Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 février 2021 et 30 avril 2021, M. C..., représenté par Me Neraudeau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 2 novembre 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 octobre 2020 du préfet de Maine-et-Loire décidant de son transfert aux autorités allemandes ;
3°) d'annuler l'arrêté du 5 octobre 2020 du préfet de Maine-et-Loire l'assignant à résidence ;
4°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation dans les meilleurs délais ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
S'agissant de l'arrêté de transfert :
- il est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a pas reçu toutes les informations nécessaires dès sa présentation à la structure de pré-accueil ou en temps utile avant l'entretien individuel et dans une langue qu'il comprend, en méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- il n'est pas rapporté la preuve que l'entretien prévu à l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 a été mené dans le respect de l'exigence de confidentialité, par une personne qualifiée en droit national et dans une langue qu'il maîtrise, ni que l'intéressé a été interrogé sur les raisons de son départ de son pays d'origine, de son exil et de son départ d'Allemagne ainsi que sur sa situation familiale ;
- la décision portant transfert aux autorités allemandes est entachée d'un défaut d'examen et de prise en compte de sa situation familiale au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et est, en conséquence, entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; d'une part, il a quitté la Guinée à l'âge de 16 ans, a rejoint l'Allemagne au cours de l'année 2019 à l'âge de 17 ans et c'est seulement au mois de juillet 2020 qu'il est parvenu à retrouver les coordonnées de sa mère qui bénéficie d'une protection en France en qualité de réfugiée où elle vit à Saint-Nazaire avec son beau-père, son demi-frère et sa demi-sœur ; d'autre part, il fait état d'une situation de vulnérabilité qui aurait dû être prise en compte par l'administration ;
- la décision portant transfert aux autorités allemandes méconnaît les dispositions de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'il a rejoint sa mère, bénéficiaire de la protection internationale en France ; né le 16 janvier 2002, il était mineur lorsqu'il a, le 26 septembre 2019, sollicité en Allemagne pour la première fois la protection internationale ; or à cette date, sa mère membre de sa famille conformément à l'article 2 du règlement Dublin III se trouvait sur le territoire français et avait obtenu une protection au titre de l'asile ; sa mère ainsi que lui-même ont fait part de leur souhait de voir la France désignée comme responsable de sa demande d'asile ;
- la décision portant transfert aux autorités allemandes est illégale en ce qu'elle entre en contradiction avec les mesures d'urgence sanitaire ;
- il ne saurait être considéré comme étant en fuite dès lors qu'il avait informé par courriel du 18 mars 2021 la préfecture qu'il sollicitait le report de sa convocation à l'aéroport de Nantes le 19 mars 2021 en faisant état de sa situation familiale singulière ; cette seule absence ne saurait être comprise comme l'expression de sa part de se soustraire de façon systématique à l'exécution de son transfert.
Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 avril et 10 mai 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient :
- que M. C... qui s'est soustrait intentionnellement à l'exécution de son transfert organisé par l'Etat doit être regardé comme en fuite au sens de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n°118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 modifiant le règlement (CE) n°1560/2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de Me Neraudau, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant guinéen né le 16 janvier 2002, est entré irrégulièrement en France le 27 juillet 2020. Sa demande d'asile a été enregistrée le 7 septembre 2020 par les services de la préfecture de la Loire-Atlantique. Les recherches entreprises sur le fichier Eurodac ont révélé que le requérant était déjà connu des autorités allemandes, qui avaient enregistré ses empreintes le 26 septembre 2019. Saisies le 8 septembre 2020, d'une demande de reprise en charge de l'intéressé, les autorités allemandes ont expressément donné leur accord le 11 septembre suivant en application de l'article 18-1 d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Par deux arrêtés du 5 octobre 2020, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné le transfert de M. C... en Allemagne et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Ce dernier a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de ces deux arrêtés. M. C..., qui s'est soustrait intentionnellement à l'exécution de son transfert organisé par l'Etat et doit être regardé comme en fuite au sens de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, relève appel du jugement du 2 novembre 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur l'exception de non-lieu à statuer sur l'arrêté du 5 octobre 2020 portant transfert en Allemagne :
2. L'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui fixe les conditions de transfert du demandeur d'asile ayant introduit une demande dans un autre Etat membre, dispose, au paragraphe 1, que : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 de cet article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".
