Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 13 août et 22 octobre 2019 et 3 mars 2020, le préfet du Calvados demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- il n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié dès lors que la communauté de vie entre les époux a cessé compte tenu des nombreux et longs séjours de Mme D... en Tunisie ;
- il n'a pas commis une erreur de droit dès lors que la situation personnelle de Mme D... relève de la procédure de la délivrance d'un visa d'entrée plutôt que d'un titre de séjour ;
- la délivrance d'un titre de séjour le 9 septembre 2019 n'a pas privé d'objet le litige en appel.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 octobre 2019, Mme D..., représentée par Me C..., conclut au non-lieu à statuer, au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L .761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le préfet du Calvados lui a délivré un titre de séjour valable du 16 décembre 2018 au 15 décembre 2028 et que les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... épouse D..., ressortissante tunisienne, née le 30 juin 1971 et mariée à un ressortissant français en 2014 en Tunisie, est entrée en France le 11 mars 2016 en étant munie d'un visa d'entrée portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de conjointe de ressortissant français, valable du 15 décembre 2015 au 15 décembre 2016. Puis elle a été titulaire d'un titre de séjour d'une durée pluriannuelle en tant que conjointe de ressortissant français jusqu'au 15 décembre 2018. Elle a demandé au préfet du Calvados le renouvellement de son titre de séjour le 3 décembre 2018. Par un arrêté du 30 janvier 2019, le préfet a refusé de lui délivrer un titre de séjour au motif que la communauté de vie avait cessé entre l'intéressée et son époux, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 24 juillet 2019, le tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté (article 1er), enjoint au préfet de délivrer à Mme D... un titre de séjour en application des stipulations du a du 1 de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement (article 2), mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3) et rejeté le surplus de sa demande (article 4). Le préfet relève appel de ce jugement.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. Si le préfet du Calvados relève appel du jugement le 13 août 2019, il a délivré à Mme D... le 9 septembre 2019 un titre de séjour valable du 16 décembre 2018 au 15 décembre 2028. Il ressort des pièces du dossier que la délivrance de ce titre a été effectuée pour procéder à l'exécution du jugement rendu par le tribunal administratif. Dans ces conditions, la requête d'appel du préfet du Calvados n'est pas devenue sans objet. Il y a lieu, dès lors, d'y statuer.
Sur la légalité de l'arrêté contesté :
3. Pour annuler l'arrêté contesté, le tribunal administratif de Caen a estimé qu'en raison du maintien de la communauté de vie entre Mme D... et son époux, qui est ressortissant français, l'intéressée remplit la condition de vie commune exigée par les stipulations de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 pour la délivrance d'un titre de séjour et que le préfet de Calvados a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
4. Aux termes de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié : " Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à 1'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français : / 1 a) Au conjoint tunisien d'un ressortissant français, marié depuis au moins un an, à condition que la communauté de vie entre époux n'ait pas cessé que le conjoint ait conservé sa nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état-civil français ; (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... a dû séjourner d'une manière prolongée en Tunisie pour être présente auprès de ses deux filles, nées d'un premier mariage, dont l'une est mineure, compte tenu du refus de leur père d'établir des documents leur permettant de venir en France. Pour faciliter les séjours, le conjoint de Mme D... a pris en location un appartement à Sfax en Tunisie. Il ressort du passeport de l'époux que celui-ci séjourne également en Tunisie durant de nombreux mois par an pour permettre la continuité de leur communauté de vie. Ainsi, à la date de l'arrêté contesté, la communauté de vie entre Mme D... et son époux n'a pas cessé. Dès lors, c'est à tort que le préfet du Calvados, en retenant le motif de la cessation de la communauté de vie, a refusé de renouveler son titre de séjour en application des stipulations de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié.
6. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Calvados n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé son arrêté. Il s'ensuit également qu'une somme de 1 000 euros doit être mise à la charge de l'Etat, partie perdante, au titre des frais liés au litige.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet du Calvados est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme D... une somme de 1 000 euros au titre des frais liés au litige.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A... E... épouse D....
Une copie sera transmise au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. B..., président assesseur,
- M. Brasnu, premier conseiller.
Lu en audience publique le 5 novembre 2020.
Le rapporteur,
J.-E. B...
Le président,
F. Bataille Le greffier,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03336