Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 28 avril 2014, 10 mai 2016 et 14 juillet 2016, sous le n° 14MA01992, M. A..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 février 2014 ;
2°) de condamner solidairement l'Etat et la SA La Poste à lui verser la somme de 35 000 euros en réparation d'un préjudice de carrière et 6 000 euros au titre du préjudice moral ;
3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et la SA La Poste la somme de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.
Il soutient que :
- le tribunal n'a pas motivé l'indemnité allouée de 10 000 euros ;
- sa perte de chance de devenir contrôleur divisionnaire par concours est devenue sérieuse à compter de l'année 2000, par liste d'aptitude à compter de l'année 2003, et celle de devenir inspecteur, par concours ou liste d'aptitude, a été sérieuse à compter des années 2006 à 2008 ; le tribunal n'a retenu que la perte de chance de devenir contrôleur divisionnaire ;
- son préjudice moral est sous-évalué car il disposait d'une chance sérieuse d'être promu, contrairement à d'autres collègues.
Par un mémoire en défense et à fin d'appel incident, enregistré le 30 septembre 2015, La Poste, représentée par MeE..., conclut :
1°) au rejet de la requête d'appel de M. A... ;
2°) à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a fait partiellement droit aux demandes présentées en première instance par M. A... ;
3°) à la condamnation de M. A... à lui verser la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 2 août 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 30 septembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- le décret n° 58-577 du 25 août 1958 ;
- le décret n° 64-953 du 11 septembre 1964 ;
- le décret n° 90-1235 du 31 décembre 1990 ;
- le décret n° 92-930 du 7 septembre 1992 ;
- le décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Schaegis,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., substituant MeE..., représentant La Poste.
1. Considérant que M. A..., devenu agent du service public de La Poste en 1983 en qualité de contrôleur du service général recherche la condamnation solidaire de La Poste, et de l'État, à réparer les préjudices qu'il estime avoir subis dans le déroulement de sa carrière, en l'absence, jusqu'à l'intervention du décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009, de toute possibilité de promotion le concernant du fait de son choix de rester dans un corps dit de "reclassement" ; que, par jugement du 24 février 2014, le tribunal administratif de Marseille a retenu la faute de La Poste mais n'a que partiellement fait droit à ses conclusions indemnitaires ; que M. A... relève appel de ce jugement en ce qu'il a limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme totale de 12 000 euros et conclut à la condamnation solidaire de l'Etat et de la SA La Poste à lui verser la somme de 35 000 euros au titre du préjudice de carrière et 6 000 euros au titre du préjudice moral ; que, par la voie de l'appel incident, La Poste demande l'annulation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. A... la somme totale de 12 000 euros au titre de ses préjudices et a mis à sa charge la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que le rejet de l'ensemble des demandes de l'appelant ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le point 13 du jugement attaqué retrace l'évolution de la carrière de M. A..., avec des indications sur sa notation, le tribunal en déduisant l'existence de chances sérieuses de promotion au grade de contrôleur divisionnaire ; que c'est sur la base des éléments relevés qu'il a apprécié ce préjudice en fixant la réparation à la somme de 10 000 euros ; qu'ainsi, le tribunal a suffisamment motivé son jugement ; qu'il en résulte que M. A... n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué a été rendu sur une procédure irrégulière et à en demander l'annulation à ce titre ;
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de "reclassement" de La Poste de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de "reclassification" créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de "reclassification", ne dispensait pas le président de La Poste de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de "reclassement" ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par La Poste de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires "reclassés" comme aux fonctionnaires "reclassifiés" de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;
