Par une requête enregistrée le 3 juin 2015 et des mémoires enregistrés les 30 novembre 2015 et 22 février 2016, la commune d'Auboué, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1300348 du 31 mars 2015 du tribunal administratif de Nancy ;
2°) de condamner solidairement l'Etat et la société Sotrae à lui verser la somme de 2 143 630,32 euros toutes taxes comprises (TTC) avec intérêts légaux à compter du 23 novembre 2010 en réparation de désordres affectant sa voirie ;
3°) de condamner solidairement l'Etat et la société Sotrae aux dépens au titre des frais d'expertise;
4°) de mettre solidairement à la charge de l'Etat et de la société Sotrae une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune d'Auboué soutient que :
- les travaux portant sur la voirie et les réseaux et ceux portant sur l'assainissement et l'eau potable ayant donné lieu à deux réceptions distinctes, la prescription n'était donc pas acquise pour la voirie et les réseaux secs ;
- la maîtrise d'ouvrage déléguée ne concerne donc que la pose des canalisations et non la restructuration de la voirie ;
- la mission de la maîtrise d'oeuvre n'était achevée qu'avec la réception des travaux de voirie et de réseaux secs dont la date d'effet est fixée au 15 décembre 2000 ce qui a pour conséquence d'engager la responsabilité de l'Etat ;
- le point de départ du délai de garantie décennale est la réception de la totalité des travaux dès lors que les travaux portant sur la voirie ne seraient que l'accessoire des travaux portant sur l'assainissement et l'eau potable ;
- la société ayant signé le plan qualité pour l'emploi des matériaux, elle était débitrice d'une obligation contractuelle spécifique qui ne se prescrit que postérieurement à la connaissance des désordres.
Par un mémoire en défense enregistré le 25 août 2015, la société Sotrae, représentée par la SCP Gottlich-B..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune d'Auboué au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Sotrae soutient que :
A titre principal,
- la demande de la commune d'Auboué ne se situe plus que sur le terrain de la responsabilité contractuelle ;
- à cet égard, la réception sans réserve des travaux pour lesquels la société Sotrae est concernée ayant eu lieu le 5 mai et le 30 octobre 2000, la commune n'est pas fondée à engager sa responsabilité contractuelle ;
- elle ne saurait reporter le point de départ de l'action à une date postérieure à celle de la réception ;
A titre subsidiaire,
- la commune n'agit que comme maître d'ouvrage délégué et sa seule qualité de mandataire ne lui conférait pas le pouvoir d'entreprendre une action en justice, quel qu'en soit le fondement ;
- la société Sotrae n'est pas concernée par le marché voirie et réseaux secs des 2ème et 3ème tranches dont la réception est intervenue le 15 décembre 2000, la commune agissant toujours en qualité de maître d'ouvrage délégué ;
- aucune convention n'a été conclue par la commune en une qualité autre que celle de maître d'ouvrage délégué et les préjudices en cause liés aux marchés de travaux des réseaux d'assainissement et d'eau potable avec rétablissement des VRD sont relatifs à des désordres qui concernent les syndicats intercommunaux ;
- s'il devait être fait droit aux prétentions de la commune, il est précisé subsidiairement qu'une mise en cause de la société Sotrae impliquerait l'appel en garantie de l'Etat comme maître d'oeuvre de l'opération.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 janvier 2016, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie conclut au rejet de la requête.
Il indique s'en remettre aux écritures en défense de première instance et soutient que :
- les moyens soulevés par la commune d'Auboué ne sont pas fondés.
- subsidiairement, le montant du préjudice réparable ne saurait excéder la somme de 522 481,69 euros ; la société Sotrae serait alors appelée en garantie en cas de mise en cause de la responsabilité de l'Etat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Richard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
- et les observations de Me A...pour la commune d'Auboué et de Me B...pour la société Sotrae.
Considérant ce qui suit :
1. Par une convention du 8 décembre 1998, le syndicat intercommunal des eaux du Soiron a délégué à la commune d'Auboué la maîtrise d'ouvrage d'une opération de réhabilitation des réseaux d'eau potable dans le quartier des cités du Tunnel comportant trois tranches correspondant aux différentes rues concernées. Par une convention du 24 mars 1999, le syndicat intercommunal d'assainissement Orne-Aval a, pour sa part, délégué à la même commune la maîtrise d'ouvrage pour les travaux d'assainissement dans le même quartier. Les marchés de travaux relatifs aux réseaux d'eau potable et d'assainissement ont été confiés à la société Sotrae. La maîtrise d'oeuvre a été assurée par les services de la direction départementale de l'équipement au titre des concours de l'Etat.
2. En raison de désordres affectant la voirie concernée par les travaux susmentionnés et survenus quelques années après la réception, la commune d'Auboué a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nancy qui, à sa demande, a ordonné une expertise.
