Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 novembre 2017, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de première instance en tant qu'elle est dirigée contre la décision fixant le pays de renvoi et l'interdiction de revenir sur le territoire français pour une durée d'un an.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant qu'à la suite de son interpellation par les services de police le 21 août 2017 dans la zone d'accès restreinte de la liaison fixe Trans Manche à Coquelles, caché dans la remorque d'un poids lourd, M. D...B...aliasA..., ressortissant irakien, né le 1er janvier 1995, démuni de tout document d'identité ou documents exigés pour entrer ou séjourner en France, après audition et refus de sa part de procéder au relevé de ses empreintes, a fait l'objet le même jour d'un arrêté du préfet du Pas-de-Calais l'obligeant à quitter le territoire, lui a refusé un délai de départ volontaire, lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pour une durée d'un an et a prescrit son éloignement du territoire à destination du pays dont il a la nationalité ou de tout autre pays où il établirait être légalement admissible ; que le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 20 octobre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté en tant qu'il a prescrit l'éloignement du territoire de M. D...B...aliasC... A...à destination de l'Irak, et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pour une durée d'un an ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ; qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la Cour européenne des droits de l'Homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129-131 et 15 janvier 2015, AA. c. France, n° 18039/11) ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. D...B...aliasC... A..., qui n'a pas demandé l'asile lors de son arrivée en Europe, se borne à faire état de menaces liées à une situation de guerre en Irak sans assortir ses allégations d'aucun autre élément ; que s'il soutient que le Kurdistan irakien, y compris la région de Kirkouk, est touché par le conflit en Irak, il ne démontre pas qu'il vivait dans cette province avant son départ d'Irak ; que, dès lors, il n'est pas fondé à se prévaloir du niveau de violence généralisée pour contester le pays de destination retenu ; qu'il n'établit pas davantage faire l'objet, de manière suffisamment personnelle, certaine et actuelle, de menaces quant à sa vie ou sa liberté ou de risque d'être exposé à des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de renvoi en Irak ; que, dans ces conditions, le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a retenu, pour annuler la décision fixant le pays de destination, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
4. Considérant qu'en l'absence de circonstances humanitaires faisant obstacle à ce qu'il fasse l'objet d'une interdiction de retour sur le territoire français, le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a retenu, pour annuler la décision d'interdiction de retour sur le territoire français, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation ;
5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... B... alias C... A... contre la décision fixant le pays de renvoi et l'interdiction de retour sur le territoire français devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen ;
En ce qui concerne les moyens autres que ceux tirés, par voie d'exception, de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français :
6. Considérant que, par un arrêté du 3 avril 2017, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Pas-de-Calais du même jour, le préfet du Pas-de-Calais a donné délégation à M. F...E..., chef de la section éloignement, à l'effet de signer notamment les décisions contestées ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions en litige manque en fait et doit, dès lors, être écarté ;
7. Considérant que l'arrêté attaqué comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé pour désigner notamment le pays dont M. D...B...aliasC... A...revendique la nationalité comme pays de renvoi et pour s'assurer qu'il a procédé à un examen particulier de sa situation; qu'ainsi, le moyen tiré du défaut de motivation de ces décisions manque également en fait ;
8. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, l'arrêté attaqué pris à l'encontre M. D...B...aliasC... A...serait entaché d'une erreur manifeste commise par le préfet dans l'appréciation des conséquences de ces mesures sur sa situation personnelle ;
9. Considérant qu'il ressort de l'arrêté attaqué, dûment notifié au requérant, pris en son article 3, que l'intéressé fait l'objet d'un signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen ; que le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas été informé de ce signalement et de la méconnaissance de l'article 42 du règlement CE n°1987/2006 du 30 décembre 2006 doit donc, en tout état de cause, être écarté ;
En ce qui concerne les moyens tirés, par voie d'exception, de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français :
10. Considérant qu'à la date de la décision querellée, le requérant n'avait pas la qualité de réfugié et n'établit pas avoir demandé l'asile en France ni explicitement, ni implicitement par la seule mention de son procès verbal du 6 septembre 2017 rédigé par les services de police laissant apparaître qu'il a quitté l'Irak " à cause de Daesh " ; qu'il ne peut donc utilement se prévaloir des stipulations du 1 de l'article 33 de la convention relative au statut des réfugiés adoptée à Genève le 28 juillet 1951 selon lesquelles aucun Etat partie n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié ou un candidat à l'asile politique sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée ;
11. Considérant que M. D...B...alias A...ne réside en France, selon ses propres déclarations que depuis quinze jours ; qu'il est célibataire et sans charge de famille et ne démontre pas, ni même n'allègue, disposer d'attaches familiales sur le territoire français ; que, dans ces conditions, et sans qu'il puisse se prévaloir des risques qu'il encourt en cas de retour en Irak à l'encontre de la décision l'obligeant à quitter le territoire français, le requérant n'est pas fondé à soutenir que cette décision serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a, par l'article 1er du jugement attaqué, annulé sa décision du 21 août 2017 en tant qu'elle fixe le pays à destination duquel M. D... B... alias C...A...pourrait être renvoyé et lui fait interdiction de revenir sur le territoire français pour une durée d'un an ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n°1702590 du 20 octobre 2017 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D...B...alias A...devant le tribunal administratif de Rouen, tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 août 2017 du préfet du Pas-de-Calais en tant qu'il prescrit l'éloignement du territoire de M. D...B...alias A...à destination de l'Irak et lui fait interdiction de revenir sur le territoire français pour une durée d'un an est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... B... alias C...A....
Copie sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.
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N°17DA02210