Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 novembre 2017, le préfet du Val-de-Marne, représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1707264 du 29 septembre 2017 du tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C...devant le tribunal administratif de Melun;
Il soutient que :
- le tribunal a interprété de manière incorrecte les exigences du droit européen ;
- les critères de détermination de l'Etat responsable n'ont pas lieu de figurer dans les visas en droit ou dans la motivation en fait de la décision de transfert qui n'est pas prise en application du chapitre III du règlement n°604/2013 mais de son article 18-1-b ;
- il est de jurisprudence constante que les critères de détermination de l'Etat responsable sont arrêtés une fois pour toute la première fois que le demandeur introduit sa demande de protection internationale.
Par décision du 5 février 2018, le bureau d'aide juridictionnelle a maintenu à M. C...le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Par un mémoire enregistré le 29 mars 2018, M.C..., représenté par
Me D...Simond conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat, à verser à son conseil sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;
- la directive 2013/33/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et relatif aux demandes de comparaison avec les données d'Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) n° 1077/2011 portant création d'une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014 modifiant le règlement (CE) n° 1560/2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanisme de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Bernier, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M.C..., ressortissant afghan, né le 5 mai 1992, entré en France selon ses déclarations le 20 mai 2017, a sollicité le 28 juin 2017 son admission au séjour au titre de l'asile ; que le préfet du Val-de-Marne a saisi les autorités italiennes en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ; que, les autorités italiennes ayant implicitement accepté la reprise en charge de M. C...le 18 juillet 2017, le préfet du Val-de-Marne a pris à son encontre le 21 juillet 2017 un arrêté décidant qu'il serait remis aux autorités italiennes ; que, par un jugement du 29 septembre 2017, le tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté au motif qu'il était entaché d'insuffisance de motivation et enjoint au préfet du Val-de-Marne de réexaminer sa demande ; que le préfet du Val-de-Marne relève régulièrement appel de ce jugement ;
Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Considérant qu'aux termes de l'alinéa 2 de l'article L.742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. " ; qu'aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. " ; qu'il résulte de ces dispositions que la motivation des décisions de transfert doit permettre à leur destinataire d'en connaître les motifs à leur seule lecture ;
3. Considérant que, pour prononcer l'annulation de la décision de transfert contenue dans l'arrêté préfectoral en litige, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a retenu le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision ; que pour retenir une insuffisance de motivation, le premier juge a estimé que : " il résulte de la décision du 7 juin 2016 (C-63-15) de la Cour de justice de l'Union européenne(...) qu' un demandeur d'asile peut invoquer, dans le cadre d'un recours exercé contre une décision de transfert prise à son égard, l'application erronée d'un critère de responsabilité énoncé au chapitre III dudit règlement(...) " et qu'en l'espèce, " le préfet n'a pas mis l'intéressé de comprendre les motifs de la décision querellée pour lui permettre d'exercer utilement son recours et l'a entachée d'insuffisance de motivation (...)" ;
4. Considérant qu'il résulte notamment de la décision du 7 juin 2016 (C-63-15) de la Cour de justice de l'Union européenne, qui se prononce sur la mise en oeuvre de certaines dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers ou apatride, qu'" (...) un demandeur d'asile peut invoquer, dans le cadre d'un recours exercé contre une décision de transfert prise à son égard, l'application erronée d'un critère de responsabilité énoncé au chapitre III dudit règlement (...) " ; qu'en outre, le point 47 de cette décision rappelle que l'article 4 du règlement n° 604-2013 consacre " un droit à l'information du demandeur qui porte, notamment, sur les critères de détermination de l'Etat membre responsable et la hiérarchie de ces critères (...) " ; que le point 51 de cette décision énonce également que " (...) le législateur de l'Union, dans le cadre du règlement n° 604/2013, ne s'est pas limité à instituer des règles organisationnelles gouvernant uniquement les relations entre les Etats membres, en vue de déterminer l'Etat membre responsable, mais a décidé d'associer à ce processus les demandeurs d'asile, en obligeant les Etats membres à les informer des critères de responsabilité et à leur offrir l'occasion de fournir les informations permettant la correcte application de ces critères, ainsi qu'en leur assurant un droit à un recours effectif contre la décision de transfert éventuellement prise à l'issue du processus " ;
