Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 janvier 2018 et
7 septembre 2018, la société BANK OF CHINA LIMITED, représentée par Mes Poncelet et Daigre, avocats, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer la décharge et le remboursement du rappel de contribution exceptionnelle effectué au titre du résultat individuel de sa succursale française, pour des montants de 723 078 euros au titre de l'exercice clos en 2011 et de 868 492 euros au titre de l'exercice clos en 2012 ;
3° de prononcer la décharge et le remboursement au bénéfice de sa succursale française du rappel de contribution exceptionnelle effectué au titre du résultat d'ensemble du groupe d'intégration fiscale pour l'exercice clos en 2012, soit un montant de 14 227 euros ;
4° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'interprétation de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts retenue par les juges de première instance instaure une différence de traitement, laquelle est contraire à la clause de non-discrimination prévue par l'article 23 § 2 de la convention fiscale franco-chinoise ; en effet, elle distingue selon la forme juridique de l'établissement secondaire en France, à savoir l'établissement stable français d'une société étrangère et la filiale française d'une telle société ;
- cette interprétation est également contraire aux articles 7§1 et 22§2 de la convention franco-chinoise en ce qu'elle traite différemment l'établissement stable en France d'une société chinoise et l'établissement stable en Chine d'une société française ;
- la contribution exceptionnelle prévue par l'article 235 ter ZAA du code général des impôts est contraire à la liberté d'établissement garantie par les articles 49 et 54 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en ce qu'elle contraint le choix de la forme juridique de l'établissement secondaire ;
- cette contradiction avec le TFUE entraine une discrimination par ricochet à l'égard des sociétés établies dans un état tiers à l'Union européenne disposant d'un établissement stable en France, sans que cette différence de traitement ne soit justifiée par un motif d'intérêt général ni en rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur, lequel est en l'occurrence d'ordre purement budgétaire ;
- la discrimination ainsi mise en évidence est contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ;
- elle est incompatible avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, combinées avec l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment ses articles 49
et 54 ;
- la convention fiscale franco-chinoise du 30 mai 1984 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant la société BANK OF CHINA LIMITED.
Considérant ce qui suit :
1. La société de droit chinois BANK OF CHINA LIMITED, qui exerce des activités bancaires, a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012 à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés en application de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts. Elle fait appel du jugement du 16 novembre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions à concurrence d'une somme totale de 1 591 570 euros pour son établissement stable, et d'une somme de 14 227 euros acquittée au titre de l'exercice clos en 2012 pour sa filiale, la SARL China Bridge.
Sur les conclusions aux fins de décharge :
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité découlant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et du principe d'égalité des contribuables devant les charges publiques posé par l'article 13 de cette Déclaration :
2. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du
28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 de laquelle elles sont issues, que le législateur a entendu soumettre les grandes entreprises à une contribution supplémentaire, compte tenu de leurs capacités contributives plus fortes. A cette fin, il a prévu un seuil de chiffre d'affaires de 250 millions d'euros, au-delà duquel cette contribution est due. Ce seuil s'apprécie par référence aux recettes tirées de l'ensemble des opérations réalisées par le redevable dans le cadre de son activité professionnelle normale exercée en France et hors de France, quel que soit le régime fiscal du résultat des opérations correspondant à ce chiffre d'affaires.
3. Il résulte de ce qui précède que pour l'application de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, il convient de retenir le chiffre d'affaires mondial réalisé par la société BANK OF CHINA LIMITED. Ainsi, les impositions en litige ont été établies conformément à la loi. Dès lors qu'il n'appartient pas à la juridiction administrative, laquelle n'a pas été saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans un mémoire distinct, en application de l'article R. 771-3 du code de justice administrative, de contrôler la conformité de celle-ci à des principes ou règles constitutionnels, la société appelante ne peut utilement soutenir que l'interprétation faite par les juges de première instance de l'article 235 ter ZAA méconnaîtrait le principe d'égalité au sens de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le principe d'égalité des contribuables devant les charges publiques posé par l'article 13 de cette Déclaration.
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe de liberté d'établissement découlant de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article 54 du même traité :
4. Aux termes du premier alinéa de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre ". Aux termes du premier alinéa de l'article 54 du même traité : " Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un Etat membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union sont assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des Etats membres ". Le principe de liberté d'établissement, qui découle de ces stipulations, s'oppose à l'application de toute réglementation nationale qui, en restreignant la possibilité pour les opérateurs économiques établis dans un État membre de choisir librement la forme juridique appropriée pour l'exercice de leurs activités dans un autre État membre, interdit, gêne ou rend moins attrayant l'exercice de la liberté d'établissement.
