Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 13 avril 2018, sous le n° 18MA01653, le préfet des Pyrénées-Orientales, représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Montpellier du 9 mars 2018 ;
2°) de rejeter la demande de M. C... ;
3°) de mettre à la charge de M. C... la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande d'asile de M. C... avait pour seul objet de faire échec à la mesure d'éloignement envisagée ;
- l'arrêté contesté a été signé par une personne compétente ;
- il est suffisamment motivé ;
- il n'est pas entaché d'une erreur de droit ni d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- aucune atteinte n'a été portée aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée à M. C... qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme F... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet des Pyrénées-Orientales relève appel de l'article 2 du jugement du 9 mars 2018 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté préfectoral du 6 mars 2018 qui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai à M. C..., a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ".
3. Selon l'article L. 741-1 du même code dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté contesté : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / L'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrés après la présentation de la demande à l'autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation. Toutefois, ce délai peut être porté à dix jours ouvrés lorsqu'un nombre élevé d'étrangers demandent l'asile simultanément. / L'étranger est tenu de coopérer avec l'autorité administrative compétente en vue d'établir son identité, sa ou ses nationalités, sa situation familiale, son parcours depuis son pays d'origine ainsi que, le cas échéant, ses demandes d'asile antérieures. Il présente tous documents d'identité ou de voyage dont il dispose. / Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. (...) ". Aux termes de l'article L. 743-1 du code précité : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'office, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la cour statuent. ". L'article L. 743-2 du même code dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté en litige : " Par dérogation à l'article L. 743-1, sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé lorsque : / 1° L'Office français de protection des réfugiés et apatrides a pris une décision d'irrecevabilité en application des 1° ou 2° de l'article L. 723-11 ; / 2° Le demandeur a informé l'office du retrait de sa demande d'asile en application de l'article L. 723-12 ; / 3° L'office a pris une décision de clôture en application de l'article L. 723-13. L'étranger qui obtient la réouverture de son dossier en application de l'article L. 723-14 bénéficie à nouveau du droit de se maintenir sur le territoire français ; / 4° L'étranger n'a introduit une première demande de réexamen, qui a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité par l'office en application du 3° de l'article L. 723-11, qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement ; / 5° L'étranger présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif d'une première demande de réexamen ; / 6° L'étranger fait l'objet d'une décision définitive d'extradition vers un Etat autre que son pays d'origine ou d'une décision de remise sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen ou d'une demande de remise par une cour pénale internationale. ". Selon l'article R. 741-1 du même code en vigueur à la date de l'arrêté contesté : " I.- Lorsqu'un étranger, se trouvant à l'intérieur du territoire français, demande à bénéficier de l'asile, l'enregistrement de sa demande relève du préfet de département et, à Paris, du préfet de police. (...) ". Aux termes de l'article R. 741-2 du code précité : " Lorsque l'étranger présente sa demande auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, des services de police ou de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, la personne est orientée vers l'autorité compétente. (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., né le 13 avril 1989, de nationalité kosovare, est entré en France le 17 juillet 2015 et a déposé une demande d'asile le 21 juillet 2015. Par lettre du 17 novembre 2015, il a informé le préfet du Bas-Rhin qu'il se désistait de sa demande et souhaitait bénéficier de l'aide au retour. Par arrêté du 4 décembre 2015, le préfet du Bas-Rhin a pris à son encontre un refus de titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. M. C... est ensuite parti vivre en Espagne en situation irrégulière. Il a été interpellé le 5 mars 2018 à la barrière du péage du Perthus sur le territoire de la commune du Boulou alors qu'il venait de traverser la frontière franco-espagnole. L'intéressé a présenté une carte d'identité bulgare qui s'est avérée contrefaite. Lors de son audition par les services de police le 5 mars 2018, il a reconnu les faits et a clairement manifesté son intention de déposer une demande d'asile en France. Pour annuler l'arrêté en litige, le tribunal a estimé que, dans ses conditions, il appartenait au préfet des Pyrénées-Orientales d'enregistrer la demande d'asile de M. C... et que ce dernier n'entrait pas dans le champ des 4°, 5° et 6° de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, pour la première fois en appel, le préfet soutient que la demande d'asile de M. C... n'avait que pour seul but de faire échec à une mesure d'éloignement dès lors que l'intimé s'est désisté de sa première demande d'asile déposée en France, qu'il a menti sur cette demande et qu'il circulait avec des papiers contrefaits. M. C... entrant ainsi dans le champ d'application des dispositions précitées du 2° de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet a pu légalement prendre à l'encontre de l'intéressé, le 6 mars 2018, une mesure d'éloignement avec fixation du pays de destination assortie d'une interdiction de retour sur le territoire. Par suite, le préfet des Pyrénées-Orientales est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé son arrêté du 6 mars 2018 au motif qu'il aurait entaché sa décision d'une erreur de droit en ne prenant pas en considération la demande d'asile formée par M. C... lors de son audition par les services de police.
5. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Montpellier.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai :
6. Par arrêté n° 2017304-005 du 31 octobre 2017, régulièrement publié au recueil spécial des actes administratifs de la préfecture du 2 novembre 2017, accessible tant au juge qu'aux parties, le préfet des Pyrénées-Orientales a donné délégation à M. E... D..., directeur de la citoyenneté et de la légalité de la préfecture, à effet de signer notamment les mesures mises en oeuvre concernant les ressortissants étrangers en situation irrégulière en matière d'éloignement. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée manque en fait et doit être écarté.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
7. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants " et aux termes du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
8. Si M. C... fait valoir qu'il serait exposé à des risques en cas de retour au Kosovo dès lors qu'il travaillait pour deux partis politiques, le PDK et l'AAK, il n'assortit ses allégations d'aucun justificatif probant permettant d'établir le caractère actuel et personnel de ces risques. Ainsi le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans :
9. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au point 6.
10. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III (...) [est décidée] par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
11. Il résulte de ces nouvelles dispositions, en vigueur depuis le 1er novembre 2016, que, lorsque le préfet prend, à l'encontre d'un étranger, une décision portant obligation de quitter le territoire français ne comportant aucun délai de départ, ou lorsque l'étranger n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour satisfaire à cette obligation, il appartient au préfet d'assortir sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français, sauf dans le cas où des circonstances humanitaires y feraient obstacle. Seule la durée de cette interdiction de retour doit être appréciée au regard des quatre critères énumérés au III de l'article L. 511-1, à savoir la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France, l'existence ou non d'une précédente mesure d'éloignement et, le cas échéant, la menace pour l'ordre public que constitue sa présence sur le territoire.
12. Après avoir visé le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision contestée indique que la durée de l'interdiction de retour se justifie dès lors que M. C... est démuni de document de voyage en cours de validité, ne présente aucun billet de transport justifiant son retour dans son pays d'origine et qu'il reconnaît ne pas avoir l'intention d'y retourner. Cette décision précise que l'intéressé circule et travaille dans l'espace Schengen muni de faux documents et que rien ne permet de justifier que ses liens personnels et familiaux en France soient plus anciens, intenses et stables que ceux dont il dispose au Kosovo. Elle relève également que compte-tenu des circonstances propres au cas d'espèce, la durée de l'interdiction de retour de trois ans ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au regard de sa vie privée et familiale et qu'il n'a aucunement sollicité la régularisation de sa situation en se maintenant volontairement de manière irrégulière sur le territoire français. Ainsi, la décision en litige comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui la fondent au regard des critères énumérés au III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Pyrénées-Orientales est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté préfectoral du 6 mars 2018.
Sur les frais liés au litige :
14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions du préfet des Pyrénées-Orientales présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : L'article 2 du jugement du 9 mars 2018 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : La demande de M. C... présentée devant le tribunal administratif de Montpellier est rejetée.
Article 3 : Les conclusions du préfet des Pyrénées-Orientales présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... C....
Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Orientales.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2019, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- Mme F..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 12 avril 2019.
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N° 18MA01653
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