Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 4 juin 2018, Mme A... B..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er février 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Savoie du 3 juillet 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Savoie de lui délivrer un titre de séjour portant la mention "vie privée et familiale" dans le délai de trente jours ou de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans les deux jours de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les premiers juges n'ont pas statué sur la totalité des moyens invoqués devant eux ;
- le refus de titre de séjour procède d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- ce refus méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'obligation de quitter le territoire français est privée de base légale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- cette obligation méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de renvoi est privée de base légale du fait de l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 17 avril 2018.
Par un mémoire enregistré le 7 mars 2019, le préfet de la Savoie conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés sont infondés.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 2011 pris pour son application ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante nigériane née en 1987, relève appel du jugement du 1er février 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 juillet 2017 par lequel le préfet de la Savoie a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de renvoi en cas d'éloignement forcé à l'expiration de ce délai.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le moyen selon lequel les premiers juges n'auraient pas statué sur la totalité des moyens soulevés devant eux n'est pas assorti des précisions permettant à la cour d'en apprécier la portée et le bien-fondé.
Sur la légalité de l'arrêté du préfet de la Savoie du 3 juillet 2017 :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
4. Mme B... est entrée en France le 10 avril 2010 pour y demander l'asile. Cette demande a été rejetée, de même que deux demandes tendant à la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé, qui ont fait l'objet de refus assortis d'obligations de quitter le territoire en mars 2014 et mai 2015, qu'elle n'a pas exécutées. Si Mme B... entretient une relation avec un compatriote résidant en France sous couvert d'une carte de séjour temporaire, avec lequel elle a eu un enfant né le 8 février 2017, la communauté de vie dont se prévaut la requérante depuis le mois de février 2016 est récente à la date de la décision attaquée. Mme B... n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où résident son frère et sa soeur et où elle a vécu la majeure partie de sa vie. En l'absence par ailleurs d'obstacle avéré à la poursuite de la vie privée et familiale de Mme B... dans son pays d'origine avec son concubin de même nationalité et leur enfant, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision de refus de titre de séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise, en méconnaissance des dispositions et stipulations citées au point 3. Elle n'apparait pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.
5. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
6. Eu égard à ce qui est dit au point 4 et rien ne s'opposant à ce que l'enfant de Mme B... accompagne ses parents, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.
7. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. (...) ".
8. Il résulte de ce qui est dit aux points 3 à 6 que la situation de Mme B... ne fait apparaître aucune circonstance exceptionnelle ni aucune considération humanitaire de nature à justifier son admission exceptionnelle au séjour. Le préfet de la Savoie n'a ainsi pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne procédant pas à la régularisation de sa situation au titre de ces dispositions.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, compte tenu de ce qui est dit aux points 3 à 8 ci-dessus, la requérante n'est pas fondée à invoquer l'illégalité du refus de titre de séjour à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français.
10. En second lieu, pour les motifs déjà exposés aux points 4 et 6 s'agissant du refus de titre de séjour, la décision obligeant Mme B... à quitter le territoire français ne méconnaît ni l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
11. En premier lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 3 à 10, la requérante n'est pas fondée à invoquer l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi.
12. En deuxième lieu, pour les motifs exposés au point 6, la mesure d'éloignement ne méconnaît pas l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
13. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".
14. Si la requérante, dont la demande d'asile a été rejetée par les instances compétentes, soutient qu'elle risque de se voir imposer un mariage forcé en cas de retour dans son pays d'origine, elle se borne à renvoyer à son récit de demande d'asile, sans établir de manière probante la réalité et l'actualité des risques allégués. Son moyen tiré de la violation de ces stipulations doit, par suite, être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application, au bénéfice de son avocat, de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2019 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre,
M. Antoine Gille, président-assesseur,
Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mai 2019.
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N° 18LY02063
dm