Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement
le 21 avril 2017 et le 19 janvier 2018, M. et MmeA..., représentés par Me Obadia, avocat, demandent à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur revenu et de contributions sociales auxquels ils ont été assujettis, en droits et pénalités, au titre des années 2008, 2009 et 2010, ainsi que des pénalités pour manoeuvres frauduleuses ;
3° de mettre à la charge de l'État une somme de 9 600 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'administration ne leur a pas envoyé de proposition de rectification pour l'année 2010 ;
- les propositions de rectification du 23 décembre 2011 et du 19 juillet 2013 ne sont pas suffisamment motivées ;
- la méthode de reconstitution de recettes est excessivement sommaire et sans rapport avec les données propres à l'entreprise et au secteur pharmaceutique ;
- elle repose sur une extrapolation des factures de quelques jours ;
- les bases ont été reconstituées à partir du logiciel Alliance Plus, qui s'est avéré peu fiable ;
- l'importance des omissions de recettes découle non d'une suppression intentionnelle, mais des aléas de l'activité pharmaceutique ;
- le montant moyen des recettes en espèces hors ordonnances obtenu par cette méthode aboutit à un taux de marge de 35 %, invraisemblable à Pierrefitte-sur-Seine, et est supérieur au taux relevé dans les monographies professionnelles ;
- malgré la désignation de M. A...comme bénéficiaire des revenus distribués, l'administration supporte la charge de prouver l'appréhension par ce dernier de ces revenus ;
- elle n'établit pas cette appréhension ;
- la pénalité pour manoeuvres frauduleuses n'est ni motivée, ni justifiée.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Soyez,
- les conclusions de M. Errera, rapporteur public,
- et les observations de Me Obadia, pour M. et MmeA....
Une note en délibéré présentée pour M. et MmeA..., par Me Obadia, a été enregistrée le 13 avril 2018.
1. Considérant qu'à la suite de la rectification des impositions dues par la SELARL Pharmacie centrale de la gare, à Pierrefitte-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis, l'administration a estimé que M.A..., gérant et actionnaire principal de cette pharmacie, avait appréhendé des recettes omises, a redressé en conséquence l'impôt sur le revenu acquitté par
M. et Mme A...en 2008, 2009 et 2010, et leur a infligé une pénalité pour manoeuvres frauduleuses ; que M. et Mme A...relèvent appel du jugement rendu le 21 février 2017, par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande en décharge des compléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, auxquels ils ont été assujettis, ainsi que de la pénalité pour manoeuvres frauduleuses ;
Sur l'étendue du litige :
2. Considérant que, par décision du 6 avril 2018, postérieure à l'introduction de la requête, le ministre de l'action et des comptes publics a prononcé le dégrèvement, en droits et pénalités, à concurrence des sommes de 6 713 euros en 2008, de 6 741 euros en 2009 et de 4 393 euros en 2010, des contributions sociales auxquelles les contribuables ont été assujettis, en droits et pénalités ; que, par suite les conclusions de la requête de M. et Mme A...sont, dans cette mesure, devenues sans objet ;
Sur le surplus des conclusions :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) " ;
4. Considérant, d'une part, qu'il est constant que la proposition de rectification du
19 juillet 2013, relative à l'année 2010, a été envoyée le 23 juillet 2013 au domicile de
M. et MmeA..., et a été retournée avec la mention " avisé, non réclamé " ; que les requérants, pour établir que la procédure d'examen de leur situation fiscale personnelle devait être suivie avec Me Obadia, produisent un mandat daté du 8 juillet 2011, aux termes duquel M. A..., " agissant en qualité de docteur en pharmacie et gérant, donne pouvoir à Me Obadia pour l'assister auprès de la direction générale des finances publiques, établir en mon nom toute réponses ou mémoires nécessaires, solliciter de celle-ci toutes les copies des pièces qu'elle jugera utiles à la défense de mes intérêts, et enfin recevoir toute correspondance dans le cadre de ses interventions auprès de la direction générale des finances publiques " ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que ce mandat était joint à un courriel de Me Obadia du même jour, libellé comme suit : " c'est en ma qualité de conseil de la SNC pharmacie centrale de la gare que j'interviens (...) " ; qu'il ne ressort pas des termes dans lesquels ce mandat et ce courriel ont été rédigés que l'administration dût s'estimer tenue d'adresser au cabinet de Me Obadia, et non au domicile des requérants, les pièces relatives à la procédure d'examen de leur situation fiscale personnelle ; qu'ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales doit être écarté ;
