Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 août 2018, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de première instance.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (CE) n° 1987/2006 règlement du 20 décembre 2006 du Parlement européen et du Conseil ;
- la directive n° 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 ;
- la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant de la République de l'Inde né le 27 septembre 1992, a été interpellé le 17 juillet 2018 à Calais alors qu'il tentait de se rendre en Grande-Bretagne sous couvert de documents d'identité contrefaits. Par un arrêté du 18 juillet 2018, le préfet du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 27 juillet 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a prononcé l'annulation de ces décisions.
Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné :
2. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.
3. Il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal d'audition signé par M. C..., qu'il a été entendu le 14 janvier 2018 par les services de police, avec l'assistance d'un interprète. Au cours de cet entretien, il a, en particulier, été interrogé sur son âge, sa nationalité, sa situation de famille, les raisons et les conditions de son départ de son pays d'origine et de son arrivée et de son séjour sur le territoire français, ainsi que sur l'éventualité d'une mesure d'éloignement et la perspective d'un retour en Inde, avant d'être invité à formuler toute remarque complémentaire. M. C... a ainsi eu la possibilité de faire valoir utilement les éléments pertinents susceptibles d'influencer la décision du préfet du Pas-de-Calais sur son éloignement, alors même qu'il n'a pas été invité à présenter ses observations écrites. Il n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français a été prise à son encontre en violation du droit de toute personne d'être entendue préalablement à toute mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement, principe général du droit de l'Union européenne. Par suite, c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondé sur ce motif pour annuler les décisions contestées.
4. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les moyens présentés par M. C... en première instance.
Sur les autres moyens invoqués par M. C... :
En ce qui concerne la compétence du signataire des décisions contestées :
5. Par un arrêté du 18 décembre 2017, publié le même jour au recueil spécial n° 121 des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Pas-de-Calais a donné délégation à M. B... A..., chef du bureau de l'éloignement, à l'effet de signer, notamment, les décisions contestées. Le signataire de ces décisions était ainsi compétent à cet effet.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
6. L'arrêté du 18 juillet 2018 comporte l'énoncé des circonstances de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé pour obliger M. C... à quitter le territoire français. Cette obligation est, ainsi, suffisamment motivée au regard des exigences du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Pas-de-Calais aurait procédé à un examen incomplet de la situation particulière de M. C... avant de l'obliger à quitter le territoire français. La circonstance, alléguée par ce dernier, que le préfet n'aurait pas pris en considération les risques auxquels il serait exposé dans son pays, est en outre sans influence sur la légalité de cette décision qui n'a ni pour objet, ni pour effet d'imposer à l'intéressé de se rendre dans un pays déterminé.
8. Lors de son audition par les services de police, M. C... a déclaré n'avoir sollicité l'asile dans aucun pays européen. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait manifesté, au cours de cette audition ou à une autre occasion, l'intention de présenter une demande de protection internationale. Le moyen tiré de ce qu'en application du règlement du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et des dispositions des articles L. 743-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Pas-de-Calais aurait dû le mettre à même de soumettre une telle demande aux autorités anglaises et, dans l'attente, de l'admettre au séjour, est, par suite, inopérant.
9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, l'obligation de quitter le territoire français serait entachée d'une erreur manifeste commise par le préfet du Pas-de-Calais dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle de M. C.... Celui-ci ne saurait, en particulier, utilement faire valoir les risques auxquels il serait exposé dans son pays d'origine à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français dès lors que, comme il a été dit au point 7, cette décision n'a par elle-même ni pour objet, ni pour effet de le contraindre à regagner ce pays.
