Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 septembre 2018, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille du 8 août 2018 ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M.A....
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement n° 604/2013 ;
- le règlement n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant irakien né le 11 juin 2000, a été interpellé le 27 juillet 2018 et placé en rétention administrative par un arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 28 juillet 2018. Par un arrêté du 1er août 2018, le préfet du Pas-de-Calais a prononcé son transfert vers l'Allemagne, désigné comme l'Etat responsable de l'examen de sa demande, au motif que les autorités allemandes avaient enregistré les empreintes décadactylaires de l'intéressé dans le système " Eurodac ", sous un numéro correspondant à une demande d'asile. Il relève appel du jugement du 8 août 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté.
Sur le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille :
2. Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen (...) ".
3. D'une part, l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride prévoit que toute demande de protection internationale, présentée sur le territoire de l'un quelconque des Etats membres, est examinée par celui d'entre eux que l'application des critères énoncés par ce règlement désigne comme l'Etat responsable de cet examen, ou, à défaut, par celui auprès duquel la demande a été introduite pour la première fois. L'article 22 du même règlement prévoit que des éléments de preuve et des indices sont utilisés dans le cadre de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable, fixe les critères des éléments de preuve et indices pertinents, et renvoie à des actes d'exécution de la Commission l'établissement, ainsi que la révision périodique de deux listes indiquant ces éléments de preuve et indices pertinents.
4. D'autre part, l'article 1er du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 institue, en vue de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013, un système appelé " Eurodac ", dont l'objet est de contribuer à la détermination de l'Etat membre responsable. L'article 9 de ce règlement prévoit que chaque Etat membre relève sans tarder l'empreinte de tous les doigts de chaque demandeur d'une protection internationale âgé de quatorze ans au moins et la transmet au système central du système " Eurodac " aux fins de comparaison. L'article 11 du même règlement fixe de manière limitative les données personnelles enregistrées dans la base de données du système " Eurodac ". Il en résulte qu'une personne y est identifiée, non par son état civil, mais par le numéro de référence attribué par " l'Etat membre d'origine ", c'est-à-dire, selon l'article 2, par tout Etat qui transmet les données à caractère personnel d'un demandeur de protection internationale dans les conditions prévues par le règlement. L'article 24 de ce règlement dispose que le numéro de référence permet de rattacher sans équivoque les données à une personne spécifique et qu'il commence par la ou les lettres d'identification désignant l'Etat qui les a transmises, suivie du code indiquant la catégorie de personne ou de demande. Enfin, le résultat positif fourni par " Eurodac " par suite de la comparaison des empreintes collectées en application de l'article 9 constitue une preuve pour la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile, visée à l'annexe II au règlement (UE) n° 118/2014 du 30 janvier 2014 modifiant le règlement (CE) n° 1560/2003 portant modalités d'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
5. Il ressort des pièces du dossier, que pour prononcer le transfert de M. A...vers l'Allemagne, le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé sur le résultat positif fourni par le système " Eurodac " permettant de constater que les empreintes de M. A...ont été enregistrées le 7 novembre 2015 en Allemagne sous le numéro de référence " DE1 151107MED0O628 ". Il en résulte que l'intéressé a été enregistré en Allemagne comme y ayant déposé une demande d'asile. En l'absence de tout élément de nature à remettre en cause la correspondance relevée par le système " Eurodac ", le préfet du Pas-de-Calais établit ainsi, pour la première fois en appel, que M. A...avait déposé une demande d'asile en Allemagne. Par suite, le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondé sur ce que la décision de transfert était entachée d'une erreur de droit pour annuler l'arrêté en litige du 1er août 2018 décidant la remise de M. A...aux autorités allemandes.
6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...devant le tribunal administratif de Lille.
Sur la légalité de la décision de transfert :
7. Par un arrêté n° 2017-10-76 du 20 mars 2017, régulièrement publié au recueil spécial des actes du département n° 24 du même jour, le préfet du Pas-de-Calais a donné délégation, notamment à M. C...B..., chef du bureau de l'immigration et de l'intégration de la préfecture, signataire de l'arrêté en litige, à l'effet de signer, en particulier, les décisions de transfert prévues à l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté litigieux doit, par suite, être écarté.
