, l'étranger qui demande à bénéficier de l'asile se voit remettre un document provisoire de séjour lui permettant de déposer une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. L'office ne peut être saisi qu'après la remise de ce document au demandeur. Après le dépôt de sa demande d'asile, le demandeur se voit délivrer un nouveau document provisoire de séjour. Ce document est renouvelé jusqu'à ce que l'office statue et, si un recours est formé devant la Cour nationale du droit d'asile, jusqu'à ce que la cour statue " ; qu'aux termes de l'article L. 741-4 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile ne peut être refusée que si : (...) 4° La demande d'asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile ou n'est présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente. Constitue, en particulier, un recours abusif aux procédures d'asile la présentation frauduleuse de plusieurs demandes d'admission au séjour au titre de l'asile sous des identités différentes. Constitue également un recours abusif aux procédures d'asile la demande d'asile présentée dans une collectivité d'outre-mer s'il apparaît qu'une même demande est en cours d'instruction dans un autre Etat membre de l'Union européenne. Constitue une demande d'asile reposant sur une fraude délibérée la demande présentée par un étranger qui fournit de fausses indications, dissimule des informations concernant son identité, sa nationalité ou les modalités de son entrée en France afin d'induire en erreur les autorités " ; que ces dispositions ont pour effet d'obliger l'autorité de police à transmettre au préfet, et ce dernier à enregistrer, une demande d'admission au séjour lorsqu'un étranger, à l'occasion de son interpellation, formule une demande d'asile ; que, par voie de conséquence, elles font également obstacle à ce que le préfet fasse usage de ses pouvoirs en matière d'éloignement des étrangers en situation irrégulière avant d'avoir statué sur cette demande d'admission au séjour déposée au titre de l'asile ;
4. Considérant que M. B... a fait l'objet d'une interpellation le 12 janvier 2014 ; qu'il ressort du procès-verbal établi par les services de police le même jour à 17 h 18 qu'il a déclaré vouloir solliciter l'asile ; que le même jour à 20 h 00, une décision portant obligation de quitter sans délai le territoire français lui a été notifiée ; que ce n'est que le 12 janvier à 23 h 37 que ses droits en matière d'asile lui ont été notifiés ; que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a été saisi le 13 janvier ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment de l'examen de la décision portant obligation de quitter le territoire français, laquelle ne contient aucune référence à la demande d'asile du requérant, que le préfet de l'Isère aurait, préalablement à l'édiction de la mesure d'éloignement, statué sur l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au titre de l'asile ; que la décision portant obligation de quitter le territoire français doit ainsi être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, celle portant placement en rétention, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;
Sur l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
5. Considérant que M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Ruffel, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Ruffel de la somme de 1 500 euros ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 16 janvier 2014 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes est annulé.
Article 2 : Les décisions du 12 janvier 2014 du préfet de l'Isère portant obligation de quitter sans délai le territoire français et placement en rétention sont annulées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à Me Ruffel la somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que Me Ruffel renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Ruffel.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2016, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- M. Laso, président-assesseur,
- Mme D..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 13 juillet 2016.
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N° 14MA02792