4. Considérant, d'autre part, que le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires "reclassés" ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de "reclassement", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires "reclassés" de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires "reclassés" au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de La Poste a commis une illégalité et, ainsi, une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement ; que l'Etat a, de même, commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne prenant pas, avant le 14 décembre 2009, le décret organisant les possibilités de promotion interne pour les fonctionnaires des corps de "reclassement" de cet établissement, sans que puisse être utilement opposé à M. A... son choix de ne pas demander l'intégration dans les corps dits de "reclassification" et à bénéficier des possibilités de promotion offertes par les statuts de ces corps ;
En ce qui concerne le préjudice de carrière :
5. Considérant que pour indemniser le préjudice de carrière de M. A... à hauteur de 10 000 euros, le tribunal administratif de Marseille s'est fondé sur le fait que, si les carrières des agents fonctionnaires n'avaient pas été gelées, l'intéressé, né en 1959, contrôleur de La Poste depuis le 18 mars 1982, aurait pu, à l'âge de 40 ans en 1999, passer le concours de contrôleur divisionnaire et être inscrit sur la liste d'aptitude du corps d'inspecteur et qu'il aurait aussi pu être inscrit sur la liste d'aptitude du corps de contrôleur divisionnaire à compter de l'obtention du 11e échelon de contrôleur, le 18 novembre 2002, conformément aux possibilités ouvertes par l'article 3 du décret n° 64-953 du 11 septembre 1964 et l'article 2 bis du décret n° 58-577 du 25 août 1958, respectivement relatifs aux conditions d'accès aux corps de contrôleurs divisionnaires et d'inspecteurs de La Poste ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A... a obtenu, au titre des années 2001 à 2008, la note maximale " E " indiquant une valeur professionnelle largement supérieure aux exigences du poste et des aptitudes excellentes à exercer des fonctions différentes de niveau supérieur ; que, par suite, le tribunal administratif de Marseille a pu, à bon droit, juger que M. A... avait établi avoir eu des chances sérieuses de promotion dans le corps de niveau supérieur au sien, à savoir celui des contrôleurs divisionnaires, avant le déblocage des carrières, intervenu en 2009, et fixer à 10 000 euros le montant du préjudice correspondant à la perte de ces chances sérieuses ; qu'en revanche, ni ces éléments, ni la motivation du jugement du tribunal administratif de Marseille n° 995454, relatif à ses notations pour les années 1995 à 1999 dont M. A... se prévaut, ne permettent d'établir l'existence de chances sérieuses de promotion dans le grade d'inspecteur, contrairement à ce qu'il soutient, ce grade ne correspondant pas aux fonctions de niveau supérieur visées par la notation ; que dès lors, il n'y a pas lieu de réformer le jugement entrepris sur ce point ;
En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :
7. Considérant que l'appelant est fondé à soutenir qu'il a droit à une indemnité au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence à raison des fautes relevées, consistant à le priver, en tant que fonctionnaire "reclassé", de toute possibilité de promotion interne ; qu'eu égard à l'importance de son préjudice de carrière, qui s'étend sur au moins huit années, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en portant à 4 000 euros la somme allouée à M. A... au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'appel incident de La Poste doit être rejeté mais que, par son appel principal, M. A... est fondé à demander que l'indemnité que le tribunal administratif de Marseille a condamné solidairement La Poste et l'Etat à lui verser soit portée à la somme totale de 14 000 euros ; qu'il y a lieu pour la Cour de réformer en ce sens l'article 1er du jugement attaqué et, par l'effet dévolutif de l'appel, de condamner solidairement La Poste et l'Etat à verser à M. A... une indemnité totale de 14 000 euros (10 000 + 4 000) ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée à ce titre par La Poste ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de La Poste et de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : Le montant de 12 000 euros, alloué à M. A... par le jugement attaqué rendu le 24 février 2014 par le tribunal administratif de Marseille, est porté à la somme de 14 000 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 24 février 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La société La Poste et l'Etat verseront solidairement à M. A... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la société La Poste présentées par la voie de l'appel incident et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., à La Poste et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2016, où siégeaient :
- M. Gonzales, président,
- M. Renouf, président-assesseur,
- Mme Schaegis, première conseillère.
Lu en audience publique, le 29 novembre 2016.
N° 14MA01992