Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 mars 2020 et 17 mars 2021 (non communiqué), M. C... B..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre les décisions du 6 mai 2019 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de délivrer aux enfants F... et G... des visas de long séjour demandés en qualité de membres de famille de réfugié ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas demandés ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me D..., son avocate, de la somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France attaquée est entachée d'erreur dans l'appréciation du caractère authentique des actes de naissance des demandeurs de visas et du lien de filiation lequel est établi, à tout le moins, par des éléments de possession d'état ;
- elle a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives au regroupement partiel ; elle est entachée d'erreur dans l'appréciation de l'intérêt des enfants ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il entend se référer à ses écritures de première instance et fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par le requérant n'est fondé.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juin 2020 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Nantes (section administrative).
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les observations de Me D..., pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 12 février 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre les décisions du 6 mai 2019 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de délivrer aux enfants F... et G... des visas de long séjour demandés en qualité de membres de famille de réfugié.
M. B... relève appel de ce jugement.
2. En réponse à une demande de communication des motifs de sa décision implicite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a informé le requérant, par un courrier du 11 septembre 2019, avoir fondé sa décision sur le motif tiré de ce que l'acte de naissance produit pour l'enfant F... a été dressé tardivement, en méconnaissance de l'article 41 de la loi du 7 octobre 1964 relative à l'état civil, ce qui remet en cause sa valeur probante ainsi que l'identité de la demanderesse et son lien familial avec le réunifiant. Elle a également fondé sa décision sur le motif tiré de ce qu'il n'est pas démontré que Mme E..., la mère des enfants, a disparu et qu'aucune demande de visa n'a été présentée pour elle, ce qui est contraire au principe d'unité familiale. La commission de recours a encore fondé sa décision sur le motif tiré de ce qu'aucun jugement de délégation ou de déchéance de l'autorité parentale n'est produit à l'appui des demandes de visa pour les enfants.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :
3. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale :/ (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / II- Les articles L.411-2 à L.411-4 (...) sont applicables. (...) Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil (...) peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Aux termes de l'article L. 411-3 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ". Aux termes de l'article
L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'enfant pouvant bénéficier du regroupement familial est celui qui répond à la définition donnée à l'avant-dernier alinéa de l'article L. 314-11. / Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 411-1 à L. 411-3. Un regroupement partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants ".
4. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
6. A l'appui de la demande de visa présentée pour l'enfant F..., a été produite une copie intégrale de son acte de naissance. Il ressort des pièces du dossier que cet acte de naissance a été dressé le 13 mars 2013 " suivant la loi ivoirienne n° 2013-35 du 25/01/2013 portant modification de l'art. 2 de l'ordonnance n° 2011-258 du 28/09/2011 du Président de la République " de Côte d'Ivoire. Les articles 1 et 2 de l'ordonnance du 28 septembre 2011, produite par le requérant, prévoient que les naissances survenues pendant la période allant du 20 septembre 2002 au 31 juillet 2011, dans les ex-zones Centre-Nord-Ouest, pourront être déclarées, malgré l'expiration des délais légaux, jusqu'au 30 juillet 2012. La loi du 25 janvier 2013, également produite par le requérant, dispose que l'article 2 de l'ordonnance du 28 septembre 2011 est modifié pour permettre les déclarations pendant un délai de vingt-quatre mois à compter du 1er août 2012. M. B... expose, sans être contredit par le ministre de l'intérieur, que cette ordonnance de 2011, puis cette loi de 2013, avaient pour objet de faciliter l'enregistrement des naissances en suspendant temporairement la durée de trois mois fixée par l'article 41 de la loi 7 octobre 1964 relative à l'état civil ivoirien. Il résulte de ces dispositions que la naissance de l'enfant F..., survenue le 1er janvier 2009, a pu légalement être déclarée le 13 mars 2013. Par suite, la commission de recours a commis une erreur d'appréciation en retenant que l'acte de naissance de l'intéressée a été dressé tardivement, en méconnaissance de l'article 41 de la loi du 7 octobre 1964 relative à l'état civil. Par ailleurs, la commission de recours n'a pas remis en cause le caractère probant des documents d'état civil produits à l'appui de la demande de visa présentée pour l'enfant G....
7. Il est constant qu'aucun visa de long séjour n'a été demandé pour Mme E..., épouse de M. B... et mère des deux enfants mineurs. Il ressort des pièces du dossier, notamment des déclarations constantes du requérant, lesquelles ont été prises en compte par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides pour reconnaître à M. B... le statut de réfugié, qu'en 2011, dans un contexte de violences intercommunautaires dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, l'intéressé et sa famille ont été victimes d'une attaque dans leur village, au cours de laquelle l'épouse et les enfants de M. B... ont disparu. Si le requérant a pu retrouver, plusieurs années plus tard, ses deux enfants qui avaient été recueillis par un orphelinat d'une paroisse à Duékoué, son épouse demeure introuvable. Si les enfants sont pris en charge par le pasteur de la paroisse et par un ami de M. B..., à qui ce dernier adresse des transferts d'argent, il est dans l'intérêt des enfants, qui ne vivent pas avec leur mère, de rejoindre leur père en France. Il suit de là que la commission de recours a commis une erreur d'appréciation en retenant que l'absence de demande de visa de long séjour pour la mère des enfants est contraire au principe de l'unité familiale et aux dispositions de l'article L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. La mère des enfants ayant disparu en 2011, ainsi qu'il a été exposé au point 7, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'est pas fondée à opposer l'absence de jugement de délégation ou de déchéance de l'autorité parentale au titre des dispositions de l'article L. 411-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Eu égard aux motifs qui le fondent, le présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés aux enfants, F... et G.... Il y a donc lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ces visas aux intéressés dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt.
Sur les frais liés au litige :
11. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me D... de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 12 février 2020 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux enfants, F... et G..., des visas de long séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me D... une somme de 1 200 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 avril 2021.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
T. CELERIER
La greffière,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00914