Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 septembre 2018, M.A..., représenté par Me C... D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen du 27 août 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2018 de la préfète de la Seine-Maritime ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour sous la même condition de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocat dans les conditions prévues par l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant érythréen, né le 15 mai 1992, a sollicité auprès de la préfète de la Seine-Maritime le 9 avril 2018 son admission au séjour au titre de l'asile. Une consultation du fichier Eurodac ayant toutefois révélé que l'intéressé était connu des autorités italiennes, qui avaient prélevé ses empreintes digitales le 28 décembre 2017 à la suite de son entrée irrégulière sur le territoire italien, la préfète de la Seine-Maritime a, par un arrêté du 12 juillet 2018, décidé le transfert de M. A...vers l'Italie. L'intéressé interjette appel du jugement du 27 août 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cet arrêté.
2. Si M. A...soutient qu'il est hébergé au centre d'hébergement pour migrant à Montmorency dans le Val d'Oise, l'intéressé a toutefois indiqué être domicilié.... Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte en litige doit être écarté.
3. L'arrêté du 12 juillet 2018 en litige, qui vise les règlements communautaires et mentionne en son corps, les articles L. 741-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, précise que " le 9 avril 2018, les résultats positifs obtenus, suite aux contrôles effectués sur borne EURODAC, en application de l'article 9 du règlement (UE) n° 603/2013 ont révélé que M. B...A...avait été précédemment identifié, par 2 fois par les autorités italiennes ; d'une part le 28 décembre 2017 sous le numéro IT2SR022MZ et d'autre part, en tant que demandeur d'asile, le 11 janvier 2018 sous le numéro IT1CT02KB ". L'arrêté poursuit en énonçant que " les autorités italiennes ont été saisies le 9 avril 2018 d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18.1 b) du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé " et que " les autorités italiennes ont accepté leur responsabilité par un accord implicite du 24 avril 2018 ". En outre, la décision se réfère à l'article 18.1 b) qui est en partie reproduit dans le corps de l'arrêté. Ces motifs, desquels il résulte que l'intéressé a franchi irrégulièrement la frontière italienne et y a déposé une demande d'asile, et que cette demande était toujours en cours d'instruction à la date de l'arrêté litigieux, permettent ainsi d'identifier le critère prévu par le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dont la préfète de la Seine-Maritime a entendu faire application pour désigner l'Italie comme le pays vers lequel M. A...pourra être transféré. Par suite, les motifs figurant dans l'arrêté contesté, qui font apparaître les considérations de droit et de fait sur lesquelles il est fondé, sont suffisamment précis pour permettre à l'intéressé de bénéficier du recours effectif visé au paragraphe 1 de l'article 27 du règlement. Le moyen présenté par M. A...tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté en litige doit, dès lors, être écarté.
4. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte-rendu de l'entretien individuel de M.A..., que celui-ci a bénéficié de l'entretien individuel prévu par ces dispositions au sein des locaux de la préfecture de la Seine-Maritime, le 9 avril 2018 à 11h39, selon les modalités permettant le respect de la confidentialité et avec l'assistance d'un interprète en langue tigrigna, qu'il a déclaré comprendre. Le seul fait que ce compte-rendu ne comporte pas la mention du nom et de la qualité de l'agent de la préfecture qui a mené cet entretien ne peut suffire à établir, en l'absence de tout élément de nature à faire naître un doute sur ce point, que cet agent n'aurait pas été mandaté à cet effet par la préfète de la Seine-Maritime et qu'ainsi, il ne serait pas une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens des dispositions citées au point précédent. L'absence de la mention du nom et de la qualité de l'agent de la préfecture sur le compte-rendu versé au dossier, au demeurant signé par M.A..., ne l'a pas privé, dans les circonstances de l'espèce, des garanties tenant au bénéfice de cet entretien. Dans ces conditions, le moyen tiré par M. A...de la méconnaissance des dispositions citées au point 4, doit être écarté.
6. Aux termes de l'article 2 du règlement d'exécution n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014 : " Une requête aux fins de reprise en charge est présentée à l'aide du formulaire type dont le modèle figure à l'annexe III, exposant la nature et les motifs de la requête et les dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil sur lesquelles elle se fonde (...) ". Aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, dans sa rédaction issue du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 et applicable à la décision en litige : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement / (...) / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".
