Procédure devant la cour administrative d'appel :
Par une requête, enregistrée le 17 mars 2015, Mme A..., représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 5 décembre 2014 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Hérault du 4 juillet 2014 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) subsidiairement, de lui enjoindre de réexaminer sa demande de titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser directement à Me C..., en application des dispositions des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991, dont le règlement emportera renonciation de sa part à percevoir la part contributive de l'Etat.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué est entaché d'un vice de procédure au regard des dispositions des articles L. 312-1 et L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en l'absence de saisine de la commission du titre de séjour, alors en outre que la requérante est fondée à solliciter la délivrance de plein droit d'un tel titre sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du même code ;
- il méconnaît l'autorité de chose jugée attachée au jugement n° 1304835 du tribunal administratif de Montpellier, par lequel celui-ci a considéré que la requérante était fondée à solliciter la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- pour écarter ce moyen, les premiers juges ont à tort estimé que les deux affaires ne présentaient pas d'identité d'objet et relevé que le premier jugement avait seulement enjoint au défendeur de réexaminer la demande de la requérante, tandis qu'aucun changement de circonstance n'est survenu dans l'intervalle ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de la requérante, laquelle établit la nécessité de sa présence permanente auprès de sa mère âgée et gravement malade, résidant régulièrement sur le territoire national, laquelle ne pourrait bénéficier d'une assistance comparable auprès d'un tiers, circonstance ayant d'ailleurs fondé la solution du premier jugement précité ;
- il porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale que la requérante tient des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions du 7° de l'article L. 311-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu des conditions d'entrée et de séjour de l'intéressée sur le territoire national et au regard de ce qui précède ;
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est irrégulière, par voie de conséquence de l'irrégularité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, pour les raisons déjà exposées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 novembre 2015, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Par courrier du 9 novembre 2015, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, que l'affaire était susceptible d'être appelée au cours du premier trimestre de l'année 2016 et que l'instruction pourrait faire l'objet d'une clôture à effet immédiat à compter du 1er décembre 2015.
Par ordonnance du 15 décembre 2015, la clôture à effet immédiat de l'instruction a été prononcée.
Mme A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 février 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 en matière de séjour et d'emploi ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Gautron,
- et les observations de Me D... représentant Mme A....
1. Considérant que Mme A..., née le 13 mars 1976 à Meknès (Maroc) et de nationalité marocaine, déclare être entrée irrégulièrement en France le 3 mai 2011 et s'y être maintenue depuis lors ; qu'elle a déposé, le 2 juillet 2013, une demande d'admission exceptionnelle au séjour rejetée le 9 août suivant par un arrêté du préfet de l'Hérault, lequel a en outre ordonné l'éloignement de l'intéressée ; que cet arrêté a été annulé par le tribunal administratif de Montpellier, dans un jugement définitif rendu le 31 décembre de la même année sous le numéro 1304835, lequel a ordonné audit préfet de procéder au réexamen de la demande de Mme A... ; qu'à l'issue de ce réexamen, celui-ci a opposé à l'intéressée, par un nouvel arrêté du 4 juillet 2014, un refus de titre de séjour assorti lui aussi de mesures d'éloignement ; que Mme A... relève appel du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 5 décembre 2014, par lequel celui-ci a rejeté sa demande tendant, à titre principal, à l'annulation de cet arrêté ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) " ;
3. Considérant que Mme A... affirme, sans être contestée, être arrivée en France dans les conditions rappelées au point 1 en vue de rejoindre ses père et mère gravement malades, ainsi que sa soeur, séjournant eux-mêmes régulièrement sur le territoire national ; qu'il ressort des pièces du dossier et notamment des diverses attestations médicales produites par la requérante, que sa mère, âgée de 74 ans à la date de l'arrêté attaqué, souffre depuis la mort de son époux, survenue au cours de l'année 2012, d'un état dépressif sévère associé à divers troubles du comportement ; qu'à la suite de l'aggravation de ces troubles, susceptibles d'aboutir à un comportement dangereux de l'intéressée pour elle-même et pour autrui, celle-ci s'est vu diagnostiquer dès l'année suivante un probable trouble dégénératif neurologique d'aggravation progressive, confirmé comme étant la maladie d'Alzheimer à la fin de l'année 2014 ; qu'à la date dudit arrêté, l'état de santé de la mère de la requérante impliquait déjà une perte d'autonomie partielle, laquelle est devenue totale dans les mois suivant, aboutissant, pour elle, à la nécessité d'une assistance permanente, assurée depuis lors par la requérante ; que si le défendeur soutient que cette assistance pourrait lui être procurée par la soeur de cette dernière, laquelle séjourne régulièrement sur le territoire national, il ne conteste pas que cette dernière occupe un emploi ne lui permettant pas d'être présente en permanence, et notamment en matinée, auprès de leur mère ; qu'il n'est pas davantage établi qu'une assistance équivalente à celle fournie par sa fille résidant à domicile pourrait lui être procurée par une aide à domicile, laquelle n'aurait pas vocation à exercer sur la mère de Mme A... une surveillance permanente ; que dans ces conditions et alors même que celle-ci, arrivée récemment sur le territoire national, sans emploi, célibataire et sans enfant, ne conteste pas conserver des attaches familiales dans son pays d'origine, où elle a vécu jusqu'à l'âge de 35 ans et où réside la majorité de sa fratrie, sa présence permanente auprès de sa mère doit être regardée comme indispensable ; que dès lors, en rejetant sa demande d'admission au séjour, le préfet de l'Hérault a porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale que celle-ci tient des stipulations et dispositions précitées une atteinte disproportionnée ; qu'il s'ensuit que ses décisions faisant à l'intéressée obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination sont elles-mêmes entachées d'illégalité ;
4. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges, par leur jugement attaqué, ont rejeté sa demande tendant, à titre principal, à l'annulation de l'arrêté dudit préfet du 4 juillet 2014 et à demander l'annulation de ce jugement et de cet arrêté ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. " ; qu'aux termes de son article L. 911-3 : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. " ;
6. Considérant qu'en l'absence de changement dans les circonstances de fait, l'annulation prononcée par le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de l'Hérault délivre à Mme A... un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai d'un mois à compter de sa notification ; qu'il y a lieu de le lui enjoindre ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 :
7. Considérant qu'il y a lieu, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens, une somme de 1 500 euros à verser directement à Me C..., dont le paiement emportera renonciation de sa part à la perception de la part contributive de l'Etat ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 5 décembre 2014 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de l'Hérault du 4 juillet 2014 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de délivrer à Mme B... A...un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera directement à Me C... une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros en application des dispositions des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991, dont le paiement emportera renonciation de sa part à la perception de la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A..., à Me C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Montpellier.
Délibéré après l'audience du 8 février 2016, où siégeaient :
- M. Moussaron, président,
- M. Ouillon, premier conseiller,
- M. Gautron, conseiller,
Lu en audience publique, le 29 février 2016.
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N° 15MA01141