Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 août 2018, M.B..., représenté par Me C... A..., demande à la cour :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen du 13 juin 2018 en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;
3°) d'annuler l'arrêté du 22 mai 2018 de la préfète de la Seine-Maritime ordonnant son transfert aux autorités espagnoles ;
4°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de prendre en charge l'instruction de sa demande d'asile sans délai à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocat dans les conditions prévues par l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., de nationalité guinéenne, né le 18 mai 1982, entré en France le 24 février 2018 selon ses déclarations, a déposé auprès de la préfète de la Seine-Maritime une demande d'admission au séjour au titre de l'asile. Les contrôles effectués par les services de la préfecture, en particulier la consultation du fichier " Eurodac ", ont révélé que l'intéressé avait été identifié en Espagne le 23 janvier 2018 sous le n° ES21836850688. La préfète de la Seine-Maritime a, le 22 mars 2018, saisi les autorités espagnoles d'une demande de prise en charge, en application de l'article 13-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui a fait l'objet d'un accord exprès le 5 avril 2018. Par un arrêté du 22 mai 2018, la préfète de la Seine-Maritime a ordonné son transfert aux autorités espagnoles. M. B...relève appel du jugement du 13 juin 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 12 juillet 2018. Par suite, ses conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire sont devenues sans objet.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Les points ou considérants composant l'exposé des motifs d'un règlement des institutions de l'Union européenne sont dépourvus de valeur juridique. M. B...ne pouvait ainsi utilement se prévaloir des énonciations du point 21 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 qui exigent que les résultats positifs obtenus dans Eurodac soient vérifiés par un expert en empreintes digitales qui ait reçu une formation, de manière à garantir la détermination exacte de la responsabilité au titre du règlement n° 604/2013. Si le premier juge, qui a répondu au moyen tiré du vice de procédure relatif au recueil du consentement de l'intéressé au regard de l'article 9 et du point 21 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013, n'a pas répondu à celui tiré de la vérification des empreintes par un expert en empreintes digitales, l'omission à examiner un moyen inopérant n'entache cependant pas d'irrégularité le jugement. Par suite, le moyen tiré de l'omission à statuer sur le moyen tiré de la méconnaissance du point 21 du règlement (UE) n° 603/2013 doit être écarté.
Sur la décision de remise aux autorités espagnoles :
4. L'arrêté du 22 mai 2018 en litige, qui vise les règlements communautaires, précise que " les résultats positifs obtenus suite aux contrôles effectués sur la borne Eurodac, en application de l'article 9 du règlement (UE) n° 603/2013, ont révélé que M. B...avait été précédemment identifié par les autorités espagnoles, le 23 janvier 2018, sous le numéro ES21836850688 ". L'arrêté énonce ensuite que " le 22 mars 2018, les autorités espagnoles ont été saisies d'une demande de prise en charge en application de l'article 13-1 du règlement (UE) n° 604/2013 " et que " les autorités espagnoles ont fait connaître leur accord le 5 avril 2018 ". Il précise que l'ensemble des éléments de faits et de droit caractérisant la situation de M. B...ne relève pas des dérogations prévues à l'article 17 de ce règlement. En outre, la décision se réfère à l'article 13-1 du règlement qui est en partie reproduit dans le corps de l'arrêté. Ces motifs, desquels il résulte que l'intéressé a franchi irrégulièrement la frontière espagnole et y a déposé une demande d'asile, permettent ainsi d'identifier le critère prévu par le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dont la préfète de la Seine-Maritime a entendu faire application pour désigner l'Espagne comme le pays vers lequel M. B...pourra être transféré. Par suite, les motifs figurant dans l'arrêté contesté, qui font apparaître les considérations de droit et de fait sur lesquelles il est fondé, sont suffisamment précis pour permettre à l'intéressé de bénéficier du recours effectif visé au paragraphe 1 de l'article 27 du règlement. Le moyen présenté par M. B...tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté doit, dès lors, être écarté.