3. M. C... soutient qu'il ne peut être considéré comme étant en fuite, sa seule absence à la convocation à l'aéroport de Nantes le 19 mars 2021 ne pouvant être regardée comme la manifestation de sa part de l'intention de se soustraire " de façon systématique " à l'exécution de son transfert. En conséquence, il fait valoir que son transfert décidé le 5 octobre 2020 n'a pas été exécuté dans le délai de 6 mois prescrit par les dispositions citées ci-dessus du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.
4. La notion de fuite doit s'entendre comme visant le cas où un ressortissant étranger se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant. Dans l'hypothèse d'un départ contrôlé dont l'Etat responsable du transfert assure l'organisation matérielle, en prenant en charge le titre de transport permettant de rejoindre l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile depuis le territoire français ainsi que, le cas échéant, le pré-acheminement du lieu de résidence du demandeur jusqu'à l'embarquement vers son lieu de destination, le demandeur d'asile qui se soustrait délibérément à l'exécution de son transfert ainsi organisé doit être regardé comme en fuite, au sens de ces dispositions.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., ainsi qu'il l'admet lui-même, ne s'est pas présenté à l'aéroport de Nantes pour son départ prévu le 19 mars 2021, alors qu'une convocation lui avait été régulièrement notifiée. Il doit ainsi être regardé comme s'étant soustrait délibérément à l'exécution de son transfert qui avait été organisé et comme étant en fuite, au sens des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. La circonstance qu'il a informé la veille de l'embarquement programmé les services préfectoraux de son souhait d'un report eu égard à sa situation familiale demeure, à cet égard, sans incidence. Le moyen tiré de l'exception de non-lieu doit, par suite, être écarté.
Sur la légalité de la décision de transfert et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
6. Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. M. C..., né le 16 janvier 2002 et entré en France le 27 juillet 2020 a présenté, le 7 septembre 2020, aux services de la préfecture de la Loire-Atlantique sa demande de protection internationale. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte-rendu d'entretien individuel qu'il a signé, que lors de cet entretien qui s'est tenu le même jour, il a fait état de son départ de Guinée le 1er décembre 2018, de son parcours migratoire à travers le Mali, l'Algérie, la Libye, l'Italie, où il a séjourné irrégulièrement pendant cinq mois, et l'Allemagne, ainsi que de la présence en France, à Saint-Nazaire (44), de sa mère bénéficiaire de la protection internationale et de ses demi-frère et sœur. Il est constant que le père de M. C... est décédé en Guinée et que le lien de filiation avec sa mère Mme B... A..., qui réside à Saint-Nazaire depuis 2016 et est titulaire d'une carte de résidente, est admis par les services préfectoraux. Dans ces circonstances particulières, en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de M. C..., alors âgé d'un peu plus de dix-huit ans, le préfet de Maine-et-Loire a entaché son arrêté portant transfert aux autorités allemandes d'une erreur manifeste d'appréciation. Par suite, l'arrêté du 5 octobre 2020 qui a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être annulé.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
9. Eu égard au motif de l'annulation de la décision de transfert de M. C... vers l'Allemagne, le présent arrêt implique nécessairement que sa demande d'asile soit instruite en France. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, d'enregistrer la demande d'asile de M. C... en procédure normale et de lui délivrer l'attestation de demandeur d'asile afférente prévue par l'article R. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'imprimé mentionné à l'article R. 723-1 du même code lui permettant de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Sur les frais liés à l'instance :
10. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocate peut ainsi se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, à la condition de renoncer à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Néraudau, avocate du requérant, d'une somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2010517 du tribunal administratif de Nantes du 2 novembre 2020 et l'arrêté du 5 octobre 2020 du préfet de Maine-et-Loire portant transfert de M. C... auprès des autorités allemandes sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire, dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, d'enregistrer la demande d'asile de M. C... en procédure normale et de lui délivrer l'attestation de demandeur d'asile afférente prévue par l'article R. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'imprimé mentionné à l'article R. 723-1 du même code lui permettant de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Article 3 : L'Etat versera à Me Neraudau, conseil de M. C..., la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2021.
Le rapporteur, Le président,
O. COIFFET O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21NT00454 2
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