Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 septembre et 17 octobre 2019, Mme A..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Calvados, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour ou de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- compte tenu des circonstances liées à sa rencontre avec M. B..., la reconnaissance de paternité de son enfant n'est pas frauduleuse ;
- M. B... participe à l'entretien et à l'éducation de l'enfant ; le préfet a commis une erreur de droit en exigeant de lui une contribution effective ;
- aucune suite n'a été donnée aux signalements adressés par des préfets aux procureurs de la République pour des faits de reconnaissance de paternité multiples ;
- elle remplit les conditions prévues à l'article L. 314-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 novembre 2019, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 décembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme F... épouse A..., ressortissante de la République du Congo, née le 20 mai 1977, entrée irrégulièrement en France le 31 octobre 2010, a formé une demande d'asile, qui a été rejetée par le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 30 mai 2011 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 16 mai 2012. Elle a ensuite obtenu une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " valable à compter du 15 janvier 2014 et renouvelée jusqu'au 14 janvier 2017. Par un arrêté du 29 mars 2018, le préfet du Calvados a refusé la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 314-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en tant que mère d'un enfant français et titulaire depuis au moins trois années d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du mêle code au motif que la reconnaissance de cet enfant par un ressortissant français a été frauduleuse. Par un jugement du 4 juillet 2019, dont Mme A... relève appel, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté.
2. Aux termes du l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ; (...) ". Aux termes de l'article L. 314-9 du même code : " La carte de résident est délivrée de plein droit : (...) 2° A l'étranger qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France et titulaire depuis au moins trois années de la carte de séjour temporaire mentionnée au 6° de l'article L. 313-11 ou d'une carte de séjour pluriannuelle mentionnée au 2° de l'article L. 313-18, sous réserve qu'il remplisse encore les conditions prévues pour l'obtention de cette carte de séjour et qu'il ne vive pas en état de polygamie. (...) ".
3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est, en principe, opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il dispose d'éléments précis et concordants de nature à établir, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou après l'attribution de ce titre, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français ou de procéder.
4. Pour refuser la délivrance d'un titre de séjour, le préfet du Calvados s'est fondé sur l'existence d'un faisceau d'indices concordants quant à la nature frauduleuse de la reconnaissance de paternité de l'enfant de la requérante, né le 22 octobre 2012, par son père, M. B..., ressortissant français, qui aurait reconnu deux autres enfants, dont les mères sont de nationalité étrangère. Il n'est pas contesté qu'en 2017, des signalements à deux procureurs de la République ont été effectués par le préfet et celui du Val-d'Oise en raison de ces reconnaissances. Ces signalements ainsi que la précipitation de la reconnaissance de l'enfant de la requérante très peu de temps avant le rejet de la demande d'asile par la Cour nationale du droit d'asile présentée par l'intéressée et la demande tendant à obtenir une carte nationale d'identité et un certificat de nationalité française pour l'enfant, qui a été déposée immédiatement après sa naissance, sont des circonstances de nature à établir l'existence d'une reconnaissance de paternité frauduleuse ayant pour objectif la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français à Mme A.... Ainsi, le préfet de la Loire-Atlantique, à qui il appartenait de faire échec à cette fraude dès lors que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'était pas acquise, était légalement fondé à refuser, pour ce motif, la délivrance du titre de séjour sollicité par Mme A.... Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 314-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... F... épouse A... et au ministre de l'intérieur.
Une copie sera transmise au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. C..., président assesseur,
- M. Brasnu, premier conseiller.
Lu en audience publique le 5 novembre 2020.
Le rapporteur,
J.-E. C...
Le président,
F. Bataille Le greffier,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03638