5. En vertu des dispositions du premier alinéa du 1 de l'article 9 du règlement européen n° 603/2013, chaque Etat relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d'une protection internationale et la transmet au système central dénommé Eurodac et au plus tard 72 heures suivant l'introduction de la demande de protection internationale. Toutefois, il résulte expressément du second alinéa du même texte que le non-respect du délai de 72 heures n'exonère pas les Etats membres de l'obligation de relever et de transmettre les empreintes digitales au système central. Le relevé tardif de la prise d'empreinte n'est donc pas de nature à affecter la régularité de la procédure administrative suivie pour déterminer l'Etat membre responsable d'une demande d'asile en application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. En l'espèce, la préfète de la Seine-Maritime justifie que les empreintes digitales de M. B...ont été relevées le 20 mars 2018, soit le jour du dépôt de sa demande d'asile. Par suite, le moyen soulevé manque en fait. En outre, pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 3, M. B...ne peut utilement se prévaloir des énonciations du point 21 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 qui préconisent que les résultats positifs obtenus dans Eurodac soient vérifiés par un expert en empreintes digitales qui ait reçu une formation, de manière à garantir la détermination exacte de la responsabilité au titre du règlement n° 604/2013. En tout état de cause, le moyen, à supposer qu'il faille le regarder comme tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 25, 4° du règlement n° 603/2013, n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé et doit, pour cette raison, être écarté.
6. M. B...fait valoir qu'aucun élément du dossier ne permet de démontrer qu'il est entré irrégulièrement en Espagne, dès lors qu'il a été secouru en mer et débarqué dans ce pays indépendamment de sa volonté. Toutefois, il ressort de l'arrêté attaqué que les autorités espagnoles l'ont identifié comme correspondant à un franchissement irrégulier de frontière espagnole. A défaut pour le requérant d'apporter des éléments de nature à contredire l'appréciation de ces autorités, qui pouvait être fondée sur de simples indices, la seule circonstance de son entrée par voie maritime en Espagne, en qualité de naufragé secouru en mer, à la supposer établie, n'est pas par elle-même de nature à la faire regarder comme régulière. Par suite, le moyen soulevé tiré de l'absence de preuve de son entrée irrégulière en Espagne doit être écarté.
7. Aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...). 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".
8. M. B...a bénéficié le 20 mars 2018 d'un entretien individuel dans des conditions garantissant la confidentialité, en langue française, langue qu'il a déclaré comprendre, au cours duquel il a pu être vérifié qu'il avait correctement compris les informations dont il devait avoir connaissance, notamment le fait que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Espagne le 23 janvier 2018 et que l'entretien s'inscrivait dans un processus de détermination de l'Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile. Le compte-rendu de cet entretien a été signé par un agent de la préfecture, mentionnant ses initiales et qui doit, en l'absence de tout élément de preuve contraire, être regardé comme qualifié pour mener un tel entretien quand bien-même son nom n'est pas mentionné. Dans ces conditions, M. B..., qui n'a été privé d'aucune garantie, n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article 5 du règlement précité auraient été méconnues.
9. Si M. B...soutient que la préfète de la Seine-Maritime ne démontre pas avoir saisi les autorités espagnoles et avoir obtenu leur accord, ce moyen, qui n'est assorti d'aucune précision nouvelle en appel, a été à bon droit écarté par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen, dont il y a lieu d'adopter les motifs sur ce point.
10. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de la Seine-Maritime n'aurait pas procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de M.B.... Par suite, le moyen doit être écarté.
11. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ", et aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ".
12. L'Espagne est un Etat membre de l'Union européenne partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ne ressort pas des seules affirmations d'ordre général relatives aux difficultés rencontrées par ce pays, dont les frontières maritimes épousent les frontières extérieures de l'Union européenne et soumis à un afflux massif de migrants, que la réadmission de l'intéressé vers l'Espagne serait, par elle-même, constitutive d'une atteinte au droit d'asile. Aucun des éléments produits n'accrédite les allégations selon lesquelles les demandes d'asile y seraient traitées de manière expéditive et ne corrobore l'existence de défaillances systémiques affectant la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Espagne. En l'absence de risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants en cas d'exécution de la décision de transfert attaquée, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doivent être écarté.
13. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
14. La faculté qu'ont les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un Etat tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet, et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
15. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige que la préfète de la Seine-Maritime, qui a notamment relevé que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. B...ne relevait pas des dérogations prévues par l'article 17 du règlement précité, a effectivement pris en compte la possibilité que la France examine la demande d'asile de l'intéressé alors même qu'elle n'en était pas responsable. Par suite, M. B...n'est pas fondé à soutenir que l'autorité préfectorale n'a pas apprécié la possibilité d'examiner sa demande d'asile, ni qu'elle aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte doivent être rejetées, de même que la demande présentée par son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle présentée par M.B....
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B...est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...B..., au ministre de l'intérieur et à Me C...A....
Copie sera adressée à la préfète de la Seine-Maritime.
6
N°18DA01632