8. L'arrêté contesté fait état des éléments de fait relatifs à la situation personnelle de l'intéressé, vise le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, cite les dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que celles de l'article 18, 1, b) et du 5° de l'article 20 du règlement (UE) n° 604/2013. Il relève qu'il résulte de l'examen du relevé des empreintes digitales de M. A...que ce dernier a sollicité l'asile en Allemagne et que les autorités allemandes ont fait connaître leur accord le 1er août 2018 pour la reprise en charge de l'intéressé. L'arrêté en litige comporte ainsi l'énoncé des considérations de fait et de droit sur lesquelles il se fonde, sans que le préfet du Pas-de-Calais ait été tenu d'indiquer que l'Italie, qui n'est que le deuxième Etat dans lequel M. A...a déposé une demande d'asile, n'avait pas été saisie, la mention des articles du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 suffisant à comprendre le raisonnement suivi par le préfet. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté ne peut qu'être écarté.
9. Aux termes du 1 de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 : " Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'État membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend : / a) de l'identité du responsable du traitement au sens de l'article 2, point d), de la directive 95/46/CE, et de son représentant, le cas échéant ; / b) de la raison pour laquelle ses données vont être traitées par Eurodac, y compris une description des objectifs du règlement (UE) n° 604/2013, conformément à l'article 4 dudit règlement, et des explications, sous une forme intelligible, dans un langage clair et simple, quant au fait que les États membres et Europol peuvent avoir accès à Eurodac à des fins répressives ; / c) des destinataires des données ; / d) dans le cas des personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, de l'obligation d'accepter que ses empreintes digitales soient relevées ; / e) de son droit d'accéder aux données la concernant et de demander que des données inexactes la concernant soient rectifiées ou que des données la concernant qui ont fait l'objet d'un traitement illicite soient effacées, ainsi que du droit d'être informée des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris les coordonnées du responsable du traitement et des autorités nationales de contrôle visées à l'article 30, paragraphe 1 ".
10. A la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 18, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2725/2000 du 11 décembre 2000, aujourd'hui reprises à l'article 29, paragraphe 1 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Il s'en suit que la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles l'Etat français remet l'intéressé aux autorités compétentes pour examiner sa demande d'asile. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 9 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 doit, par suite, être écarté comme inopérant.
11. Aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...)/ 5. L'entretien individuel dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".
12. Contrairement à ce qu'il soutient, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'entretien individuel au cours duquel M. A...a été reçu le 1er août 2018, n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. En outre, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que cet entretien n'aurait pas été mené de manière confidentielle. Le moyen soulevé n'étant, au demeurant, assorti d'aucune précision, M. A...n'est ainsi pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent auraient été méconnues.
13. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Il résulte de ces stipulations que la faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
14. Il ne ressort pas du dossier que le requérant aurait porté à la connaissance du préfet, avant l'édiction de l'arrêté en litige, des éléments relatifs à sa situation personnelle de nature à justifier la mise en oeuvre, à titre dérogatoire, des dispositions précitées. M. A...n'apporte en outre aucun élément lui permettant de justifier d'une impossibilité de retourner en Allemagne, où il n'établit pas qu'il serait exposé à des risques personnels constitutifs d'une atteinte grave au droit d'asile. En conséquence, en ne mettant pas en oeuvre la procédure dérogatoire prévue par les dispositions précitées des articles 3 et 17 du règlement (UE) du 26 juin 2013, le préfet du Pas-de-Calais n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation du requérant.
15. Aux termes des dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
16. Si M. A...soutient qu'il craint pour son intégrité physique et sa sécurité en cas de retour dans son pays d'origine en raison des défaillances systémiques du système d'asile en Allemagne, ce moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 14. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le préfet du Pas-de-Calais se serait abstenu de procéder à un examen sérieux de la situation personnelle de M.A....
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 1er août 2018 ordonnant le transfert de M. A...aux autorités allemandes.
DÉCIDE :
Article 1 : Le jugement n° 1807049 du 8 août 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant ce tribunal est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D...A....
Copie en sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.
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N°18DA01880