Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistré le 13 février 2015, l'EURL AASD, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 31 décembre 2014 ;
2°) d'annuler les décisions des 28 janvier et 21 juin 2013 ;
3°) d'enjoindre au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, à titre principal, d'autoriser le licenciement de Mme D... dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir, subsidiairement de lui enjoindre de réinstruire la demande d'autorisation de licenciement dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en s'abstenant de communiquer le mémoire complémentaire qu'elle avait produit le 25 novembre 2014 avant la clôture de l'instruction, qui contenait un élément nouveau, le tribunal a méconnu le caractère contradictoire de la procédure ;
- sa demande de licenciement était exclusivement fondée sur l'inaptitude de l'intéressée et l'impossibilité de la reclasser ;
- elle était sans lien avec le mandat de l'intéressée ;
- il n'appartenait pas au tribunal de rechercher si l'inaptitude de Mme D... trouvait sa cause dans le comportement de son employeur.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2015, Mme D... conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'EURL AASD au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés ;
- l'employeur n'a ni recherché ni proposé son reclassement.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Menasseyre, première conseillère,
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant l'EURL AASD.
1. Considérant que l'EURL Aide assistance service à domicile (AASD) relève appel du jugement du 31 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation, d'une part, de la décision du 28 février 2013, par laquelle l'inspecteur du travail a refusé de lui délivrer l'autorisation de licencier Mme D..., déléguée du personnel et déléguée syndicale et, d'autre part, de la décision du ministre du travail du 21 juin 2013, confirmant ce refus sur recours hiérarchique ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'en vertu de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, les mémoires en réplique sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ; que la méconnaissance de l'obligation de communiquer un tel mémoire n'est toutefois pas de nature à entacher la régularité du jugement lorsqu'il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties ; qu'il ressort des pièces du dossier que même si le mémoire produit avant la clôture de l'instruction par l'EURL AASD contenait des éléments nouveaux, l'absence de communication, compte tenu des motifs retenus par le juge pour fonder sa décision, n'a pu préjudicier aux droits des parties ; que dès lors le tribunal a pu, sans entacher la procédure d'irrégularité, s'abstenir de le communiquer ;
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 2421-7 du code du travail, applicable en cas de licenciement d'un délégué du personnel et de l'article R. 2421-16 du même code, applicable en cas de licenciement d'un délégué syndical, rédigés dans les mêmes termes : " L'inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé " ; qu'en vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi, et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise ; que, s'il n'appartient pas à l'administration de rechercher la cause de l'inaptitude physique du salarié mais seulement de contrôler qu'elle est réelle et justifie le licenciement, les dispositions précitées lui imposent également de déterminer, même en cas d'inaptitude physique, si la mesure envisagée est en rapport avec le mandat détenu ;
4. Considérant, en premier lieu, que le tribunal a jugé que le licenciement de Mme D... n'était pas dépourvu de lien avec l'exercice de ses mandats de déléguée du personnel et de déléguée syndicale et que ce motif fondait légalement les décisions contestées ; que s'il a, dans les motifs de sa décision, indiqué que l'inaptitude de Mme D... trouvait son origine dans le comportement de son employeur à son égard, il a aussitôt relevé que l'intéressée ne contestait pas la réalité de son inaptitude physique à exercer les fonctions tant d'assistante de vie que toute autre fonction dans l'entreprise ; qu'il n'a pas fondé sa décision sur la cause de l'inaptitude de Mme D... mais sur l'existence, indépendamment du motif avancé à l'appui de la demande de son employeur, d'un lien avec ses mandats ; qu'ainsi l'EURL appelante n'est pas fondée à soutenir que le tribunal aurait, à tort, recherché si l'inaptitude de Mme D... trouvait sa cause dans le comportement de son employeur ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que le 24 octobre 2012, le médecin du travail a adressé un courrier à la gérante de l'EURL AASD pour l'alerter sur le fait que plusieurs des indicateurs de l'existence de risques psychosociaux tels un absentéisme anormal, un " turn-over " et des démissions étaient présents dans son entreprise ; qu'il ressort des pièces du dossier que les mouvements de personnel étaient caractérisés par un fort taux de renouvellement, cent quarante-sept déclarations préalables à l'embauche ayant été effectuées entre mars 2010 et le 31 décembre 2012, pour un effectif passé de dix-neuf personnes en 2011 à une trentaine en 2012 ; qu'il ressort des pièces du dossier que Mme D... a été élue déléguée du personnel en février 2011 et désignée en qualité de déléguée syndicale CFDT en décembre 2011 ; que