5. La société BANK OF CHINA LIMITED soutient que le principe de liberté d'établissement implique que l'établissement stable français d'une société étrangère et la société française filiale d'une société étrangère soient traités de manière identique et qu'en retenant, pour apprécier le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle, le chiffre d'affaires de la société étrangère dans le premier cas et celui de la société française dans le second cas, les dispositions de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts sont à l'origine d'une différence de traitement entre l'établissement stable et la filiale d'une société étrangère et, par suite, d'une restriction à la liberté d'établissement compromettant le principe de libre choix de la forme juridique de son établissement secondaire par une société étrangère et, en conséquence, celui de non-discrimination.
6. Au regard de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, une société établie dans un autre Etat membre ayant une filiale ou une succursale en France est traitée de manière identique à une société établie en France ayant une filiale ou une succursale en France ou dans un autre Etat membre. Dès lors, le moyen tiré de ce qu'il existerait une différence de traitement selon le lieu d'établissement de la société ou selon la structure juridique de l'établissement secondaire de la société ne peut, en tout état de cause dès lors qu'il est invoqué par une société ayant son siège en Chine, Etat tiers par rapport à l'Union européenne, qu'être écarté. Par voie de conséquence, doit être également écarté, le moyen tiré de l'existence d'une discrimination à rebours, qui résulterait de la méconnaissance de ces dispositions.
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe de
non-discrimination prévu au paragraphe 2 de l'article 23 de la convention fiscale
franco-chinoise :
7. Aux termes de l'article 23 de la convention franco-chinoise susvisée :
" 2. L'imposition d'un établissement stable qu'une entreprise d'un Etat contractant a dans l'autre Etat contractant n'est pas établie dans cet autre Etat d'une façon moins favorable que l'imposition des entreprises de cet autre Etat qui exercent la même activité. (...) ".
8. D'une part, au regard de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, une société établie en Chine disposant d'un établissement stable en France est traitée de manière identique à une société établie en France ayant un établissement stable en France ou à l'étranger, et notamment en Chine, dès lors que, dans l'une ou l'autre de ces situations, le seuil d'assujettissement à cette contribution s'apprécie au regard du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise et que, par ailleurs, seul le bénéfice réalisé en France est retenu pour l'assiette de l'impôt.
9. D'autre part, la société BANK OF CHINA LIMITED ne saurait utilement soutenir qu'elle se trouve placée dans une situation moins favorable que celle qui serait la sienne si son activité était exercée en France par l'intermédiaire d'une filiale, et non d'un établissement stable, dès lors que le principe de non-discrimination n'implique pas que les différentes structures susceptibles d'être choisies par les opérateurs pour exercer leurs activités économiques soient soumises à un seul et même traitement fiscal alors, de surcroît, que la filiale et l'établissement stable français d'une société résidente ne font pas eux-mêmes l'objet d'un traitement similaire.
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance des articles 7§1 et 22§2 de la convention franco-chinoise :
10. Aux termes de l'article 7§1 de la convention franco-chinoise : " Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat contractant mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable. ". L'article 22§2 du même texte stipule : " En ce qui concerne la République française : a) Les revenus autres que ceux visés à l'alinéa b ci-dessous sont exonérés des impôts français mentionnés à l'alinéa b du paragraphe 3 de l'article 2, lorsque ces revenus sont imposables en Chine, en vertu du présent Accord ; (...) / d) Nonobstant les dispositions des alinéas a et b, l'impôt français peut être calculé, sur les revenus imposables en France en vertu du présent Accord, au taux correspondant au total des revenus imposables selon la législation française. ".
11. La société BANK OF CHINA LIMITED ne saurait utilement se prévaloir des stipulations des articles 7§1 et 22§2 de la convention franco-chinoise pour contester l'interprétation donnée par le Conseil d'Etat de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, dans la mesure où ces stipulations ne concernent que la définition des revenus imposables et donc des dispositions d'assiette, distinctes des modalités de détermination du seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés.
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe de
non-discrimination prévu à l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention :
12. Aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette même convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens (...) ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.
13. Ainsi qu'il vient d'être dit ci-dessus, la différence de chiffre d'affaires à prendre en compte selon que la société étrangère exerce son activité en France par l'intermédiaire d'un établissement stable ou d'une filiale est la conséquence nécessaire de l'absence de personnalité propre de l'établissement stable et qu'elle ne peut être regardée comme étant, en elle-même, à l'origine d'une discrimination prohibée. Dès lors, le moyen tiré de ce qu'il existerait, de ce fait, une différence de traitement à l'origine d'une discrimination prohibée par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
14. Il résulte de ce qui précède que la société BANK OF CHINA LIMITED n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
16. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la société requérante au titre des frais exposés par elle et non comprise dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société BANK OF CHINA LIMITED est rejetée.
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N° 18VE00207