Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 mars 2015, M.A..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes du 16 février 2015 ;
2°) d'annuler les arrêtés du préfet de la Manche du 12 février 2015 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Manche de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en vue de ses démarches tendant à la reconnaissance de la qualité de réfugié et la renouveler jusqu'à ce qu'il ait été statué définitivement sur sa demande d'asile ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation, et ce, dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 75 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la contribution versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- l'arrêté portant remise aux autorités hongroises méconnaît les articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- l'arrêté portant assignation à résidence est illégal par voie d'exception d'illégalité de la décision de remise aux autorités hongroises.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juin 2016, le préfet de la Manche conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une lettre du 25 octobre 2015 le président de la chambre a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de soulever d'office le moyen tiré de ce qu'il n' y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête dirigées contre l'arrêté de remise aux autorités hongroises, lequel est devenue caduc sans avoir reçu d'exécution, à défaut d'avoir fait l'objet d'une exécution dans le délai de six mois.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 juin 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Francfort, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M.A..., ressortissant kosovar, entré irrégulièrement en France le 5 janvier 2015 selon ses déclarations, a sollicité auprès du préfet du Calvados, le 13 janvier 2015, l'autorisation de séjourner en France en qualité de demandeur d'asile ; que, constatant par la consultation du fichier Eurodac que les empreintes de l'intéressé avaient déjà été relevées en Hongrie, pays dans lequel le requérant avait déposé une demande d'asile les 13 et 16 décembre 2014, le préfet du Calvados, par arrêté du 13 janvier 2015, a refusé d'admettre M. A...au séjour et a sollicité sa reprise en charge auprès des autorités hongroises qui, le 20 janvier 2015, ont donné leur accord à son transfert en vue de l'examen de sa demande d'asile ; que, par deux arrêtés du 12 février 2015, le préfet de la Manche a décidé d'une part la remise de M. A...aux autorités hongroises et d'autre part son assignation à résidence ; que M. A...relève appel du jugement du 16 février 2015 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'arrêté portant remise aux autorités hongroises :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande d'asile est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) " ; qu'aux termes de l'article 21 du même règlement : " 1. L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut (...) requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur (...) " ; qu'aux termes de l'article 29 du même règlement : " 1. Le transfert du demandeur (...) de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue (...) au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée (...) 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite (...) " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment des copies d'écran transmises par le préfet de la Manche, que l'arrêté de remise aux autorités hongroises du 12 février 2015 n'a pas été exécuté et que le délai de six mois n'a pas été prolongé ; que dans ces conditions, en application des dispositions précitées du 2 de l'article 29 du règlement n° 604/2013, la Hongrie est libérée de son obligation de prise en charge de M. A...et la responsabilité de l'examen de la demande d'asile de cette dernière est transférée à la France ; que d'ailleurs M. A...a présenté le 8 septembre 2015 une demande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui l'a rejetée par décision du 31 décembre 2015 ; qu'il suit de là que l'arrêté du 12 février 2015 portant remise aux autorités hongroises est devenu caduc sans avoir reçu de commencement d'exécution ; que, par suite, les conclusions tendant à son annulation sont devenues sans objet ; qu'il n'y a pas lieu d'y statuer ;
En ce qui concerne l'assignation à résidence :
4. Considérant que M. A...excipe de l'illégalité de la décision portant remise aux autorités hongroises, pour l'application de laquelle a été décidée cette assignation à résidence, laquelle a eu des effets durant la période pendant laquelle la décision de remise était susceptible d'exécution ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. L'entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque : a) le demandeur a pris la fuite ; ou / b) après avoir reçu les informations visées à l'article 4, le demandeur a déjà fourni par d'autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l'État membre responsable. L'État membre qui se dispense de mener cet entretien donne au demandeur la possibilité de fournir toutes les autres informations pertinentes pour déterminer correctement l'État membre responsable avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé " ; qu'il résulte de ces dispositions que les autorités de l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable doivent, afin d'en faciliter la détermination et de vérifier que le demandeur d'asile a bien reçu et compris les informations prévues par l'article 4 du même règlement, mener un entretien individuel avec le demandeur, dans une langue que celui-ci comprend ou dont on peut raisonnablement penser qu'il comprend, si nécessaire en ayant recours à un interprète ; qu'il ne peut être dérogé à cette obligation que dans les cas limitativement énumérés au 2 de l'article 5 précité ;