jusqu'à cette époque, aucune difficulté relationnelle ne s'était manifestée entre l'intéressée et son employeur depuis l'embauche intervenue en février 2009 ; que Mme D... a signé, deux mois après sa désignation et sans être accompagnée par un syndicat, un accord d'annualisation du temps de travail ; qu'il ressort de la lettre adressée à Mme D... par l'inspecteur du travail le 5 décembre 2011 que cet accord, sur la validité duquel l'autorité administrative s'interrogeait, a conduit à interrompre le règlement de majorations pour heures supplémentaires et complémentaires ; que, dans ces conditions, lorsqu'en décembre 2011, l'employeur a souhaité ouvrir une nouvelle négociation relative aux indemnités kilométriques, Mme D... a pris l'attache de la CFDT afin de se faire assister dans cette négociation et, notamment, de disposer du texte pour l'étudier ; qu'il n'est pas contesté que l'intéressée ne pouvait librement disposer d'un exemplaire de l'accord proposé et que ces négociations n'ont pas abouti ;
6. Considérant que les deux décisions contestées relèvent, dans ces circonstances, la volonté de l'employeur d'affecter Mme D... sur des interventions ayant pour conséquence de l'éloigner du siège de l'entreprise et du personnel ; que si l'EURL AASD démontre que le planning de l'intéressée la conduisait, avant comme après son élection en qualité de déléguée du personnel et jusqu'au mois de décembre 2011, à intervenir régulièrement au sein de la résidence pour personnes âgées Soleiades, proche du siège de l'entreprise, aucune intervention dans cette structure n'est démontrée pour la période postérieure au mois de décembre 2011, au cours duquel est intervenue la désignation de Mme D... en qualité de déléguée syndicale et au cours duquel elle a manifesté son intention de jouer un rôle actif dans la négociation qui était ouverte et de ne pas se borner à entériner, sans discussion, la proposition de l'employeur ; que si la société appelante fait valoir que la gérante n'intervenait pas sur les plannings, l'administration a versé aux débats le planning de prise en charge d'un patient domicilié au 8 rue Verdi alors que le siège social de l'entreprise est au 5, annoté afin que soient déprogrammées toutes les interventions de Mme Lourdin initialement prévues, ce document démentant les affirmations contraires de la société; qu'a également été versée aux débats une attestation d'une employée de l'entreprise faisant état d'une conversation téléphonique au cours de laquelle la gérante imputait la dégradation du climat social à la déléguée du personnel ; qu'une autre attestation indique que son auteur a entendu à plusieurs reprises la gérante dire qu'elle cherchait par tous moyens à se débarrasser de Mme D... ; qu'un compte-rendu reproduisant les propos tenus par la gérante à l'occasion d'une réunion avec les salariés le 13 février 2013 mentionne que, selon cette dernière, la crise interne traversée par l'entreprise trouverait sa source dans " la situation avec la salariée et déléguée du personnel " qui a " affecté AASD et la direction plus particulièrement " ;
7. Considérant qu'au vu de ces éléments, et indépendamment des déclarations de Mme B..., dont la sincérité est contestée par l'EURL ASSD, la demande d'autorisation de licenciement de Mme D... sollicitée par l'employeur n'était pas dépourvue de tout lien avec l'exercice par cette salariée de ses mandats de déléguée du personnel et de déléguée syndicale, et ce alors même qu'elle était formulée à la suite d'un avis d'inaptitude physique émis par le médecin du travail et que ce dernier motif était seul avancé par l'employeur ; qu'est sans influence sur cette appréciation la circonstance que Mme D... ait été, par un jugement d'ailleurs frappé d'appel, déboutée d'une demande en dommages et intérêts pour discrimination syndicale présentée devant le conseil des prud'hommes ; que c'est dès lors à bon droit que, tant l'inspecteur du travail que le ministre et le tribunal ont estimé que ce motif faisait obstacle à ce que l'administration puisse légalement autoriser le licenciement demandé ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'EURL AASD n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande ; qu'il ne saurait, par suite, être fait droit à ses conclusions à fin d'injonction ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'EURL AASD une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme D... et non compris dans les dépens ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à l'EURL AASD une somme au même titre ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de l'EURL AASD est rejetée.
Article 2 : L'EURL AASD versera à Mme D... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Aide assistance service à domicile, à la ministre du travail, de l'emploi de la formation professionnelle et du dialogue social et à Mme C... D.au 8 rue Verdi alors que le siège social de l'entreprise est au 5, annoté afin que soient déprogrammées toutes les interventions de Mme Lourdin initialement prévues, ce document démentant les affirmations contraires de la société
Délibéré après l'audience du 31 mai 2016, où siégeaient :
- M. Lascar, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- Mme E..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 16 juin 2016.
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N° 15MA00624 2
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