5. Considérant, d'autre part, que la circonstance que les propositions de rectification du 23 décembre 2011, pour 2008 et 2009, et du 19 juillet 2013, pour 2010, auraient tenu à tort pour opposable à M. A...sa désignation comme bénéficiaire de revenus distribués par la SELARL Pharmacie centrale de la gare, est sans incidence sur la motivation de ces documents, motivation qui est indépendante du bien-fondé des motifs énoncés ; que, par suite, cet autre moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales doit également être écarté ;
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
6. Considérant, en premier lieu, qu'en raison de l'importance des recettes en espèces hors ordonnances effacées, le vérificateur a rejeté comme non probante la comptabilité de la SELARL Pharmacie centrale de la gare ; que, pour reconstituer les recettes effacées en 2008 et 2009, il s'est fondé sur les données de la seule journée qui ne comportait pas de recettes supprimées, à savoir celle du 11 février 2009 ; qu'à partir des données de cette journée et du nombre de factures effacées au cours de ces années, il est parvenu à une minoration quotidienne de 57 factures en 2008 et de 59 en 2009, d'un montant moyen unitaire TTC de 12,95 euros en 2008 et 13,12 euros en 2009 ; que, pour 2010 et 2011, en l'absence de conservation du fichier Trace " a-futil.d " et de réalisation des traitements prévus par le cahier des charges, le vérificateur s'est fondé sur les données du 27 février 2010, du 1er janvier 2011,
et du 27 février 2011, et sur le montant moyen TTC des factures supprimées
du 23 au 26 février 2011 ; qu'il a ainsi déterminé un montant moyen de 8,60 euros par achat en espèces supprimé en 2010 et au début de l'année 2011 ; que, d'une part, M. et Mme A...objectent que le vérificateur ne pouvait procéder par extrapolation des données observées pendant si peu de jours, dont certains étaient au surplus atypiques (jour férié ou jour de garde) ; que, toutefois, le recours à cette méthode qui ne concerne que la période de 2010 et 2011, était inévitable en l'absence de réalisation des traitements informatiques demandés à la contribuable et d'éléments comptables pertinents ; que, d'autre part, si M. et Mme A...mettent en doute la fiabilité du logiciel utilisé pour la reconstitution des recettes et la teneur des fichiers figés sur le CD-ROM lors du contrôle inopiné, la SELARL est à l'origine de ces fichiers qui peuvent seuls être utilisés, en l'absence de conservation de copies des actes, de factures et de tickets de caisse ; que, par ailleurs, si M. et Mme A...expliquent la fréquence des omissions d'achats non par une suppression intentionnelle des recettes en espèces hors ordonnances, mais par des aléas propres à l'activité de la pharmacie, telles que la mise en attente de factures jusqu'à la production de l'ordonnance du médecin, ou jusqu'à la présentation de la carte vitale, ils n'assortissent ces allégations d'aucun justificatif précis ; qu'enfin, si M. et Mme A...estiment excessifs, compte tenu des moyens de la clientèle, tant le prix moyen reconstitué par recette en espèces hors ordonnances, que le taux de marge de 35 %, ils ne combattent pas efficacement ces valeurs, en se référant aux monographies professionnelles, lesquelles ne sauraient refléter les données propres à l'entreprise ; que, dans ces conditions, le moyen tiré du caractère sommaire ou radicalement vicié de la méthode de reconstitution doit être écarté ;
7. Considérant qu'en second lieu, aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) / c. Les rémunérations et avantages occultes (...) " ; qu'aux termes de l'article 117 du même code : " Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visées à l'article 116, celle-ci est invitée à fournir à l'administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution. / En cas de refus ou à défaut de réponse dans ce délai, les sommes correspondantes donnent lieu à l'application de la pénalité prévue à l'article 1759 " ; et qu'en vertu des dispositions de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales, lorsqu'un contribuable s'est abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, il ne peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition qu'en démontrant dans sa réclamation son caractère exagéré ; que si les lettres en date du 24 novembre 2011 et du 27 juillet 2012, par lesquelles Me Obadia, mandatée par la SELARL Pharmacie centrale de la gare dans le cadre de la vérification de comptabilité, et la société, interrogée en vertu de l'article 117 précité du code général des impôts, désignent M. A...comme le bénéficiaire, à hauteur de 51 %, des revenus distribués par la SELARL, elles ne comportent pas de signature du gérant ; que dès lors que, comme il a été dit au paragraphe 4, le mandat donné le 8 juillet 2011 à Me Obadia ne permet pas de la regarder comme la mandataire de M. A...