7. Il ressort des pièces versées au dossier que la demande de reprise en charge de M. A... par les autorités italiennes, produite par la préfète de la Seine-Maritime, a été formée le 9 avril 2018 par le réseau de communication " DubliNet ", qui permet des échanges d'information fiables entre les autorités des Etats membres de l'Union européenne qui traitent les demandes d'asile. La préfète de la Seine-Maritime produit, pour en justifier, la copie d'un courrier électronique du 9 avril 2018 qui constitue la réponse automatique du point d'accès national français, document comportant la référence " FRDUB2 9930124262-760 " qui correspond au numéro attribué à M. A...par la préfecture. En outre, la préfète produit la copie d'un autre courrier électronique du 25 avril 2018 qui constitue la réponse automatique du point d'accès national français intitulé " Implicit Aceptance " et comportant le même numéro de référence. Les mentions figurant sur ces accusés de réception édités automatiquement par le réseau de communication électronique " Dublinet ", créé précisément dans le but d'authentifier ces démarches, permettent d'établir, conformément aux dispositions citées au point précédent, que les autorités italiennes ont bien été saisies d'une demande de reprise en charge concernant M. A...ainsi que la date de leur accord implicite. Ainsi, les moyens tirés de l'irrégularité de procédure découlant de l'absence de preuve de l'envoi d'une requête de reprise en charge aux autorités italiennes et de preuve d'un accord des autorités italiennes à cette reprise en charge manquent en fait et doivent, par suite, être écartés.
8. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de la Seine-Maritime n'aurait pas procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de M.A.... Par suite, le moyen tiré du défaut d'un tel examen doit être écarté.
9. Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui sont reprises à l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 3 de la même charte : " 1. Toute personne a droit à son intégrité physique et mentale. / (...) " . Enfin, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ".
10. M. A...se borne à soutenir, comme en première instance, qu'il craint des mauvais traitements en cas de retour en Italie, sans toutefois établir l'existence d'un risque personnel d'y être accueilli dans des conditions indécentes, ni d'ailleurs l'existence de défaillances systémiques de la procédure d'asile dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant, dans ce pays. A cet égard, il ne saurait se limiter à invoquer des considérations générales sur les difficultés rencontrées par les autorités italiennes pour accueillir le grand nombre de migrants affluant en Italie, en se prévalant des rapports d'Amnesty International de 2017 et d'AIDA de 2018, ainsi que d'articles de presse, pour démontrer la violation, en ce qui le concerne, de l'article 3 paragraphe 2 précité. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la demande d'asile de M. A...ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par suite, les moyens tirés de ce que l'arrêté en litige n'aurait pas été précédé d'un examen suffisamment approfondi des garanties offertes par l'Italie pour la prise en charge de M. A...et de ce que la décision en litige a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des dispositions des articles 3 et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que de celles du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doivent être écartés.
11. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
12. Il ressort des pièces du dossier que M. A...est célibataire et sans enfant à charge sur le territoire français. Il a déclaré être n'entré en France que le 20 mars 2018 soit moins de six mois avant la date de l'arrêté en litige. M. A...n'a fait état d'aucune circonstance particulière, tirée de sa situation personnelle, justifiant l'examen de sa demande par les autorités françaises, à titre dérogatoire. En outre, lors de l'entretien individuel réalisé en préfecture, il a indiqué ne pas faire l'objet d'un suivi médical particulier. Enfin, il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige que la préfète de la Seine-Maritime, qui a notamment relevé que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. A...ne relevait pas des dérogations prévues par l'article 17 du règlement précité, a effectivement pris en compte la possibilité que la France examine la demande d'asile de l'intéressé alors même qu'elle n'en était pas responsable. Dans ces conditions, pour estimer qu'il n'y avait pas lieu de mettre en oeuvre, à l'égard de M. A..., la disposition dérogatoire de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, la préfète de la Seine-Maritime n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation, ni au regard de ces dispositions, ni au regard des conséquences de la décision sur la situation personnelle de l'intéressé.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 27 août 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction assortie d'astreinte et celles qu'il présente au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., au ministre de l'intérieur et à Me C...D....
Copie en sera adressée à la préfète de la Seine-Maritime.
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N°18DA01917