Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 19 septembre 2017, le préfet de la Drôme demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 7 septembre 2017 ;
2°) de rejeter les demandes de M. et Mme C....
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a retenu les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui était inopérant dès lors que M. et Mme C... n'ont pas formé de demande de titre de séjour sur ce fondement, et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les autres moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.
Par des mémoires enregistrés les 16 novembre 2017 et 29 janvier 2018, M. et Mme C..., représentés par Me B..., concluent au rejet de la requête et demandent que soit mis à la charge de l'Etat le versement à leur avocat d'une somme de 2 500 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les refus de séjour sont entachées d'illégalité en l'absence de consultation préalable de la commission du titre de séjour ;
- ces refus de séjour méconnaissent l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- ils ont été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- ils sont entachés d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de leurs conséquences sur leur situation personnelle ;
- les obligations de quitter le territoire français doivent être annulées par voie de conséquence de l'annulation des refus de titre de séjour ;
-ces obligations ont été prononcées en méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'ils pouvaient bénéficier de plein droit d'un titre de séjour, et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elles méconnaissent l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de leurs conséquences sur leur situation personnelle ;
- les décisions fixant le pays de destination méconnaissent l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par une décision du 30 novembre 2017, le bureau d'aide juridictionnelle a admis M. et Mme C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de M. Thiery Besse, premier conseiller ;
1. Considérant que M. et Mme C..., de nationalité géorgienne, nés en 1988, soutiennent être entrés en France irrégulièrement respectivement en février 2015 et en décembre 2013 ; que la demande d'asile présentée par Mme C... a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 31 octobre 2014 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 6 mai 2015 ; que, le 27 avril 2017, les intéressés ont sollicité leur admission exceptionnelle au séjour ; que, par deux arrêtés du 23 mai 2017, le préfet de la Drôme a refusé de leur délivrer un titre de séjour et assorti ces refus d'obligations de quitter le territoire français dans un délai de trente jours ; que, par jugement du 7 septembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions ; que le préfet de la Drôme relève appel de ce jugement ;
Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ; que le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit un droit pour un étranger d'obtenir une carte de séjour lorsqu'un refus porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. et Mme C... n'étaient présents en France que depuis respectivement deux ans et trois ans et demi à la date des décisions en litige ; que leurs deux enfants sont nés en France les 18 juin 2014 et 13 janvier 2016 ; qu'ils justifient d'une bonne intégration attestée par différents témoignages et leur participation à la vie associative locale ; que, toutefois, compte tenu du caractère très récent de leur entrée en France et de ce que les intéressés n'établissent pas, par les documents qu'ils produisent, l'impossibilité de mener une vie familiale normale en Géorgie, les décisions de refus de séjour ne peuvent être regardées comme portant à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des objectifs qu'elles poursuivent ; que, par suite, le préfet de la Drôme est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler les décisions de refus de séjour, les premiers juges se sont fondés sur le fait que ces décisions avaient été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
3. Considérant toutefois qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme C... tant en première instance qu'en appel ;
Sur les autres moyens soulevés par M. et Mme C... :
En ce qui concerne les refus de titre de séjour :
4. Considérant, en premier lieu, que les décisions ont été signées par M. Loiseau, secrétaire général de la préfecture de la Drôme, titulaire d'une délégation de signature à cet effet par arrêté du préfet de la Drôme du 9 mai 2017, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions attaquées manque en fait ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que les décisions de refus de séjour mentionnent les considérations de droit qui les fondent et, même succinctement, les motifs pour lesquels le préfet de la Drôme a estimé que la situation de M. et Mme C... ne présentait aucun caractère exceptionnel ou humanitaire justifiant la délivrance de titres de séjour au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'elle est ainsi suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
6. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département, est instituée une commission du titre de séjour (...) " et qu'aux termes de l'article L. 312-2 du même code : " La commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 ou de délivrer une carte de résident à un étranger mentionné aux articles L. 314-11 et L. 314-12, ainsi que dans le cas prévu à l'article L. 431-3. / (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions, ainsi que le précise l'article R. 312-2 du même code, que le préfet n'est tenu de saisir la commission du titre de séjour que dans le cas où l'étranger auquel il envisage de refuser l'un des titres de séjour qu'elles visent remplit effectivement les conditions fixées pour leur délivrance et non de celui de tous les étrangers qui sollicitent une telle délivrance ; que, par suite, M. et Mme C..., qui, ainsi qu'il a été dit ci-dessus au point 2, ne remplissent pas les conditions de délivrance d'un titre de séjour prévues par l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sur le fondement duquel ils n'ont au demeurant pas présenté de demande, ne sont pas fondés à soutenir que la décision du préfet de la Drôme serait, en l'absence de saisine de la commission du titre de séjour, entachée d'un vice de procédure ;
7. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. " ; que, si les intimés soutiennent qu'ils étaient menacés en Géorgie, sans apporter d'éléments probants en ce sens, qu'ils sont bien intégrés et que M. C... dispose d'une promesse d'embauche, ces circonstances ne permettent pas de regarder comme entachée d'une erreur manifeste l'appréciation du préfet selon laquelle ils ne justifient pas de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels pour se voir délivrer une carte de séjour au titre des dispositions précitées ;
8. Considérant, enfin, que, pour les motifs exposés au point 2, le moyen tiré de ce que les refus de titre de séjour seraient entachés d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de leurs conséquences sur la situation personnelle de M. et Mme C... doit être écarté ;
En ce qui concerne les obligations de quitter le territoire français :
9. Considérant qu'il résulte de ce qui est dit aux points 2 à 8, que M. et Mme C... ne sont pas fondés à exciper, à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions les obligeant à quitter le territoire français, de l'illégalité des refus de titre de séjour qui leur ont été opposés ;
10. Considérant que pour les motifs exposés au point 2, les moyens tirés de ce que les décisions portant obligation de quitter le territoire français méconnaissent les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en ce que le préfet de la Drôme aurait été tenu de leur délivrer un titre de séjour, violent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de leurs conséquences sur leur situation personnelle, doivent être écartés ;
11. Considérant qu'aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " ; que si les enfants de M. et Mme C... sont nés en France, où l'aîné est scolarisé, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils ne pourraient être scolarisés en Géorgie ni que les décisions d'éloignement prises le même jour auraient pour effet de séparer les parents de leurs enfants ; que, dans ces conditions, les obligations de quitter le territoire français ne peuvent être regardées comme méconnaissant l'intérêt supérieur des enfants des intimés ;
En ce qui concerne les décisions fixant le pays de renvoi :
12. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants. " ; que selon le dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. " ; que si les intimés soutiennent avoir été victimes de menaces de mort et d'actes de torture de la part de membres de leurs familles, opposés à leur relation, ils ne produisent aucun élément probant de nature à établir la réalité de risques actuels personnellement encourus en cas de retour en Géorgie ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Drôme est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ses arrêtés du 23 mai 2017 par lesquels il a refusé de délivrer un titre de séjour à M. et MmeC..., les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;
Sur les frais liés au litige :
14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas partie perdante, verse à l'avocat de M. et Mme C... une somme quelconque en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 7 septembre 2017 est annulé.
Article 2 : Les demandes de M. et Mme C... devant le tribunal administratif de Grenoble ainsi que leurs conclusions en appel tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à M. A... et Mme D...C....
Copie en sera notifiée au préfet de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2018 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre,
M. Antoine Gille, président-assesseur,
M. Thierry Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 mai 2018.
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N° 17LY03433
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