à titre personnel, la désignation de ce dernier par l'avocat ne valait pas accord de ce dernier ; que, par suite, il incombe à l'administration d'apporter la preuve de l'appréhension par M. A...des revenus imposés à son nom, s'il a contesté en temps utile cette appréhension ; que, pour les années 2008 et 2009, M. et Mme A...ont présenté des observations dans le délai prévu à l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales, soit le 21 février 2012 en réponse à la proposition de rectification du 23 décembre 2011 ; que, pour l'année 2010, les requérants ont présenté des observations en réponse à la proposition de rectification du 17 juillet 2013, dans le délai supplémentaire qui leur a été accordé par l'administration ; que, pour apporter la preuve de l'appréhension des recettes omises, l'administration fait valoir, notamment dans sa décision du 21 juillet 2014 rejetant la réclamation de M. et MmeA..., que le requérant disposait des pouvoirs les plus étendus dans la SELARL Pharmacie centrale de la gare, en tant qu'associé à hauteur de 51 % du capital et gérant statutaire ; que s'il est vrai que le reste du capital de la SELARL était détenu par Mme B..., il ne résulte pas de l'instruction que cette dernière se soit opposée à cette politique d'omission et d'appréhension des recettes ; qu'ainsi, à supposer que la présence d'un unique autre associé ne permette pas de qualifier M. A...de maître de l'affaire, comme le prétend l'administration, cette dernière relève, dans les pièces de la procédure d'imposition, qu'il disposait des pouvoirs les plus étendus et en avait usé pour solliciter le 9 février 2007 de la société éditant le logiciel Alliance Plus le mot de passe permettant d'effacer des recettes en espèces et, partant, d'altérer les résultats de la SELARL ; que, par suite, et faute d'être aucunement contredite sur ce point, l'administration établit de ce fait l'appréhension par M. A... des recettes omises ;
En ce qui concerne les pénalités :
8. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales, les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable ; qu'en vertu des dispositions du c) de l'article 1729 du code général des impôts, les inexactitudes ou les omissions dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraînent l'application d'une majoration de 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses ; et qu'en vertu des dispositions de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales, la preuve des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration en cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs ;
9. Considérant que, d'une part, il découle des termes mêmes des propositions de rectification datées du 23 décembre 2011 et du 19 juillet 2013 que l'application de la majoration de 80 % pour manoeuvres frauduleuses est motivée par des éléments portant sur la matérialité des faits et l'intention frauduleuse de la contribuable ; que, d'autre part, il résulte de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté que, sur l'ensemble de la période concernée, la SELARL Pharmacie centrale de la gare a utilisé régulièrement le menu " outil administration " du logiciel " Alliance + " aux fins de faire disparaître des recettes d'exploitation, après s'être fait communiquer, comme il vient d'être dit au point 7, le mot de passe nécessaire à cette fin ; que sa volonté d'éluder l'impôt, par la mise en oeuvre de ce procédé permettant de donner à la comptabilité l'apparence de la sincérité malgré un nombre très important de manipulations, établit l'existence de procédés destinés à égarer l'administration ou rendre plus difficile le contrôle, et donc de manoeuvres frauduleuses au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts ; qu'au regard de ces éléments de preuve apportés par l'administration, cette pénalité a été infligée légalement et conformément aux principes de responsabilité personnelle et de personnalité des peines ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, d'une part, il n'y a pas lieu de statuer, à concurrence des sommes de 6 713 euros en 2008, de 6 741 euros en 2009 et de
4 393 euros en 2010, sur les contributions sociales auxquelles les contribuables ont été assujettis, en droits et pénalités ; que, d'autre part, M. et Mme A...ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté le surplus de leur demande en décharge des compléments d'impôt sur revenu et de contributions sociales auxquels ils ont été assujettis, en droits et pénalités, au titre des années 2008, 2009 et 2010, ainsi que des pénalités pour manoeuvres frauduleuses ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, par M. et MmeA..., qui sont, dans la présente instance, la partie principalement perdante ;
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions en décharge, en droits et pénalités, des contributions sociales auxquelles M. et Mme A...ont été assujettis, à concurrence des sommes de 6 713 euros en 2008, de 6 741 euros en 2009 et de 4 393 euros en 2010.
Article 2 : Le surplus de la requête de M. et Mme A...est rejeté.
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N° 17VE01264