Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 décembre 2017, Mme A...D..., représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler ces décisions ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Loire-Atlantique de lui délivrer, à titre principal, un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans les quinze jours suivant la notification de l'arrêt sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ou, à défaut, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt et de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision de refus de séjour a été prise par une autorité incompétente ; elle a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que le préfet n'a pas interrogé le médecin de l'agence régionale de santé sur sa capacité à voyager sans risque vers la Russie ; elle méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle ne peut recevoir un traitement approprié à sa pathologie en Russie, le ministre de la santé et des solidarités ayant souligné l'insuffisance de l'offre de soins pour les porteurs d'une infection par le VIH dans les pays en développement dans ses circulaires du 30 septembre 2005, 23 octobre 2007 et instruction du 10 novembre 2011 ; elle a été prise sans examen complet de sa demande et de sa capacité à voyager sans risque et sans qu'elle soit informée par l'autorité administrative de son intention de lui refuser la délivrance d'un titre de séjour et invitée à présenter ses observations ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation compte tenu de ses efforts d'intégration, de la durée de son séjour en France, de la scolarisation de ses deux enfants et des conséquences d'une exceptionnelle gravité que celle-ci engendre sur son état de santé ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise par une autorité incompétente ; elle est entachée d'un vice de procédure dès lors que la préfète de Loire-Atlantique ne l'a pas avertie de son intention de s'écarter de l'avis du médecin de l'agence régionale de santé et ne l'a pas invitée à présenter des observations, notamment sur sa capacité à voyager ; elle doit être annulée du fait de l'illégalité de la décision de refus de séjour ; elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant compte tenu de son intégration ainsi que celle de ses enfants en France et du fait que la cellule familiale ne peut se reconstituer en Russie ; elle a été prise sans examen complet de sa situation dès lors qu'elle n'a pas été informée par l'autorité administrative de son intention de lui refuser la délivrance d'un titre de séjour et invitée à présenter ses observations ; elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que la préfète s'est abstenue de vérifier, comme le prévoient les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, si elle peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié en Russie ; elle méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle ne peut avoir accès au traitement médical requis par sa pathologie en Russie ; elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur sa situation personnelle et familiale ;
- le tribunal administratif a omis de répondre au moyen tiré de ce que la préfète a commis une erreur de droit en s'abstenant de vérifier, comme le prévoient les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, si elle peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié en Russie ;
- la décision fixant le pays de renvoi a été prise par une autorité incompétente ; elle doit être annulée du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
elle méconnaît l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire, enregistré le 25 janvier 2018, la préfète de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'elle s'en remet à ses écritures de première instance.
Mme D...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 19 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 ;
- l'arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Malingue,
- et les observations de MeC..., substituant MeB..., représentant MmeD....
Considérant ce qui suit :
1. MmeD..., ressortissante russe née le 9 décembre 1980, relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 juin 2017 par lequel la préfète de la Loire-Atlantique lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Sur la régularité du jugement :
2. A l'appui de sa demande, Mme D...soutenait notamment que la préfète de la Loire-Atlantique avait commis une erreur de droit en n'examinant pas, au regard des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans leur rédaction issue de la loi du 7 mars 2016, si elle pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié en Russie. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen portant sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, qui n'était pas inopérant. Par conséquent, son jugement doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions aux fins d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français du 29 juin 2017.
3. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, pour la cour, de se prononcer par voie d'évocation sur les conclusions relatives à la décision portant obligation de quitter le territoire français et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus des conclusions présentées tant devant le tribunal administratif que devant la cour.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
En ce qui concerne la décision de refus de séjour :
4. En premier lieu, contrairement à ce que soutient MmeD..., il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de la Loire-Atlantique n'a pas procédé à un examen complet de sa situation personnelle.
5. En deuxième lieu, l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable, prévoit que : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° à l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire (...) ". Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé venant au soutien de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d' un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
6. Mme D...est atteinte du virus de l'immunodéficience humaine. Par un avis du 1er février 2017, le médecin de l'agence régionale de santé des Pays de la Loire a estimé que son état de santé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il n'existait pas de traitement approprié dans son pays d'origine. La préfète de la Loire-Atlantique, qui n'était pas liée par cet avis, a toutefois refusé de délivrer à la requérante le titre de séjour qu'elle demandait au motif qu'il existe un traitement approprié dans son pays d'origine.
7. Il ressort des pièces du dossier que l'autorité administrative a produit divers documents, dont une fiche Medcoi, faisant état de la disponibilité en Russie du Kivexa ainsi que des substances actives contenues dans le Norvir et le Prezista ainsi que de la possibilité de procéder aux examens cliniques et biologiques requis pour le traitement de la pathologie de MmeD.... Si la requérante fait valoir les difficultés d'accès à ce traitement, les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans leur rédaction applicable n'impliquent aucune appréciation quant au caractère effectif de l'accès au traitement en raison de la situation particulière du demandeur. Par suite, compte tenu des pièces produites, la préfète établit qu'un traitement approprié à la pathologie de la requérante peut être dispensé dans son pays d'origine.
