Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 novembre 2019 et le 28 mars 2020 et un mémoire présenté le 26 août 2020, non communiqué en application de l'article R611.1 du CJA, Mme E..., représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 23 mai 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté précité ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, et, à titre subsidiaire de procéder à une nouvelle instruction de sa demande au besoin sous astreinte, et dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son conseil qui renonce dans ce cas à percevoir la part contributive de l'État due au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- sa requête enregistrée dans les délais est recevable ;
- le refus de séjour est insuffisamment motivé ;
- sa situation personnelle n'a pas été sérieusement examinée avant le refus de titre de séjour ;
- le refus de titre de séjour méconnait l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'obligation de quitter le territoire est illégale, par voie de conséquence de l'illégalité du refus de séjour ;
- la mesure d'éloignement n'a pas été prise après un examen sérieux de la situation personnelle de l'intéressée ;
- la mesure d'éloignement est également entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la durée de délai de départ volontaire est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnait l'article 7 de la directive 2008/115/CE §1 et § 2 ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 février 2020, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est tardive ;
- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 septembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 7 décembre 2018, le préfet de l'Hérault a rejeté la demande de renouvellement de son titre de séjour " étudiant " que lui avait présentée le 17 septembre 2018 Mme E..., ressortissante tunisienne, sur le fondement de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Mme E... interjette appel du jugement du 23 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. D'une part, l'article R. 776-20 du code de justice administrative dispose que : " Le délai d'appel est d'un mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues à l'article R. 776-17, troisième alinéa. ". Et, d'autre part, aux termes de l'article 39 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " En matière civile, lorsqu'une demande d'aide juridictionnelle en vue de se pourvoir devant la Cour de cassation ou de former une demande de réexamen devant la Cour de réexamen est adressée au bureau d'aide juridictionnelle établi près la Cour de cassation avant l'expiration du délai imparti pour le dépôt du pourvoi, de la demande de réexamen ou des mémoires, ce délai est interrompu. Un nouveau délai court à compter du jour de la réception par l'intéressé de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné. Ce dernier délai est interrompu lorsque le recours prévu à l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991 est régulièrement formé par l'intéressé. Il en va de même lorsque la décision déférée rendue sur le seul fondement des articles 4 et 5 de la loi du 10 juillet 1991 est réformée et que le bureau est alors saisi sur renvoi pour apprécier l'existence d'un moyen sérieux de cassation ou de réexamen. / [...] Les délais de recours sont interrompus dans les mêmes conditions lorsque l'aide juridictionnelle est sollicitée à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État ou une juridiction administrative statuant à charge de recours devant le Conseil d'État. ". Il résulte de l'article 39 de ce décret que, dans le cas où a été formée une demande d'aide juridictionnelle qui a interrompu le délai de recours contentieux contre le jugement rendu en première instance, ce délai recommence à courir à compter du jour de la réception par l'intéressé de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle (BAJ) ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné et non de la date à laquelle le demandeur à l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l'article 56 du même décret.
3. En l'espèce, la demande d'aide juridictionnelle de Mme E... a été enregistrée le 21 juin 2019 à l'encontre du jugement daté du 23 mai 2019, soit nécessairement dans le délai d'appel énoncé par l'article R. 776-20 du code de justice administrative. Elle a obtenu l'aide juridictionnelle par décision du 6 septembre 2019, notifiée le 15 octobre suivant. Par suite, sa requête d'appel enregistrée le 11 novembre 2019, moins d'un mois après la notification de la décision d'admission à l'aide juridictionnelle, est recevable. La fin de non-recevoir opposée par le préfet de l'Hérault doit, par conséquent, être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Aux termes de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - La carte de séjour temporaire accordée à l'étranger qui établit qu'il suit en France un enseignement ou qu'il y fait des études et qui justifie qu'il dispose de moyens d'existence suffisants porte la mention " étudiant " ... ".
5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme E... est entrée en France le 26 juin 2014 sous couvert d'un visa de long séjour " étudiant ", puis a suivi une formation de pilote de ligne ATP (airline transport pilot) à l'école aéronautique de Montpellier ESMA aviation academy pour les années 2014-2015 et 2015-2016. Elle a ensuite entamé en juin 2017 une formation théorique de pilote de ligne dans cette même école. Elle a ainsi bénéficié de plusieurs titres de séjour en qualité d'étudiante, dont le dernier était valable jusqu'au 1er octobre 2018. En réponse à sa demande du 17 septembre 2018 visant au renouvellement de son titre de séjour " étudiant ", le préfet de l'Hérault lui a opposé un refus, en se fondant sur le fait que cette formation de dix-huit mois était une formation par correspondance, ce qui ne lui confèrerait pas la qualité d'" étudiant ", au sens des dispositions précitées de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. A l'appui de sa décision, le préfet se prévaut d'un échange de mails entre le service d'accueil international et l'ESMA dans lequel l'école d'aviation faisait état d'une présence nécessaire sur le site de Mauguio de dix jours, outre dix-huit jours maximum dans un centre DGAC pour la présentation aux examens. Toutefois, la requérante se prévaut d'une attestation de formation établie par le responsable pédagogique de l'ESMA aviation academy le 8 septembre 2017, selon laquelle elle suit depuis juin 2017 une formation de pilote de ligne par correspondance et a déjà obtenu quatre modules sur les douze que comporte ce diplôme et faisant état de son inscription, en parallèle à la formation pratique afin de comptabiliser cent soixante-quinze heures de vol, à l'aéroclub de l'Hérault. La requérante produit en outre une attestation de l'institut de formation aéronautique de Montpellier du 20 février 2019 justifiant d'une inscription pour une formation théorique d'élève pilote de ligne pour l'année scolaire 2019-2020. Enfin, elle produit un carnet de vol qui répertorie plusieurs vols par mois depuis février 2014. Dans ces conditions, en se fondant sur le fait que l'enseignement suivi serait une formation par correspondance, alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'il s'agissait aussi d'une formation pratique sous forme d'heures de vol et que le parcours de l'intéressée était cohérent avec son cursus antérieur, le préfet a méconnu l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'ensemble des moyens de la requête d'appel, Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à annuler l'arrêté du préfet de l'Hérault portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant d'un délai d'exécution. ". Et l'article L. 911-3 du même code précise que: " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. ".
8. Eu égard aux motifs du présent arrêt, son exécution implique normalement la délivrance à Mme E... d'une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiante ". Il ne résulte pas de l'instruction que la situation de l'intéressée ait été modifiée, en fait ou en droit, depuis l'intervention de la décision du préfet de l'Hérault dans des conditions telles que sa demande de titre de séjour serait devenue sans objet, ou que des circonstances postérieures à la date de cette décision permettraient désormais de fonder légalement une nouvelle décision de rejet. Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet de l'Hérault de délivrer à Mme E... ce titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ". En l'espèce, Mme E... ayant obtenu l'aide juridictionnelle totale, son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a donc lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me D..., avocat de Mme E..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à Me D... de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier n° 1901012 du 23 mai 2019 et l'arrêté du préfet de l'Hérault du 7 décembre 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de délivrer à Mme E... une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et suivant les modalités précisées dans les motifs sus indiqués.
Article 3 : L'État versera la somme de 1 500 euros à Me D..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E..., au ministre de l'intérieur et à Me D... et à Me C....
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Montpellier.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2020 où siégeaient :
- M. Poujade, président de chambre,
- M. Portail, président assesseur,
- Mme B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 novembre 2020.
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N° 19MA04790
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