I. Par une requête, enregistrée le 29 juin 2020 sous le n° 20BX02074, le préfet de Tarn-et-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement n° 2001053 du 25 mai 2020 en tant qu'il annule l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an contenue dans l'arrêté du 10 février 2020 et de rejeter la demande portée par M. D... devant le tribunal administratif de Toulouse.
Il soutient qu'il a bien pris en compte les quatre critères énumérés au 8ème alinéa du III de 1'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation ; c'est à tort que le magistrat désigné par le tribunal administratif semble conditionner le prononcé d'une interdiction de retour à l'existence d'une mesure d'éloignement antérieure et d'une menace à l'ordre public, alors qu'il n'est fait obligation au préfet que de la prise en compte de ces quatre critères.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2020, M. D..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête du préfet de Tarn-et-Garonne et à ce que soit mis à la charge de l'État la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que la requête du préfet est irrecevable et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
II. Par une requête, enregistrée le 29 juin 2020 sous le n° 20BX02075, le préfet de Tarn-et-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement n° 2001054 du 25 mai 2020 en tant qu'il annule l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an contenue dans l'arrêté du 10 février 2020 et de rejeter la demande portée par Mme D... devant le tribunal administratif de Toulouse.
Il soutient qu'il a bien pris en compte les quatre critères énumérés au 8ème alinéa du III de 1'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation ; c'est à tort que le magistrat désigné par le tribunal administratif semble conditionner le prononcé d'une interdiction de retour à l'existence d'une mesure d'éloignement antérieure et d'une menace à l'ordre public, alors qu'il n'est fait obligation au préfet que de la prise en compte de ces quatre critères.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2020, Mme D..., représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête du préfet de Tarn-et-Garonne et à ce que soit mis à la charge de l'État la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que la requête du préfet est irrecevable et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par décisions du 29 octobre 2020, le bureau d'aide juridictionnelle constate que M. et Mme D... conservent de plein droit le bénéfice de l'aide juridictionnelle qui leur avait été accordée en première instance, en leur qualité d'intimés devant la cour ;
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... F... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme D..., ressortissants albanais, sont entrés en France le 18 septembre 2019, selon leurs déclarations, et ont présenté, chacun, une demande d'asile le 1er octobre suivant, qui ont été rejetées le 30 décembre 2019 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, statuant selon la procédure accélérée, en application du 1° du I de l'article L. 723-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par deux arrêtés du 10 février 2020, le préfet de Tarn-et-Garonne a obligé M. et Mme D... à quitter le territoire dans le délai d'un mois, a fixé le pays de destination et a interdit leur retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par deux requêtes, enregistrées sous les n° 20BX02074 et n° 20BX02075, le préfet de Tarn-et-Garonne relève appel des jugements du 25 mai 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'ils annulent les décisions du 10 février 2020 par lesquelles il a interdit à M. et Mme D... le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
2. Les deux requêtes précitées du préfet de Tarn-et-Garonne sont relatives à la situation d'un couple, présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :
3. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté préfectoral contesté : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour./ (...)/Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence des cas prévus au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français / (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
4. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. Les circonstances que la présence de l'étranger sur le territoire français ne représente pas une menace pour l'ordre public ou qu'il n'aurait fait l'objet d'aucune mesure d'éloignement antérieure ne sont pas de nature à faire obstacle, à elles seules, au prononcé d'une interdiction de retour si la situation de l'intéressé, au regard notamment des autres critères, justifie légalement, dans son principe et sa durée, la décision d'interdiction de retour.
5. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifient sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
6. Pour annuler la décision portant interdiction de retour sur le territoire d'une durée d'un an, le magistrat désigné a estimé que le préfet de Tarn-et-Garonne a, dans les circonstances particulières de l'espèce, commis une erreur d'appréciation au regard du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la décision litigieuse se fonde sur la situation des intimés, notamment leur entrée récente en France, la durée de leur séjour et l'absence d'attaches sur le territoire. Ainsi, nonobstant l'absence de troubles à l'ordre public et l'absence de soustraction à une précédente mesure d'éloignement, ces circonstances suffisent pour considérer que l'interdiction de retour d'un an en litige est justifiée légalement dans son principe et dans sa durée.
7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de Tarn-et-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 10 février 2020 en tant qu'il interdit à M. et à Mme D... le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an et à en demander l'annulation dans cette mesure.
8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige relatif à l'interdiction de retour sur le territoire français par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme D... devant le tribunal administratif.
9. En premier lieu, par un arrêté du 30 décembre 2019 publié au recueil des actes administratifs spécial du 31 décembre 2019, le préfet de Tarn-et-Garonne a donné délégation de signature à M. Emmanuel Moulard, secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer tous actes, arrêtés et décisions relevant des attributions de l'État dans le département, à l'exception des arrêtés de conflit. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions attaquées manque en fait et doit être écarté.
10. En deuxième lieu, les décisions prononçant à l'encontre de M. et Mme D... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, qui mentionnent les dispositions du III de l'article L. 511-1 précité, indiquent que M. et Mme D... sont entrés récemment en France, ne justifient pas d'attaches sur le territoire français autres que leur conjoint qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement ainsi que leurs enfants B... et Endjus D.... Ces décisions précisent qu'ils n'ont jamais fait l'objet au préalable d'une mesure d'éloignement et qu'il est justifié, alors même que leur comportement ne constitue pas une menace pour l'ordre public, qu'il soit prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'un an. Il résulte de l'ensemble de la motivation de ces interdictions que l'autorité préfectorale a bien pris en compte les quatre critères posés par les dispositions précitées au point 3 pour apprécier l'opportunité d'assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour. Dans ces conditions, le préfet de Tarn-et-Garonne a suffisamment motivé ses décisions d'interdiction de retour pendant un an au regard des dispositions précitées.
11. Il ne ressort ni des termes des décisions litigieuses, ni des autres pièces des dossiers que le préfet de Tarn-et-Garonne n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. et de Mme D....
12. Le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse ayant rejeté les demandes des intéressés tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire, ils ne sont pas fondés à se prévaloir de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français au soutien de leurs conclusions à fin d'annulation dirigées contre l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Tarn-et-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an édictée le 10 février 2020 à l'encontre de M. et de Mme D.... En conséquence, l'article 2 des jugements du 25 mai 2020 doit être annulé. Les demandes d'annulation présentées par M. et Mme D... devant le tribunal administratif et dirigées contre ces décisions doivent être rejetées.
Sur les frais liés aux litiges :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande le conseil de M. et de Mme D... au titre des frais du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 des jugements du 25 mai 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. et Mme D... devant le tribunal administratif de Toulouse tendant à l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an prononcée à leur encontre par le préfet et leurs conclusions en appel tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à Mme H... D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de Tarn-et-Garonne.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme G..., présidente-assesseure
Mme E... F..., premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 décembre 2020.
Le président de chambre,
Éric Rey-Bèthbéder
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
6
N° 20BX02074, 20BX02075