3. Sur le fondement du rapport d'expertise déposé le 20 novembre 2012, la commune d'Auboué a demandé au tribunal de condamner solidairement l'Etat et la société Sotrae à l'indemniser, sur le fondement de la responsabilité décennale et contractuelle des intervenants, de préjudices subis à raison de la reprise totale des travaux évaluée à 2 143 630,32 euros.
4. Par le jugement attaqué du 31 mars 2015 dont la commune relève appel, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande de la commune d'Auboué au motif qu'elle n'avait pas qualité pour mettre en jeu la responsabilité décennale des constructeurs et que les rapports contractuels nés dans le cadre du marché de travaux des 2ème et 3ème tranches avaient pris fin avec la réception des ouvrages.
Sur la demande indemnitaire de la commune :
5. Il résulte de l'instruction que si la commune d'Auboué a produit des documents contractuels tels que le CCTP du marché de travaux de réhabilitation des VRD des Cités du Tunnel " 2ème et 3ème tranche voirie réseaux secs " ou "travaux d'assainissement et d'eau potable 3ème tranche ", dans lesquels elle est présentée comme le " maître d'ouvrage ", elle n'a toutefois agi, ainsi que l'a estimé le tribunal, que dans le cadre de sa mission de maître d'ouvrage délégué, les travaux de réhabilitation de la voirie et réseaux secs ne constituant que l'accessoire des travaux relatifs aux réseaux d'assainissement et AEP. Les actes d'engagement produits au dossier ne démontrent pas que la commune aurait conclu avec la société Sotrae en une autre qualité que celle de maître d'ouvrage délégué du syndicat intercommunal des eaux du Soiron et du syndicat intercommunal d'assainissement Orne-Aval, pour les besoins des travaux de réhabilitation des réseaux d'assainissement et d'eau potable. Elle ne produit en appel aucun autre élément probant, tel que les factures des travaux réalisés ou les actes contractuels conclus par les syndicats ou par la commune en qualité de simple maître d'ouvrage délégué, de nature à établir qu'elle a conclu elle-même et pour son nom propre des contrats avec l'Etat et la société Sotrae au titre des travaux et prestations qui sont, selon elle, à l'origine des désordres dont elle demande la réparation. Elle ne peut donc pas demander que la responsabilité de l'Etat et de la société Sotrae soit engagée, à son égard, au titre de la responsabilité contractuelle ou au titre de la garantie décennale.
6. En tout état de cause et pour ce qui est de l'engagement de la responsabilité décennale, d'une part, la commune d'Auboué ne conteste pas qu'elle ne disposait d'aucun mandat pour agir au nom des syndicats, maîtres d'ouvrage, en vue d'obtenir la condamnation des constructeurs, l'article 14 des conventions du 8 décembre 1998 et du 24 mars 1999 conclues avec les deux syndicats précités stipulant à cet égard qu'" à la demande du maître de l'ouvrage, le mandataire pourra agir en justice pour le compte du maître de l'ouvrage jusqu'à la délivrance du quitus, aussi bien en tant que demandeur que défendeur. Le mandataire devra, avant toute action, demander l'accord du maître de l'ouvrage. Toutefois, toute action en matière de garantie décennale et de garantie de bon fonctionnement n'est pas du ressort du mandataire ".
7. En outre, il est également constant que l'ensemble des travaux qui sont, selon la commune, à l'origine des désordres qui ont justifié son action en responsabilité contractuelle ont fait l'objet d'une réception sans réserve. Une telle réception met donc fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage et interdit, par conséquent, au maître de l'ouvrage d'invoquer, après qu'elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l'ouvrage dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation (CE 6 avril 2007 n° 264490).
8. Les moyens de la commune concernant tant les fautes que le maître d'oeuvre aurait commises dans le cadre de ses pouvoirs en matière de suivi des travaux, de contrôle et de conseil à l'égard du maître d'ouvrage que l'absence de prescription concernant la voirie et les réseaux secs ne peuvent ainsi qu'être écartés comme inopérants.
9. La commune d'Auboué n'est donc pas fondée à demander que les responsabilités contractuelle et décennale de la société Sotrae et de l'Etat soient engagées à son égard.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Auboué n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de la société Sotrae à lui verser la somme de 2 143 630,32 euros assortie des intérêts légaux.
Sur les conclusions relatives aux frais d'expertise :
11. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties ".
12. Les frais d'expertise exposés devant le tribunal, liquidés et taxés, à la somme de 32 212,10 euros, doivent être laissés à la charge de la commune d'Auboué.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de la société Sotrae qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune d'Auboué demande au titre des frais exposés par elle pour son recours au juge d'appel.
14. En revanche, il y a lieu, sur le fondement de ces dernières dispositions, de mettre à la charge de la commune d'Auboué le paiement de la somme de 1 500 euros à la société Sotrae au titre des frais que celle-ci a exposés pour sa défense.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune d'Auboué est rejetée.
Article 2 : La commune d'Auboué versera à la société Sotrae une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3°: Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Auboué, à la société Sotrae et au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer.
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N° 15NC01208