6. Considérant que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s'il a privé les intéressés d'une garantie ; que la tenue d'un entretien par l'Etat membre prévue par les dispositions précitées constituant pour le demandeur d'asile une garantie, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi du moyen tiré de l'absence d'un tel entretien ou des irrégularités en affectant le déroulement à l'appui de conclusions dirigées contre un refus d'admission au séjour ou une décision de remise, d'apprécier si l'intéressé a été, en l'espèce, privé de cette garantie ou, à défaut, si cette irrégularité a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ;
7. Considérant que, sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention de l'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'administration a satisfait à l'obligation qui lui incombe en application des dispositions précitées ; que seul le préfet de la Manche est en mesure au cas particulier d'apporter les éléments relatifs aux conditions de la tenue d'un entretien tel que prévu à l'article 5 du règlement précité ;
8. Considérant que M.A..., qui n'a pas déclaré comprendre d'autre langue que la langue albanaise, soutient, sans être contesté, que lors de l'entretien qui s'est déroulé à la préfecture du Calvados le 13 janvier 2015, il n'a pas bénéficié de l'assistance d'un interprète ; que, d'une part, s'il ressort des pièces du dossier que, lors de cet entretien, il s'est vu remettre un formulaire traduit en albanais, qu'il a complété, cette circonstance ne dispensait pas le service compétent de l'autorité préfectorale, en application des dispositions précitées, de s'entretenir avec M. A...dans une langue que celle-ci comprend ; que l'entretien individuel prévu par l'article 5 du règlement (UE) du 26 juin 2013 ne saurait en effet se réduire aux réponses écrites par l'étranger intéressé lui-même aux questions figurant dans le formulaire avec leur traduction ; que, d'autre part, il n'est ni établi ni même soutenu en défense que M. A...comprenait le français et pouvait communiquer avec l'agent chargé de l'entretien dans cette langue ou dans une autre langue que cet agent et lui auraient eu en commun ; que, dans ces conditions, M. A...a été privé de la garantie procédurale prévue à l'article 5 du règlement (UE) du 26 juin 2013 ; que l'arrêté du 12 février 2015 décidant la remise de M. A...aux autorités hongroises est dès lors intervenu au terme d'une procédure irrégulière et est, pour ce motif, entaché d'illégalité ;
9. Considérant, par suite, que l'arrêté du 12 février 2015 du préfet de la Manche décidant d'assigner M. A...à résidence, pris pour l'application de l'arrêté du même jour décidant la remise aux autorités hongroises de l'intéressé, est privé de base légale et doit être annulé ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du préfet de la Manche du 12 février 2015 ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Considérant que l'annulation par le présent arrêt de la mesure d'assignation à résidence prise à l'encontre de M.A..., laquelle est à ce jour entièrement exécutée, n'implique par elle-même aucune mesure d'exécution ; que les conclusions à fins d'injonction de M. A...ne peuvent dès lors qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
12. Considérant que M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que MeC..., son avocat, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, de mettre à la charge de l'Etat une somme 1 000 euros ;
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 février 2015 du préfet de la Manche portant remise aux autorités hongroises.
Article 2 : Sont annulés l'arrêté du 12 février 2015 par lequel le préfet de la Manche a ordonné l'assignation à résidence de M.A..., ainsi que le jugement du tribunal administratif de Caen du 16 février 2015 en tant qu'il statue sur la légalité de cette assignation.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à MeC..., à condition que celui-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, la somme de 1 000 euros, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Manche.
Délibéré après l'audience du 18 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- M. Mony, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 décembre 2016.
Le rapporteur,
J. FRANCFORT
Le président,
H. LENOIR
Le greffier,
C. GOY
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N° 15NT01010