En ce qui concerne la décision de ne pas accorder de délai de départ volontaire :
10. L'arrêté contesté comporte l'énoncé des circonstances de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé pour ne pas accorder à M. C... de délai de départ volontaire. Cette décision est, ainsi, suffisamment motivée au regard des exigences du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 9 que M. C... n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
12. Pour décider que M. C... devait quitter sans délai le territoire français, le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé sur ce que l'intéressé, d'une part, entré en France irrégulièrement, n'avait pas sollicité de titre de séjour et, d'autre part, n'avait pas déclaré le lieu de sa résidence effective et permanente. Ces circonstances, visées respectivement au a) et au f) du 3° du II de l'article L. 511-1, sont au nombre de celles qui permettent, sauf circonstances exceptionnelles, de regarder un risque de fuite comme établi. En se bornant à soutenir que l'exclusion d'un délai de départ volontaire n'est pas automatique et qu'il " n'a pas tenté de se soustraire de façon intentionnelle à la décision de l'autorité administrative ", M. C... ne soutient pas sérieusement que le préfet du Pas-de-Calais aurait fait une inexacte application de ces dispositions.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
13. L'arrêté contesté vise le I de l'article L. 511-1, ainsi que l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne la nationalité de M. C.... Cet arrêté énonce, en outre, que l'intéressé n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La décision fixant le pays de renvoi est, ainsi, suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
14. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Pas-de-Calais aurait procédé à un examen insuffisant des risques auxquels M. C... affirme être exposé dans son pays, alors que celui-ci n'a fait état devant les services de police d'aucune crainte de subir en Inde des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
15. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 9 que M. C... n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
16. M. C... n'assortit d'aucun élément probant ses allégations selon lesquelles il se trouverait personnellement exposé, dans son pays, à des risques actuels pour sa vie et sa sécurité en raison d'un conflit qui l'opposerait à de grands propriétaires terriens cherchant à spolier sa famille de ses biens. Dans ces conditions, la décision fixant le pays de renvoi n'a méconnu ni les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne l'interdiction de retour :
17. La légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français n'est pas subordonnée à la délivrance à l'intéressé de l'information prévue par l'article 42 du règlement du 20 décembre 2006 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération, conformément aux exigences de la directive du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
18. L'arrêté contesté cite les dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il énonce que l'obligation de quitter sans délai le territoire français doit être assortie d'une interdiction de retour et que M. C... ne bénéficie pas d'un délai de départ volontaire, indiquant ainsi dans quel cas d'édiction d'une interdiction de retour sur le territoire français se trouve l'intéressé. Cet arrêté explicite, par ailleurs, les éléments retenus par le préfet du Pas-de-Calais au regard des quatre critères prévus par la loi pour fixer la durée de l'interdiction. Enfin, M. C..., qui a déclaré avoir quitté son pays pour des raisons économiques, ne peut sérieusement soutenir que les risques auxquels il serait exposé en Inde sont constitutifs de circonstances humanitaires, au sens des mêmes dispositions, sur lesquelles le préfet du Pas-de-Calais aurait dû se prononcer expressément. L'interdiction de retour répond, par suite, aux exigences de motivation résultant de ces dispositions.
19. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 12 que M. C... n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité des décisions l'obligeant à quitter sans délai le territoire français.
20. Dans les circonstances énoncées au point 16, il ne ressort pas des pièces du dossier que des circonstances humanitaires, au sens des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, justifieraient que M. C... ne fasse pas l'objet d'une interdiction de retour.
21. Au regard de ces éléments, et compte tenu de l'absence d'intensité des attaches en France de M. C..., qui a déclaré n'y avoir que de simples connaissances, ainsi que des conditions irrégulières et de la brièveté de son séjour d'environ six mois sur le territoire français, la durée d'un an de l'interdiction de retour n'est pas excessive, alors même que l'intéressé n'a jamais troublé l'ordre public et n'avait précédemment fait l'objet d'aucune mesure d'éloignement.
22. Enfin, il résulte des dispositions de l'article 11 de la directive du 16 décembre 2008 que l'interdiction d'entrée dont est assortie la décision de retour lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé ne fait pas obstacle à ce qu'un Etat membre délivre à l'étranger concerné une autorisation de séjour, après consultation de l'Etat à l'origine de l'interdiction, et que les effets de l'interdiction s'appliquent " sans préjudice " du droit à la protection internationale. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient l'intéressé, l'interdiction de retour n'entraîne pas pour lui l'impossibilité absolue de revenir sur le territoire des Etats Schengen pendant toute sa durée alors même qu'elle implique son signalement au système d'information Schengen.
23. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé les décisions contestées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1806584 du 27 juillet 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... C....
Copie en sera adressée au préfet du Pas-de-Calais
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No18DA01715