Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 mai 2018, le préfet du Nord demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M.A....
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Hervé Cassara, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant guinéen, a déclaré être né le 10 décembre 1999 et être entré le 3 mars 2016 sur le territoire français. Il a fait l'objet d'un placement auprès de l'aide sociale à l'enfance à compter du 29 avril 2016, et ce jusqu'au 10 décembre 2017, date présumée de sa majorité. Il a sollicité le 9 août 2017 la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 8 janvier 2018, le préfet du Nord lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination de l'éloignement. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 9 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Lille a notamment annulé son arrêté.
2. Aux termes des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue au 1° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé ".
3. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions dans le cadre de l'admission exceptionnelle au séjour, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans et qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle. Disposant d'un large pouvoir d'appréciation, il doit ensuite prendre en compte la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient seulement au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation qu'il a portée.
4. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que " la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
6. Pour regarder comme falsifié l'extrait du registre d'état civil du 31 mars 2016 ainsi que le jugement supplétif du même jour du tribunal de première instance de Nzerekore, produits par l'intéressé et mentionnant que M. A...était né le 10 décembre 1999, le préfet du Nord s'est fondé sur un rapport de la direction zonale de la police aux frontières du Nord du 12 septembre 2017, qui émet un avis défavorable sur l'authenticité de ces documents " en raison de la faute d'orthographe dans le cachet humide de légalisation ". Toutefois, un premier rapport d'analyse documentaire émis par la direction zonale de la police aux frontières du 24 juin 2016 avait conclu à l'inverse à l'authenticité de ces mêmes documents. De plus, il ressort des pièces du dossier que M. A...disposait d'un passeport portant la date de naissance du 10 décembre 1999, délivré le 13 juin 2017 par les autorités guinéennes. Si ce passeport ne bénéficie pas de la force probante attachée aux actes d'état civil en application des dispositions mentionnées au point 4 ainsi que le soutient le préfet du Nord, il ne peut être automatiquement déduit du seul caractère douteux de l'extrait du registre d'état civil et du jugement supplétif, dont il n'est pas établi qu'ils auraient servi à eux seuls de fondement à la délivrance de ce passeport, que les mentions de ce passeport seraient erronées ou que son authenticité ne serait pas avérée, alors d'ailleurs que le rapport précité du 12 septembre 2017 indique à propos de ce passeport qu' " aucun élément caractéristique de contrefaçon ou de falsification n'a été détecté " et qu' " au vu des éléments décrits ci-dessus, le passeport guinéen présente les caractéristiques d'un document authentique ". Enfin, par deux jugements en assistance éducative (maintien de placement) du 29 avril 2016 et du 7 juillet 2016, le Tribunal pour enfants de Douai a retenu le 10 décembre 1999 comme étant la date de naissance de M.A..., en précisant notamment que " l'extrait du registre de l'état civil et le jugement supplétif produits par Moussa A...ne présentent aucun élément caractéristique de contrefaçon ou de falsification ", que le récit de M. A... est " plausible et cohérent ", et aussi que " le parcours scolaire correspond à l'âge allégué ". Dès lors, compte tenu de l'ensemble des pièces versées au dossier, M. A...doit être regardé comme ayant été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans. Par suite, c'est à tort que le préfet du Nord s'est fondé sur le motif tiré de ce qu'il n'est pas possible de déterminer l'âge exact auquel il a été confié à l'aide sociale à l'enfance pour refuser la délivrance du titre de séjour que M. A...sollicitait sur le fondement des dispositions mentionnées au point 2.
7. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que M. A...a été admis en première année de CAP " peinture applicateur de revêtement " en septembre 2016. Par suite, à la date de la décision attaquée, il était engagé dans une formation qualifiante à long terme qu'il suivait effectivement depuis six mois. Il ressort de ses bulletins scolaires et des attestations produites que M. A...a suivi avec sérieux, assiduité et succès les formations dispensées, et son comportement et son insertion font l'objet de rapports très favorables. Enfin, contrairement à ce que soutient le préfet du Nord, il n'est pas établi que M. A...entretiendrait des rapports avec sa famille restée dans son pays d'origine, alors que M. A...fait valoir qu'il n'y a plus d'attache forte. Dès lors, l'intéressé, dont la présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public, est fondé à soutenir que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions mentionnées au point 2.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande que, dans les circonstances de l'espèce, le préfet du Nord n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 8 janvier 2018.
9. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, sous réserve que Me Emilie Dewaele, avocat de M.A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Nord est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Emilie Dewaele, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à M. C...A...et à Me B...D....
Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.
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N°18DA01043