5. Considérant qu'il résulte de l'interprétation ainsi donnée aux dispositions du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, d'une part, que l'association du demandeur d'asile au processus de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande doit se faire en amont de la décision de transfert qui est prise, le cas échéant, à l'issue de ce processus ; que, d'autre part, le droit au recours effectif doit permettre à l'intéressé de critiquer, le cas échéant, l'application erronée d'un critère de responsabilité énoncé au chapitre III du règlement précité ; que le chapitre III, qui comprend les articles 7 à 15, fixe les critères de détermination de l'Etat responsable et leur hiérarchie ; que l'article 7 de ce chapitre prévoit que : " La détermination de l'Etat responsable en application des critères énoncés dans ce chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où l'étranger a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un Etat membre " ; que les articles 8 à 15 quant à eux énoncent les critères à partir, chacun, d'un type particulier de situation dans laquelle un demandeur d'asile peut s'être trouvé ; que l'article 13 qui concerne la situation de l'entrée et/ou du séjour prévoit au paragraphe 1 que : " Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière " ;
7. Considérant que l'association du demandeur d'asile au processus de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande est assurée, en droit interne, conformément aux dispositions de l'article L. 742-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le recours effectif qui doit permettre au demandeur d'asile de critiquer l'application erronée d'un critère de responsabilité est organisé, en droit interne, par l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que l'obligation de motivation de la décision de transfert, imposée par les dispositions de l'article L. 742-3 du même code, citées au point 2, doit faire apparaître le critère de responsabilité retenu par l'autorité de l'Etat membre qui prononce ce transfert, parmi ceux énoncés au chapitre III du règlement, afin de permettre à l'intéressé d'exercer dans les meilleures conditions son droit au recours effectif à moins que l'administration établisse avoir d'une autre manière satisfait à son obligation d'information du demandeur sur les critères de détermination de l'Etat membre responsable et la hiérarchie de ces critères et, dans chaque cas particulier, sur les raisons du choix de l'Etat responsable ; que cette obligation d'information ne saurait être satisfaite par la seule remise des brochures générales relatives au traitement des procédure d'asile ;
8. Considérant que l'arrêté attaqué vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la convention de Genève du 28 juillet 1951, la convention signée à Dublin le 15 juin 1990, les règlements (UE) n° 604/2013 et n°1560/2003 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et les articles L. 742-1 à L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il fait état de ce que M. C...est irrégulièrement entré sur le territoire français et qu'il s'y est maintenu, que les autorités italiennes, saisies le 5 juillet 2017 d'une demande de reprise ne charge en application de l'article 18(1) du règlement UE n°604/2013 ont implicitement accepté leur responsabilité le 20 juillet 2017, de ce que la situation de l'intéressé ne relève pas des dérogations prévues par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et que la décision ne porte pas une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ; que, toutefois, aucune de ces mentions ne permet d'appréhender les éléments de fait ou de droit permettant d'identifier le critère retenu par le préfet du Val de Marne pour déterminer l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de l'intéressé, qui ne pouvait, à la seule lecture de l'arrêté attaqué, connaître le critère retenu par l'administration pour s'adresser aux autorités italiennes et être, ainsi, mis à même d'en contester, le cas échéant, la pertinence ; que le préfet du Val de Marne n'établit ni d'ailleurs ne soutient avoir satisfait d'une autre manière à son obligation d'information du demandeur sur les critères de détermination de l'Etat membre responsable et la hiérarchie de ces critères et, dans son cas particulier, sur les raisons du choix de l'Italie comme Etat responsable ; qu'ainsi cette obligation a été méconnue ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet du Val-de-Marne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 21 juillet 2017 ;
10. Considérant que M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Simond, avocat du requérant, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Simond de la somme de 1 500 euros.
DECIDE :
Article 1er : La requête de du préfet du Val-de-Marne est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Simond une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à M. A...C...et à Me D...Simond.
Copie sera adressée au préfet du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Bernier, président assesseur,
- Mme Pena, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 24 avril 2018.
Le rapporteur,
Ch. BERNIERLe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 17PA03491