Procédure devant la cour :
Par un recours, enregistré le 23 décembre 2014, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Pau du 16 octobre 2014 condamnant l'Etat à verser à M. B...une indemnité représentative des congés annuels non pris correspondant aux périodes où l'intéressé a été placé en congé de maladie ordinaire, en 2011 et 2012 et le renvoyant auprès de son administration aux fins qu'il soit procédé au calcul et à la liquidation de ces droits à indemnité.
2°) de rejeter la demande indemnitaire de M.B....
Il soutient que :
- en condamnant l'Etat à verser au requérant une indemnité représentative des congés annuels non pris au titre de l'année 2011, le tribunal administratif de Pau a nécessairement considéré que les droits aux congés acquis au titre de cette année pouvaient être reportés de manière illimitée en cas de maladie, faisant ainsi une interprétation erronée des dispositions de l'article 7 § 1 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans le dernier état de sa jurisprudence ; s'il ne conteste pas le principe d'un report des congés annuels de M.B..., de même que le principe de leur indemnisation, dès lors que l'intéressé, désormais à la retraite, a rompu tout lien avec l'administration, la Cour de justice des communautés européennes, dans un arrêt KHS AG a rappelé que le droit au report n'était pas un droit illimité et a précisé que toute période de report doit dépasser substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée ; elle a considéré qu'une période de report de quinze mois est conforme à la directive européenne du 4 novembre 2003 ; il convient d'écarter l'application de l'article 5 du décret du 26 octobre 1984, lequel ne prévoit une possibilité de report que d'un an, pour retenir la période de 15 mois, validée par la Cour de justice de l'Union européenne ; par suite le reliquat des droits à congés annuels au titre l'année 2011 de M. B...était définitivement perdu 15 mois après le 31 décembre 2011, date de la fin de la période de référence, soit le 1er avril 2013.
- en condamnant l'Etat à verser au requérant une indemnité représentative des congés annuels non pris, sans apporter la précision selon laquelle l'indemnisation devrait être calculée au prorata des droits acquis, sur la base de quatre semaines de congés payés annuels pour un temps plein, le tribunal administratif de Pau a commis une erreur de droit ; si le tribunal n'avait pas, ainsi qu'il l'indique, les éléments suffisants lui permettant de procéder lui-même au calcul de l'indemnisation due, renvoyant le requérant vers son administration, il a omis cependant de mentionner que l'indemnisation devrait être calculée sur la base de quatre semaines et non sur la base des cinq semaines de congés payés auxquelles peuvent prétendre les fonctionnaires à temps plein ; le droit de l'Union fixant la durée minimale des congés payés à 4 semaines, rien ne s'oppose à ce que les congés supplémentaires n'ouvrent pas droit à des indemnités financières.
Par ordonnance du 12 octobre 2015 la clôture d'instruction a été fixée au 15 décembre 2015 à 12 h.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;
- les arrêts C-350/06 et C-520/06 du 20 janvier 2009, C-214/10 du 22 novembre 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Cécile Cabanne, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite d'un accident de vélo survenu hors service le 9 octobre 2011, M.B..., adjoint administratif principal de première classe, affecté à la direction départementale de la sécurité publique des Pyrénées-Atlantiques, a été placé en congé de maladie ordinaire jusqu'au 9 octobre 2012. Après avis du comité médical départemental et du comité médical supérieur, l'intéressé a été successivement placé en position de disponibilité entre le 10 octobre 2012 et le 31 décembre 2012, puis en disponibilité maladie à demi-traitement, dans l'attente qu'il soit définitivement statué sur sa situation, entre le 1er janvier 2013 et le 28 février 2014. Par décision du 30 janvier 2014 du préfet de la zone de défense Sud-Ouest, M. B... a été admis à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité à compter du 1er août 2013. Entre-temps, par des courriers successifs, M. B...a souhaité l'indemnisation de ses droits à congé annuel avant son admission à la retraite. En dernier lieu, par décision du 26 décembre 2013, le préfet de la zone de défense Sud-ouest a rejeté la demande au motif notamment qu'une telle indemnisation ne pouvait intervenir qu'en cas de départ à la retraite de l'intéressé et, s'agissant du reliquat 2011, qu'il était définitivement perdu. M. B... a notamment contesté ce refus devant le tribunal administratif de Pau qui, par l'article 1er du jugement attaqué du 16 octobre 2014, a condamné l'Etat à lui verser une indemnité représentative des congés annuels non pris au titre des années 2011 et 2012 et, par l'article 2 de ce jugement, l'a renvoyé devant le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud-ouest aux fins qu'il soit procédé au calcul et à la liquidation de ces droits à indemnité. Le ministre de l'intérieur demande la réformation du jugement sur ces deux points.
2. Aux termes de l'article L. 113-1 du code de justice administrative : " Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut, par une décision qui n'est susceptible d'aucun recours, transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d'Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu'à un avis du Conseil d'Etat ou, à défaut, jusqu'à l'expiration de ce délai. ".
3. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984: " Le fonctionnaire en activité a droit : 1° A un congé annuel avec traitement dont la durée est fixée par décret en Conseil d'Etat ; 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. (...) 3° A des congés de longue maladie d'une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rend nécessaire un traitement et des soins prolongés et qu'elle présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. (...) ". Aux termes de l'article 5 du décret du 26 octobre 1984 : " Le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par le chef de service. Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice. ".
4. Aux termes de l'article 7 de la directive n° 2003/88 du 4 novembre 2003 susvisée : " Article 7 Congé annuel 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. ". Tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'Etat n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transpositions nécessaires. Le délai de transposition de cette directive expirait le 23 mars 2005.
5. Dans son arrêt C-350/06 et C-520/06 du 20 janvier 2009, la Cour de Justice de l'Union européenne a rappelé que " le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe général du droit social communautaire revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé (...) et que " l'article 7 § 1 de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit à congé annuel payé s'éteint à l'expiration de la période de référence et/ou d'une période de report fixée par le droit national même lorsque le travailleur a été en congé de maladie durant toute la période de référence et que son incapacité de travail a perduré jusqu'à la fin de sa relation de travail, raison pour laquelle il n'a pas pu exercer son droit au congé annuel payé (...) ". Par suite, les dispositions citées ci-dessus de l'article 5 du décret du 26 octobre 1984, qui ne prévoient pas l'indemnisation des congés annuels qui n'ont pu être pris du fait de la maladie, ni reportés avant la fin de la relation de travail de l'agent concerné, sont incompatibles dans cette mesure avec celles de l'article 7 de cette directive.
6. Si le ministre de l'intérieur ne conteste plus qu'un fonctionnaire a droit, lors de son départ à la retraite, à une indemnité financière pour congé annuel non pris en raison du fait qu'il n'a pas exercé ses fonctions pour cause de maladie, il fait valoir, en s'appuyant sur l'interprétation apportée par la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011, selon laquelle " un travailleur en incapacité de travail durant plusieurs années consécutives, empêché par le droit national de prendre son congé annuel payé durant ladite période, ne saurait avoir le droit de cumuler de manière illimitée des droits au congé annuel payé acquis durant cette période ", que M. B...ne disposait plus d'aucun droit au report au-delà d'une période de 15 mois à compter de l'année au cours de laquelle les congés ont été générés et qu'ainsi le reliquat de congés au titre de l'année 2011 dont il bénéficiait était définitivement perdu à compter du 1er avril 2013, soit antérieurement à la date d'effet de sa retraite, le 1er août 2013.
7. Le ministre de l'intérieur n'invoque aucune disposition nationale de nature à justifier légalement la limitation du report des congés. Le litige présente ainsi à juger les questions suivantes :
1°) En l'absence de règlementation nationale compatible avec les principes fixés par le droit européen, un agent public qui n'a pu prendre de congés annuels pour cause de maladie peut-il revendiquer un droit de report de ses congés annuels sans limitation temporelle, ou appartient-il au juge d'apprécier, afin de préserver la finalité des congés annuels payés, le délai pendant lequel les congés non pris pour cause de maladie sont reportables et, en cas de fin de relation de travail, indemnisables par l'administration '
2°) Dans le cas où cette dernière hypothèse serait retenue, pour fixer la période de report " dépassant substantiellement la durée de la période de référence " comme indiqué par la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt précité, le juge doit-il faire une appréciation au cas par cas, ou bien retenir comme règle une période de quinze mois dès lors que ce choix d'un autre pays a été reconnu pertinent par la décision précitée de la Cour de justice de l'Union européenne, ou bien encore fixer cette limite en s'inspirant du délai de dix-huit mois prévu par la convention n° 132 de l'OIT du 24 juin 1970, concernant le droit à des congés payés annuels, dès lors que la directive 2003/88/CE indique avoir tenu compte des principes de l'OIT en matière d'aménagement du temps de travail , ou de toute autre norme'
8. Ces questions sont des questions de droit nouvelles, présentant des difficultés sérieuses et susceptibles de se poser dans de nombreux litiges. Dès lors, il y a lieu de surseoir à statuer sur la requête du ministre de l'intérieur et de transmettre pour avis sur ces questions le dossier de l'affaire au Conseil d'Etat.
DECIDE :
Article 1er : Le dossier de la requête du ministre de l'intérieur est transmis au Conseil d'Etat pour examen des questions posées au point 7.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête du ministre de l'intérieur jusqu'à ce que le Conseil d'Etat ait fait connaître son avis sur les questions de droit définies dans les motifs du présent arrêt ou, à défaut, jusqu'à l'expiration du délai de trois mois à compter de la communication du dossier prévue à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...B.... Copie en sera adressée au préfet de la zone de défense Sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 27 octobre 2016 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
Mme Cécile Cabanne, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 décembre 2016.
Le rapporteur,
Cécile CABANNELe président,
Catherine GIRAULT
Le greffier,
Delphine CÉRON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 14BX03684