8. En troisième lieu, Mme D...est entrée en France le 30 juin 2014 selon ses déclarations pour demander l'asile. La demande qu'elle a présentée a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides par décision du 14 septembre 2015, qui a été confirmée le 1er juillet 2016 par la Cour nationale du droit d'asile. Elle vit en France en centre d'hébergement avec ses deux fils nés en 2001 et 2009, qui sont scolarisés depuis son entrée en France. En dehors de sa cellule familiale, elle ne fait état d'aucun lien privé ou familial sur le territoire français. Ainsi qu'il a été dit au point précédent du présent arrêt, la poursuite du traitement requis par son état de santé ne rend pas sa présence en France indispensable. Dans ces conditions, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la préfète de la Loire-Atlantique a, en lui refusant un titre de séjour, commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.
9. En dernier lieu, Mme D...se borne à reprendre en appel, sans apporter aucun élément de fait ou de droit nouveau, les moyens tirés de l'incompétence du signataire de l'acte et du vice de procédure en l'absence de nouvelle saisine du médecin de l'agence régionale de santé. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi :
10. L'article 4 de l'arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé prévoit que : " (...) le médecin de l'agence régionale de santé émet un avis (...) / Dans le cas où un traitement approprié existe dans le pays d'origine, il peut, au vu des éléments du dossier du demandeur, indiquer si l'état de santé de l'étranger lui permet de voyager sans risque vers ce pays. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que le médecin de l'agence régionale de santé ne doit indiquer, dans son avis, si l'état de santé de l'étranger ne lui permet pas de voyager sans risque vers son pays d'origine que dans le cas où il estime que celui-ci peut bénéficier d'un traitement approprié dans ce pays. Dans le cas où ce médecin estime que l'étranger ne peut bénéficier d'un tel traitement et où le préfet entend s'écarter de cet avis et prendre un arrêté par lequel il refuse à l'étranger un titre de séjour en qualité d'étranger malade, sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et assortit ce refus d'une obligation de quitter le territoire français à destination du pays dont l'étranger est originaire, il appartient au préfet, dès lors qu'il lui incombe de vérifier si l'étranger est en capacité de voyager sans risque et en l'absence de tout élément soumis à son appréciation lui permettant d'ores et déjà de se prononcer à cet égard, d'avertir à cette fin l'intéressé de son intention de lui refuser le titre de séjour demandé et de l'inviter à présenter ses observations. Le préfet n'est toutefois pas tenu à peine d'irrégularité d'inviter expressément l'étranger à mentionner s'il estime se trouver dans l'incapacité à voyager sans risque. Il appartient à l'étranger, s'il s'y croit fondé, de faire état d'une telle incapacité et de produire tout élément, même lorsqu'il entend ne pas lever le secret médical concernant la pathologie dont il souffre, de nature à démontrer cette incapacité. Dans le cas où l'étranger fait de telles observations, il appartient alors au préfet, s'il entend maintenir son projet de renvoi de l'étranger dans son pays d'origine, de mentionner dans son arrêté les raisons pour lesquelles il n'estime pas devoir prendre en compte ces observations. A l'inverse, dans le cas où l'étranger n'a fait aucune observation en ce sens, le préfet est réputé avoir examiné ce point au vu des éléments en sa possession sans avoir à motiver expressément son arrêté sur cette question.
11. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'autorité administrative ait informé Mme D...de ce qu'elle envisageait de lui refuser la délivrance d'un titre de séjour et d'assortir cette décision d'une mesure d'éloignement et l'ait invitée à présenter des observations avant l'édiction d'une telle mesure. Il suit de là, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un vice de procédure ayant privé la requérante d'une garantie. Elle doit, dès lors, être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, la décision fixant le pays de renvoi.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D...est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
13. Il y a lieu d'enjoindre à la préfète de Loire-Atlantique de réexaminer la situation de Mme D...dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt après l'avoir munie d'une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre des frais liés au litige.
DECIDE :
Article 1er : Les décisions du préfet de la Loire-Atlantique du 29 juin 2017 portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination sont annulées.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 22 novembre 2017 est annulé en ce qu'il a de contraire à l'article premier du présent arrêt.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Loire-Atlantique de réexaminer la situation de Mme D...dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt après l'avoir munie d'une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...D...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, à la préfète de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 19 avril 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président-assesseur,
- Mme Malingue, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 mai 2018.
Le rapporteur,
F. MalingueLe président,
F. Bataille
Le greffier,
C. Croiger
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°17NT03866
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