Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 19NC00749 le 11 mars 2019, Mme A... B..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 6 décembre 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 18 octobre 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour durant le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à Me C... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée de vice de procédure : elle a été prise en méconnaissance des droits de la défense, et notamment de son droit à être entendue, reconnus par le droit de l'Union européenne : elle n'a pas été informée de ce qu'elle pourrait faire l'objet d'une mesure d'éloignement et n'a pas été mise en mesure de présenter des observations, assistée d'un avocat, alors qu'elle avait des éléments à faire valoir sur sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'erreur de droit, car le préfet n'a pas procédé à un examen individuel de sa situation, s'est cru en situation de compétence liée et n'a pas vérifié si la décision d'éloignement n'aurait pas des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur sa situation ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle et familiale : tous ses enfants et sa soeur sont en France, elle serait isolée en Turquie et sa santé est fragile ;
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est contraire à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article L. 512-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2020, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 13 janvier 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 4 février 2020.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 5 février 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Favret, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante turque, est entrée sur le territoire français le 3 mars 2017, munie d'un passeport en cours de validité et sous couvert d'un visa de court séjour. Elle a présenté, le 11 juillet suivant, une demande d'asile qui a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 15 novembre 2017, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 20 septembre 2018. Mme B... fait appel du jugement du 6 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 18 octobre 2018 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. _ L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ".
3. En premier lieu, la décision du préfet de Meurthe-et-Moselle obligeant Mme B... à quitter le territoire français mentionne les textes dont elle fait application, notamment le 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et précise que la demande d'asile de l'intéressée a été rejetée par l'OFPRA et la CNDA et que Mme B... ne se trouve pas dans l'un des cas où l'étranger ne peut pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Elle souligne au surplus que l'intéressée ne peut pas se prévaloir d'une vie privée et familiale en France et qu'elle n'établit pas encourir des risques de traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Elle comporte, dès lors, les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté.
4. En deuxième lieu, si aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant.
5. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
6. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Mme B... a sollicité le 11 juillet 2017 son admission au séjour en qualité de réfugié. Elle a ainsi été conduite à préciser à l'administration les motifs pour lesquels elle demandait que lui soit délivré un titre de séjour en cette qualité et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartenait, lors du dépôt de cette demande, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'elle jugeait utiles. Le droit de l'intéressée d'être entendu, ainsi satisfait avant que l'administration statue sur sa demande d'asile, n'imposait pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressée à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, avec l'assistance d'un avocat, sur l'obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.
7. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Meurthe-et-Moselle n'aurait pas procédé à l'examen de la situation particulière de Mme B..., notamment au regard des éventuelles conséquences d'une mesure d'éloignement sur cette situation, ou se serait estimé lié par les décisions de l'OFPRA et de la CNDA, avant de l'obliger à quitter le territoire français. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait entaché d'erreur de droit doit être écarté.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision contestée, Mme B..., divorcée, n'était entrée sur le territoire français que depuis moins de deux ans et avait vécu jusque-là en Turquie. Si elle soutient que tous ses enfants et sa soeur sont en France, elle ne démontre pas qu'elle serait isolée en cas de retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision l'obligeant à quitter le territoire français porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Mme B..., qui par ailleurs n'établit pas que sa santé serait fragile, n'est donc pas fondée à soutenir que la décision litigieuse contrevient aux stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur la légalité de la décision fixant le pays d'éloignement :
10. La décision du préfet de Meurthe-et-Moselle fixant le pays de destination mentionne notamment l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale, et précise que Mme B... n'établit pas encourir des risques de traitements prohibés par cet article en cas de retour dans son pays d'origine. Elle comporte, dès lors, les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
12. Si la requérante soutient qu'elle est d'origine kurde, que son ex-mari a été incarcéré en raison de son militantisme au sein du parti " l'Union du Peuple ", qu'elle a été elle-même victime de violences de la part des autorités qui étaient à la recherche de son ex-époux, que ses deux fils ont également rencontré des problèmes en raison de leur engagement au sein du parti " l'Union du Peuple ", elle n'établit pas, par les pièces qu'elle produit, qu'elle risquerait d'être personnellement exposée à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Turquie. D'ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 1 du présent arrêt, la demande d'asile de Mme B... a été rejetée par une décision de l'OFPRA en date du 15 novembre 2017, confirmée par une décision de la CNDA en date du 20 septembre 2018. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations et dispositions précitées ne peut qu'être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à annuler l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 18 octobre 2018. Ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour durant le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir doivent être rejetées, par voie de conséquence.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
15. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le conseil de Mme B... demande au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
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N° 19NC00749